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Micromobilité: où en est-on en Suisse?

Dans un contexte où la Confédération, les cantons et les communes encouragent le développement de la micromobilité, une nouvelle étude de l’Université de St-Gall apporte un éclairage sur la pratique de la bicyclette ainsi que du vélo, de la trottinette et du cyclomoteur électriques en Suisse. Elle met aussi en évidence ce qu’il reste à faire pour améliorer les infrastructures dans ce domaine.
De plus en plus de personnes choisissent le vélo électrique comme moyen de locomotion. Vélo électrique de la marque Flyer à Berne. (Image: Keystone)

Pièce manquante du puzzle ou risque accru de chutes dont on se passerait volontiers? Le débat sur l’opportunité et l’utilité des services de partage de trottinettes électriques pour la mobilité urbaine polarise les opinions. De même, les avis sont partagés quand les voies de circulation automobile doivent céder la place à de nouvelles pistes cyclables. La promotion de la «mobilité douce» est, rappelons-le, un objectif déclaré de la politique suisse des transports[1]. Dans son scénario «Base» concernant l’évolution du transport en Suisse, l’Office fédéral du développement territorial (ARE) prévoit que la part du vélo dans le trafic global doublera en 2050 par rapport à 2017 pour passer de 2% à 4%[2]. C’est dans cette optique que des travaux sont réalisés un peu partout: les cantons et les communes développent les infrastructures cyclables, aménagent des zones de partage de l’espace et créent des hubs de mobilité; ils élaborent également la réglementation relative à l’exploitation des systèmes de partage de trottinettes et vélos électriques sur la base de premières expériences concrètes, qui permettent aussi d’analyser la viabilité écologique et financière de ces offres relativement nouvelles. Reste à savoir si les différentes formes de micromobilité peuvent être intégrées durablement dans les systèmes de transport existants. Pour répondre à cette question fondamentale, il faut avoir une meilleure compréhension du comportement des utilisateurs.

Comparaison des comportements des utilisateurs à l’échelle internationale

En collaboration avec la société de conseil Boston Consulting Group (BCG) et le cabinet de conseil Fritz Classen, l’Institut pour la mobilité de St-Gall a réalisé un sondage auprès d’environ 11 500 personnes habitant dans dix pays[3], en les interrogeant sur leurs pratiques en matière de micromobilité. Cette étude représentative[4] permet notamment de savoir comment la bicyclette ainsi que le vélo, la trottinette et le cyclomoteur électriques sont utilisés en Suisse (voir illustration 1).

Ill. 1: Fréquence d’utilisation en Suisse de quelques véhicules sélectionnés

Note: en Suisse, 1231 personnes ont été interrogées. Les résultats sont représentatifs de la population âgée de 16 à 70 ans.
Source: Institut pour la mobilité de St-Gall / La Vie économique

La Suisse par rapport aux autres pays d’Europe

Sur l’ensemble des personnes interrogées en Suisse, 25% ont indiqué se déplacer avec un vélo classique à une fréquence allant de plusieurs fois par semaine à tous les jours. La Suisse se positionne ainsi juste devant la France (24%), mais derrière l’Allemagne (39%), les Pays-Bas étant quant à eux les champions incontestés de la «petite reine»: au pays des pistes cyclables et des parcs à vélos, la part des personnes interrogées roulant à bicyclette de plusieurs fois par semaine à tous les jours atteint 54%. Les Pays-Bas sont aussi en tête dans le domaine de l’intermodalité: près de 41% des utilisateurs se déplacent en combinant vélo et transports publics plusieurs fois par semaine ou tous les jours, contre 24% en Suisse.

Le tableau est tout autre pour la trottinette électrique, puisque c’est la France, et surtout Paris, qui ont en la matière une longueur d’avance: 8% des personnes interrogées à l’échelle nationale utilisent ce moyen de locomotion selon une fréquence allant de plusieurs fois par semaine à tous les jours, et elles sont même 16% dans la capitale française. Il est vrai que, par rapport au reste de l’Europe, Paris a été plus prompte à réglementer l’autorisation et l’utilisation des trottinettes électriques. En France également, 38% des utilisateurs ont indiqué combiner la trottinette électrique avec les transports publics plusieurs fois par semaine ou quotidiennement. En Suisse, la proportion est de 4% pour les personnes utilisant la trottinette électrique de plusieurs fois par semaine à tous les jours et de 16% pour celles qui l’associent avec les transports publics selon cette même fréquence.

Si on intègre dans l’analyse des données sociodémographiques, on constate qu’en Suisse, la fréquence d’utilisation du vélo diminue avec l’âge pour sa version classique, mais augmente au contraire légèrement pour sa version électrique. On relève également des différences entre hommes et femmes en matière de micromobilité. Ainsi, la fréquence d’utilisation des trottinettes électriques en libre-service se situe à un niveau supérieur à la moyenne chez les hommes de 16 à 29 ans (6%), ce qui n’est vrai que pour 1,9% des femmes de cette tranche d’âge.

Le rôle des valeurs et des émotions

Pour affiner l’analyse, il convient de prendre en compte le milieu social, car celui auquel nous appartenons et les valeurs qui lui sont associées influencent nos décisions quotidiennes en matière de mobilité. S’appuyant sur les travaux du sociologue Andreas Reckwitz, les auteurs de l’étude ont donc distingué quatre classes sociales[5] définies sur la base d’un découpage des sociétés occidentales, et donc de la Suisse, en grandes catégories. Ces classes sociales ont été désignées comme suit: la classe prospère, la nouvelle classe progressiste, la classe traditionnelle et la nouvelle classe des services (voir encadré)[6].

Si on observe la fréquence d’utilisation au sein de ces quatre classes sociales en Suisse (voir illustration 2), on note que, pour la trottinette électrique, elle est particulièrement élevée dans la nouvelle classe des services (7%) mais aussi, dans une moindre mesure, dans la nouvelle classe progressiste (6%). En revanche, elle est proche de zéro (1%) au sein de la classe traditionnelle et également très faible (2%) dans la classe prospère, pour laquelle la micromobilité passe avant tout par le vélo électrique, avec un taux de 24% (par rapport à une moyenne de 13% pour la Suisse).

Ill. 2: Fréquence d’utilisation de la trottinette électrique selon les classes sociales

Note: en Suisse, 1231 personnes ont été interrogées. Les résultats sont représentatifs de la population âgée de 16 à 70 ans.
Source: Institut pour la mobilité de St-Gall / La Vie économique

 

L’examen des raisons motivant les membres des classes sociales considérées à opter pour la micromobilité fait également apparaître des différences. Ainsi, la part des personnes interrogées qui jugent la viabilité écologique importante ou très importante est de 60% au niveau de toute la Suisse, mais elle atteint 66% dans la nouvelle classe progressiste et ne dépasse pas 51% dans la nouvelle classe des services.

Potentiel d’amélioration en Suisse

Une étude plus approfondie de la fréquence d’utilisation montre que la Suisse dispose encore d’un potentiel d’amélioration. Au niveau européen, on voit bien que les taux d’utilisation sont plus élevés dans les pays et les villes qui ont été en avance pour développer les infrastructures et concrétiser les réglementations relatives à l’exploitation des systèmes de partage. Pour autant, nos pratiques en matière de micromobilité ne dépendent pas seulement des infrastructures, des offres et des réglementations en place, mais sont aussi conditionnées par nos systèmes de valeurs. Les cantons et les communes, tout comme les opérateurs qui en ont conscience, peuvent adapter encore mieux leurs offres aux différents groupes cibles et à leurs comportements respectifs, afin d’apporter leur contribution à la réalisation de l’objectif visé: faire de la micromobilité une pièce essentielle du puzzle de la mobilité urbaine.

  1. Ofrou (2022) []
  2. ARE (2021) []
  3. États-Unis, Royaume-Uni, Espagne, France, Pays-Bas, Suisse, Allemagne, Danemark, Chine et Japon []
  4. Université de St-Gall et Boston Consulting Group (2022) []
  5. Reckwitz (2019) []
  6. Reckwitz (2019) utilise les concepts de classe supérieure, nouvelle et ancienne classe moyenne et nouvelle classe inférieure. Le projet de recherche s’en est inspiré pour créer les catégories classe prospère, nouvelle classe progressiste, nouvelle classe des services et classe traditionnelle. []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Michael Hohenreuther ; Andreas Herrmann (2022). Micromobilité: où en est-on en Suisse. La Vie économique, 21 octobre.

Les quatre classes sociales

La classe prospère se distingue des trois autres grandes classes en ceci qu’elle dispose d’un capital économique nettement supérieur à la moyenne. Bien que le travail ne soit plus une nécessité pour eux, ses membres occupent souvent des postes de haut niveau dans des conseils d’administration ou de surveillance de grandes entreprises des secteurs financier, juridique ou numérique. Font également partie de cette classe des personnalités des milieux du divertissement, du sport et de l’art.

La nouvelle classe progressiste représente la classe exerçant la plus forte influence sur la culture, l’économie et la politique. Elle se compose d’universitaires disposant d’une solide formation et travaillant majoritairement dans des secteurs performants au plan économique, comme la médecine, les technologies, notamment de l’information, et le droit, ainsi que dans le secteur éducatif ou dans des professions créatives à moindre intensité de capital.

La classe traditionnelle est une émanation de l’ancienne couche moyenne de la société industrielle moderne. Ses membres exercent souvent des activités d’ouvrier qualifié, d’artisan indépendant, d’agent public ou de cadre intermédiaire. Ils privilégient un mode de vie ancré dans un environnement social local ainsi qu’une politique socioéconomique centrée sur leur territoire, ce qui en fait l’antithèse de la nouvelle classe progressiste.

La nouvelle classe des services correspond à un groupe très hétérogène, qui englobe à la fois les bénéficiaires de l’aide sociale, les descendants de la classe ouvrière traditionnelle, les travailleurs agricoles et les employés de service d’âges variés.