On assiste actuellement à une redistribution des avoirs de caisses de pension des jeunes vers les vieux. (Image: Keystone)
Les caisses de pension suisses se trouvaient dans une situation confortable au début des années 1990, lorsque les taux du marché étaient légèrement supérieurs à 6%. Le taux de conversion LPP[1] minimum était alors de 7,2% à l’âge de 65 ans, ce qui signifie que les nouveaux retraités recevaient une rente annuelle correspondant à 7,2% du capital obligatoirement épargné. Du fait de ce taux de conversion, les caisses de pension devaient obtenir chaque année un rendement de 4,7% sur ce capital pour que, compte tenu de l’espérance de vie à l’époque, le capital épargné suffise jusqu’au terme de la vie des assurés. Les assurés actifs recevaient en outre au moins 4% par an sur leur capital (taux d’intérêt minimum LPP). Les caisses de pension pouvaient financer ces deux prestations d’intérêt économiques sans difficulté et même générer des excédents grâce à des placements en valeurs nominales à taux fixe et à faible risque (voir illustration 1).
Depuis le maximum de 7% atteint en juin 1992 par les taux d’intérêt au comptant des obligations de la Confédération à 10 ans, les taux du marché ont chuté pour devenir négatifs en 2015 et atteindre un plancher historique de -1% en août 2019.
Ill. 1 : Évolution de l’inflation, des obligations de la Confédération à 10 ans, du taux d’intérêt LPP minimum et de la garantie d’intérêt inhérente au taux de conversion LPP (1988−2022)
Réaction des caisses de pension
Dans de telles conditions, les caisses de pension n’ont plus été en mesure de maintenir les prestations fournies par le passé aux actifs et aux nouveaux retraités. Elles ont dû s’adapter au nouveau contexte économique. Elles ont remanié leurs stratégies de placement en fonction de leur aptitude et de leur propension au risque, ont réduit les taux d’intérêt technique qu’elles appliquent pour évaluer leurs engagements de prévoyance et ont abaissé leurs prestations et les taux de conversion réglementaires en fonction du nouveau potentiel de rendement, plus faible.
Si la plupart des caisses de pension appliquaient encore il y a 20 ans un taux de conversion réglementaire équivalent au taux de conversion LPP, la médiane des taux de conversion atteignait 5,4% en 2021, ce qui correspond à une garantie d’intérêt d’environ 2,6% (voir illustration 2)[2].
Les taux du marché sont donc d’une importance fondamentale pour le financement des prestations d’un système de prévoyance par capitalisation tel que la prévoyance professionnelle. Le texte ci-dessous éclaire l’incidence du revirement des taux d’intérêt sur les caisses de pension suisses.
Ill. 2 : Garantie d’intérêt à vie dans le taux de conversion à l’âge de 65 ans (2021)
Source : c-alm / La Vie économique
De nombreuses caisses de pension présentent un découvert
Comme les caisses de pension doivent évaluer le capital de prévoyance aux valeurs de marché, toute augmentation des taux d’intérêt entraîne des pertes d’évaluation sur les valeurs nominales. En effet, lorsque les taux du marché montent, les titres à revenus fixes à taux d’intérêts plus bas perdent de la valeur. Le fait que les placements en actions ont aussi généré des rendements négatifs en 2022 a encore aggravé ce phénomène. Selon de premières estimations, le rendement moyen des placements a été de -11% en 2022. Dans le cas d’un taux de couverture moyen de 118,5% à la fin de 2021 et d’un rendement théorique moyen attendu de 2%, le taux de couverture moyen estimé devrait baisser à environ 103% à la fin de l’année 2022 si le taux d’évaluation reste inchangé. Par rendement théorique, on entend le rendement annuel des placements nécessaire pour qu’une caisse de pension puisse remplir toutes ses obligations tout en maintenant son taux de couverture constant. Plus les promesses d’intérêts des caisses de pension sont élevées, plus ce rendement théorique est important.
En raison de l’évolution du marché en 2022, nombre de caisses de pension ont présenté un taux de couverture inférieur à 100% et se sont retrouvées en sous-couverture. Cependant, cela ne signifie pas automatiquement que des mesures d’assainissement radicales telles que des contributions d’assainissement ou un taux d’intérêt nul sur les avoirs vieillesse soient nécessaires. Mais le conseil de fondation doit étudier la situation et prendre des mesures à même de combler la sous-couverture dans un délai de cinq à sept ans.
Aussi douloureux qu’ait pu être pour les caisses de pension l’impact immédiat du revirement des taux sur l’évaluation et sur leur taux de couverture en 2022, celui-ci a pourtant entraîné une nette progression du potentiel de rendement sur le capital de prévoyance, notamment parce que les titres à taux fixes peuvent de nouveau générer un rendement positif. S’agissant d’évaluer le financement courant d’une caisse de pension, la différence entre le rendement théorique mentionné et le potentiel de rendement sur le capital de prévoyance est déterminante.
Au cours des années passées, l’environnement de taux bas qui a longtemps prévalu a conduit les caisses de pension à devoir réduire leurs paramètres d’évaluation et de prestations pour atteindre un rendement théorique raisonnablement finançable dans un tel contexte. Le revirement des taux a eu pour effet qu’à la fin de l’année 2022, le potentiel de rendement des placements de capital était nettement supérieur au rendement théorique (réduit). Cette situation signifie que, actuellement, les caisses de pension présentent certes des taux de couverture bas, mais qu’elles devraient probablement obtenir un rendement suffisant des placements pour fournir leurs prestations tout en reconstituant leur taux de couverture, ce qui est fondamentalement positif. La perspective d’un meilleur rendement associée à un rendement théorique inférieur accroît la marge de manœuvre dont disposent les caisses de pension, alors qu’elles se trouvaient souvent dos au mur dans l’environnement de taux bas.
Inflation et adaptation au renchérissement
Compte tenu de la faible inflation, l’adaptation au renchérissement des rentes de vieillesse en cours n’a guère été évoquée ces dernières années. Contrairement aux rentes de risque LPP (survivants et invalidité), les rentes de risque vieillesse et surobligatoires ne sont pas soumises à une obligation légale d’adaptation automatique au renchérissement. Pour ces types de rentes, il incombe au conseil de fondation d’examiner chaque année si les conditions financières d’une adaptation au renchérissement sont réunies et dans quelle mesure il faut éventuellement adapter les rentes. Dans nombre de cas, celles-ci sont réputées réunies lorsque la caisse de pension a constitué ses réserves de fluctuation de valeur et dispose par conséquent de fonds libres. Au-delà de 2022, ce ne sera plus le cas que de rares caisses de pension. Compte tenu de l’inflation, qui est de nouveau perceptible, le conseil de fondation devra cependant se préoccuper davantage de ce thème à l’avenir.
Comme les bénéficiaires d’une rente vieillesse sont partis à la retraite avec des taux de conversion différents selon leurs caisses de pension, il peut être tout à fait adéquat et équitable de faire participer plus ou moins rapidement leurs différentes cohortes aux futurs revenus. En particulier, les retraités les plus jeunes qui ont dû s’accommoder de taux de conversion plus bas devraient pouvoir y participer plus tôt que ceux qui ont encore bénéficié des taux de conversion historiquement élevés.
Relèvement des taux d’intérêt techniques et de conversion?
Le revirement des taux d’intérêt et les mauvais résultats des placements en 2022 ont conduit à l’effondrement des taux de couverture des caisses de pension. Pourtant, les taux du marché (1,6% à la fin de l’année 2022) sont de nouveau nettement supérieurs à ceux des dix dernières années. Dans nombre de caisses de pension, le potentiel de rendement actuel est clairement supérieur au rendement théorique, ce qui entraînera probablement une augmentation des taux de couverture.
La réduction des taux d’intérêt techniques et des taux de conversion au cours des dernières années a constitué un processus difficile et douloureux que les mesures de compensation n’ont que partiellement atténué. Eu égard à la volatilité des taux du marché, les conseils de fondation seront bien inspirés, en cas de relèvement éventuel des taux d’intérêt techniques, de se montrer aussi circonspects que lors de la réduction passée. Un relèvement du taux d’intérêt technique entraîne certes une augmentation à court terme du taux de couverture, mais aussi un accroissement de la future charge des intérêts, c’est-à-dire du rendement théorique.
Comme les taux de conversion impliquent une garantie de taux d’intérêt à vie, la prudence et la circonspection sont encore beaucoup plus de mise au moment de les fixer. La réforme de la LPP, en cours, montre clairement à quel point il est difficile de réduire la redistribution générée par la garantie à vie trop élevée des taux d’intérêt dans le taux de conversion LPP[3]. Nombreux sont les bons exemples de caisses de pension qui ont fixé le taux de conversion par exemple à 5% et qui, dans le cas de revenus des placements systématiquement supérieurs, prévoient une participation aux excédents équitable et transparente[4].
- Loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité []
- Voir Commission de haute surveillance de la prévoyance professionnelle, CHS PP (2022). Rapport sur la situation financière des institutions de prévoyance en 2021. Un rendement annuel d’au moins 2,6% doit être obtenu pour que le capital disponible permette de verser une rente annuelle de 5,4%. Si cette condition n’est pas remplie, la caisse de pension (et, partant, les assurés actifs) doit compenser la perte, par exemple en réduisant la rémunération des avoirs de vieillesse, puisque les rentes sont garanties []
- UBS (2022). La réforme LPP 21: concilier la loi et la réalité []
- Par exemple la participation aux excédents de Raiffeisen Caisse de retraite []
Proposition de citation: Leibundgut, Reto (2023). Signification du revirement des taux pour les caisses de pension. La Vie économique, 21. février.