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Un risque de correction dans le secteur de la construction

Le secteur de la construction crée de nombreux emplois et revêt une grande importance pour l’économie suisse. Après avoir tourné à plein régime ces dernières années, il pourrait amorcer un retournement de tendance en raison du renchérissement des matières premières, de l’importante pénurie de main-d’œuvre qualifiée et de la hausse des taux d’intérêt.
L’un des nombreux chantiers de construction à Zurich. (Image: Keystone)

Le secteur de la construction joue un rôle important dans la structure économique de la Suisse. En 2021[1], il représentait environ 5% du produit intérieur brut (PIB), soit une valeur ajoutée de quelque 35 milliards de francs. Cette quote-part est restée relativement stable au fil des ans. Le secteur principal de la construction (bâtiments et génie civil)[2] contribue à hauteur d’un tiers à la valeur ajoutée totale, tandis que les deux autres tiers proviennent des travaux de construction spécialisés[3] qui comprennent notamment les échafaudages et toutes sortes d’installations comme les escaliers mécaniques ou les climatiseurs. Le secteur crée en outre de nombreux emplois: quelque 8,1% des entreprises sont issues de la construction, qui emploie 7,7% de la population active suisse[4].

Ces chiffres ne concernent toutefois que le secteur de la construction à proprement parler. Les activités connexes, telles que les pans du second-œuvre relevant de l’industrie manufacturière (métallurgie, serrurerie, ferblanterie, tuyauterie, installations et équipements, par exemple) ou certaines branches relevant du secteur des services (les conseillers, experts et courtiers dans le domaine de l’immobilier et du logement, les conseillers juridiques et fiscaux ainsi que les services notariaux, les bureaux d’architectes et d’ingénieurs ou les services d’aménagement paysager notamment) génèrent encore davantage de valeur ajoutée et d’emplois.

Des investissements élevés dans l’immobilier

Si l’on observe maintenant le secteur de la construction et ses activités connexes sous l’optique de la dépense, on constate qu’un peu plus de 9% du PIB ont été affectés à la construction en 2021, soit l’équivalent de 67 milliards de francs. Au cours des vingt-cinq dernières années, le taux d’investissement dans la construction est resté relativement stable, fluctuant entre 8 et 10% du PIB.

Les investissements dans la construction comprennent, d’une part, les travaux préparatoires effectués par les ingénieurs, les architectes et les notaires et, d’autre part, les activités du secteur principal de la construction dans le bâtiment et le génie civil. En font partie également les travaux d’aménagement (le remplacement d’un système de chauffage à mazout par une pompe à chaleur dans un lotissement, par exemple), les travaux d’aménagement extérieur, tous les travaux d’équipements réalisés dans le périmètre d’une parcelle (notamment l’adduction d’eau ou le raccordement au réseau électrique), ainsi que les travaux d’amélioration ou de réparation importants qui apportent de la valeur ajoutée. En revanche, les frais d’inscription au cadastre lors de l’acquisition d’un terrain ou les coûts d’ameublement en sont exclus.

Flambée de la demande de logements suite à la pandémie

Depuis environ cinq ans, le secteur suisse de la construction connaît une phase de consolidation à haut niveau. La croissance exceptionnellement robuste qu’a connue le secteur de 2008 à 2015, c’est-à-dire dans les années qui ont suivi la crise financière, s’est quelque peu essoufflée ces dernières années.

Le secteur a su relativement bien surmonter les nouveaux défis liés à la pandémie de coronavirus. Alors qu’à l’étranger, des fermetures prolongées et des baisses de production significatives ont parfois été observées dans le secteur de la construction, elles ont été relativement rares en Suisse, car des plans de protection ont été élaborés rapidement, ce qui n’a entraîné que de brèves fermetures de chantiers isolées.

En outre, le secteur de la construction a même pu parfois tirer profit des changements d’habitudes de la population. Depuis la pandémie de coronavirus, le développement du télétravail a conduit à une hausse de la demande d’espace habitable et de logements en propriété, comme en témoigne l’évolution des permis de construire octroyés dans le secteur du bâtiment, qui marquent une hausse pour la première fois depuis dix ans (voir illustration 1). Cette dynamique est alimentée notamment par la construction de logements : depuis mi-2020, le volume des constructions autorisées a sensiblement augmenté dans le domaine des nouvelles constructions et des transformations. L’augmentation de la demande se reflète également dans les prix des logements en propriété qui ont encore fortement progressé en 2021 alors qu’ils étaient déjà élevés.

Ill. 1: Coût total mensuel des projets de construction et de transformation ayant bénéficié d’une autorisation (juin 1994 à juillet 2022)

Remarque: courbe de tendance lissée (LOESS 15%). Sans génie civil. Source: Wüest Partner / Docu Media GmbH / La Vie économique

 

Hausse des prix dans le bâtiment

Selon l’enquête du Centre de recherches conjoncturelles (KOF) de l’EPFZ, les carnets de commandes du secteur de la construction restent bien remplis. En outre, les chiffres d’affaires du secteur ont poursuivi leur progression ces derniers temps, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS). Le fait que la production ne suive pas l’augmentation du chiffre d’affaires indique qu’une partie considérable de la croissance est probablement due à la hausse des prix de la construction. L’indice des prix de la construction de l’OFS a par ailleurs progressé de 7,7% au premier semestre 2022 par rapport à l’année précédente, enregistrant une hausse inégalée depuis les années 1980.

Il y a plusieurs raisons à ce phénomène. D’une part, de nombreux matériaux de construction se sont considérablement renchéris à la suite des problèmes d’approvisionnement dus à la pandémie de coronavirus, au récent confinement en Chine et à la guerre en Ukraine. Les prix des éléments en métal et en acier, des éléments de bardage et de couverture, des matériaux d’isolation, mais aussi des fenêtres, des systèmes de chauffage et des stores ont fortement augmenté. D’autre part, la demande soutenue se heurte à des problèmes de capacités dans le secteur de la construction. Selon les enquêtes du KOF, le taux d’utilisation des capacités a pratiquement atteint son plus haut niveau historique et la moitié des entreprises déclarent ne pas pouvoir augmenter leur production car elles peinent à recruter du personnel.

Recul attendu de la demande immobilière

Alors que les prix de la construction devraient continuer à augmenter au cours des prochains trimestres, la demande de biens immobiliers devrait fléchir, notamment parce que les taux hypothécaires ont déjà sensiblement augmenté depuis le début de l’année 2022. Toutefois, de nombreux propriétaires ne sont pas directement touchés par cette hausse, car environ 80% des hypothèques existantes sont des prêts à taux fixes. En revanche, les nouvelles hypothèques à taux fixes sont déjà nettement plus coûteuses (voir illustration 2). Les hypothèques à taux variables liés au Saron seront également impactées dès que la Banque nationale suisse (BNS) aura relevé son taux directeur au-dessus de 0%. Ces deux facteurs devraient freiner quelque peu la demande de logements en propriété. Par ailleurs, le taux de logements vacants est considérable dans certaines régions, ce qui indique que le marché du logement locatif souffre d’une offre excédentaire en raison de la forte activité du secteur de la construction ces dernières années. La hausse générale des taux rend de tels immeubles de rendement moins attrayants.

Ill. 2: Taux d’intérêt des hypothèques (2010 à août 2022)

Source: Banque nationale suisse / La Vie économique

  

Risque croissant de correction des prix

Les prix de l’immobilier ont enregistré une très forte hausse au cours des dernières années. Selon la BNS, les niveaux de valorisation des logements sont de 30 à 35% supérieurs à leurs moyennes historiques, ce qui expose le marché à un risque de correction[5]. Ce risque a encore augmenté dans le sillage de la récente hausse des taux d’intérêt.

Le segment des immeubles de rendement est le plus susceptible de subir une correction des prix, car sa valorisation est la plus éloignée des moyennes historiques. Une hausse des taux d’intérêt pourrait en outre avoir un impact considérable sur ce segment de marché. L’indice d’UBS mesurant le risque de bulle immobilière a également poursuivi sa progression et indique une surévaluation, en particulier à Genève, dans certaines parties du canton de Zurich et à Bâle-Ville[6]. Ce risque reste toutefois bien en dessous des sommets atteints lors de la bulle immobilière des années 1990. Cependant, le risque d’une correction des prix augmenterait encore si les taux continuaient de progresser ou si la crise économique se prolongeait.

  1. Voir OFS (2022a). []
  2. Noga 41 et 42. []
  3. Noga 43. []
  4. Voir OFS (2022b). []
  5. Voir BNS (2022) ou Finma (2022)[]
  6. Voir UBS Swiss Real Estate Bubble Index []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Stefan Neuwirth ; Philipp Wegmüller (2022). Un risque de correction dans le secteur de la construction. La Vie économique, 13 septembre.