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Combiner les ALE pour économiser des droits de douane

Les accords de libre-échange (ALE) aident les entreprises suisses à économiser des droits de douane. Comme elles se procurent souvent des intrants dans des pays tiers, celles-ci ne peuvent cependant pas toujours bénéficier des concessions tarifaires prévues dans les ALE. Le cumul d’origine pourrait remédier à ce problème.
L'industrie textile suisse profiterait particulièrement de la possibilité de cumul si celle-ci était prévue dans les accords de libre-échange. Usine textile à Fehraltorf, dans le canton de Zurich. (Image: Keystone)

La Suisse dispose de nombreux accords de libre-échange (ALE) qui procurent des avantages significatifs à sa place économique, notamment en lui permettant de réaliser des économies de droits de douane dans le commerce de marchandises[1]. Pour bénéficier de droits de douane préférentiels, les biens exportés doivent satisfaire aux règles d’origine prévues dans les ALE. En d’autres termes, ces biens doivent être fabriqués dans une large mesure en Suisse[2].

La solution du cumul d’origine

La Suisse est une économie très développée dotée d’un marché intérieur restreint. C’est la raison pour laquelle les entreprises suisses sont très fortement intégrées dans les chaînes de production et de valeur internationales, se procurant de nombreux intrants à l’étranger, en particulier dans l’Union européenne (UE). Elles ne respectent donc pas toujours les règles d’origine et ne peuvent ainsi pas bénéficier des droits de douane préférentiels prévus dans les accords de libre-échange, ce qui peut les pénaliser lourdement face à la concurrence internationale.

Une solution consisterait à prévoir des possibilités de cumul dans le cadre des accords de libre-échange (ALE). Les partenaires commerciaux pourraient ainsi décider d’assimiler les intrants de pays tiers à des intrants du pays d’origine, ce qui permettrait de prendre en compte non seulement la production suisse, mais aussi les intrants de pays tiers («cumul»). Les conditions sur les règles de libre-échange devenant plus faciles à respecter, les entreprises bénéficieraient plus facilement des droits de douane préférentiels prévus par les ALE. Jusqu’à présent, les entreprises suisses ont pu faire de bonnes expériences avec les possibilités de cumul déjà existantes, notamment au sein de la zone pan-euro-méditerranéenne[3].

De nouvelles zones de cumul

Quel est le potentiel d’autres possibilités de cumul et avec quels pays partenaires seraient-elles particulièrement attrayantes? Le bureau de recherche et de conseil Ecoplan et l’Université de Saint-Gall ont tenté de répondre à ces questions dans le cadre d’une étude menée à la demande du Secrétariat d’État à l’économie (Seco)[4], et dont le but principal était d’étudier les effets d’une régionalisation des règles d’origine. Le terme de régionalisation désigne ici la création d’une zone de cumul par plusieurs pays liés entre eux par des accords de libre-échange. Entreraient notamment en ligne de compte les combinaisons dans lesquelles la Suisse et l’UE sont partenaires, car celles-ci disposent de nombreux partenaires communs de libre-échange tels que le Canada, le Japon, la Corée du Sud ou le Mexique. Hormis les dispositions sur les règles d’origine, les accords de libre-échange existants, y compris les préférences tarifaires, resteraient inchangés.

Dans le cas d’une zone de cumul entre la Suisse, l’UE et le Japon, les entreprises suisses pourraient ajouter les intrants de l’UE dans leurs exportations vers le Japon et bénéficier plus souvent des droits de douane préférentiels prévus dans les accords de libre-échange. Tous les pays participants tireraient leur épingle du jeu, puisque les entreprises de l’UE exportant en Suisse pourraient cumuler les intrants du Japon. La régionalisation des règles d’origine impliquerait donc des changements pour les pays participants, tant en matière d’exportations que d’importations.

Les avantages de la régionalisation

L’étude révèle que l’économie suisse et ses entreprises tireraient profit de la régionalisation des règles d’origine dans les accords de libre-échange (ALE). L’illustration 1 montre les effets possibles d’une zone de cumul Suisse-UE-Japon sur l’industrie du textile suisse. Comme les entreprises helvétiques de ce secteur pourraient cumuler les intrants provenant de l’UE, leurs exportations vers le Japon bénéficieraient plus souvent des préférences tarifaires prévues dans l’accord de libre-échange. Cela conférerait à l’industrie textile un avantage concurrentiel supplémentaire sur le marché japonais. La hausse des exportations qui en résulterait à moyen terme pour l’industrie suisse du textile est estimée à 21 millions de francs par an.

L’augmentation des exportations conduirait en outre à une hausse de la demande d’intrants, ce qui se traduirait par une légère hausse de leurs importations. L’effet serait particulièrement important pour les importations en provenance de l’UE (environ huit millions de francs par an). L’effet global sur l’industrie suisse du textile serait donc plus que positif. Les nouvelles possibilités de cumul profiteraient ainsi non seulement à la Suisse, mais aussi à l’UE, qui pourrait également augmenter ses exportations vers le Japon. Les entreprises et les consommateurs japonais accèderaient quant à eux à des produits d’origine suisse et européenne meilleur marché qui se substitueraient à une partie des importations venant d’autres pays.

Ill. 1: Effet de la régionalisation des règles d’origine entre la Suisse, l’UE et le Japon sur les importations et les exportations de l’industrie textile

Source: Ecoplan (2022)

Conséquences positives pour la Suisse

L’étude s’est également penchée sur d’autres groupes de pays. Les effets les plus significatifs pour la Suisse apparaissent dans les constellations où l’UE est le premier marché d’origine pour les intrants. L’étude conclut en outre que la Corée du Sud et le Royaume-Uni constituent d’autres partenaires intéressants pour la Suisse: dans le cadre d’un accord avec l’UE et l’un de ces pays, la Suisse pourrait augmenter ses exportations, tous secteurs et partenaires commerciaux confondus, de 55 et 80 millions de francs environ par an respectivement, ce qui aurait des effets positifs sur sa prospérité[5].

Le constat positif qui ressort des modélisations est corroboré par les propos recueillis lors des entretiens avec les entreprises. Celles-ci souhaitent davantage de possibilités de cumul et y voient un potentiel supplémentaire pour les exportations helvétiques. Les personnes interrogées ont également estimé qu’une régionalisation des accords entraînerait d’autres effets positifs, comme celui de garantir la position des entreprises suisses dans les chaînes de valeur mondiales. L’étude a également analysé la situation après la suppression unilatérale, par la Suisse, des droits de douane sur les produits industriels, prévue pour le début de l’année 2024[6]; il en ressort que les effets sont qualitativement et quantitativement similaires.

Bien que l’ampleur des effets ne semble pas particulièrement grande au premier abord, ceux-ci sont néanmoins importants pour les mesures de politique commerciale. Un exemple : les économies de droits de douane que réaliseraient les entreprises suisses en cas de régionalisation des règles d’origine avec l’UE et la Corée du Sud seraient à peu près équivalentes à celles réalisées dans le cadre de l’accord de libre-échange conclu avec le Canada. Des effets encore plus grands seraient à prévoir si plus de trois pays formaient une zone de cumul. Si la Suisse, l’UE, le Royaume Uni et les onze États de l’accord PTPGP[7] décidaient de former une zone de cumul, celle-ci profiterait à tous les pays participants, car elle comprendrait des débouchés et des marchés d’origine importants pour chacun d’entre eux[8].

Pour toutes ces raisons, la régionalisation des règles d’origine dans les accords de libre-échange est une option de politique commerciale que la Suisse devrait envisager. Elle est également une voie intéressante pour continuer de renforcer l’industrie suisse d’exportation face à la concurrence internationale, parallèlement à la négociation de nouveaux accords bilatéraux de libre-échange et à la modernisation des accords bilatéraux de libre-échange existants.

  1. Voir Seco (2022) []
  2. Voir Utilisation des accords de libre-échange (admin.ch) []
  3. La zone pan-euro-méditerranéenne comprend l’Union européenne, l’Association européenne de libre-échange et différents pays d’Europe centrale et orientale. Le cumul d’intrants y est possible à certaines conditions. []
  4. Voir Ecoplan (2022) []
  5. L’accord de libre-échange entre la Suisse et le Royaume-Uni prévoit déjà quelques possibilités de cumul. Les effets indiqués se réfèrent aux possibilités supplémentaires qui résulteraient de la régionalisation []
  6. Voir Suppression des droits de douane sur les produits industriels (admin.ch) []
  7. L’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) est un accord de libre-échange entre l’Australie, le Brunéi, le Canada, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam []
  8. Pour cela, tous les États énumérés devraient commencer par conclure des accords de libre-échange entre eux. Les effets décrits se réfèrent toutefois uniquement aux conséquences de la régionalisation des règles d’origine []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Roman Elbel ; André Müller ; Stefan Legge ; Christoph Böhringer (2023). Combiner les ALE pour économiser des droits de douane. La Vie économique, 16 janvier.