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Une bonne politique climatique dope l’économie

La politique climatique internationale a longtemps fait du surplace. Considérant que le secteur de la protection du climat est le marché porteur de demain, de plus en plus de pays se fixent cependant un objectif de zéro émission nette depuis quelques années.

Une bonne politique climatique dope l’économie

La protection du climat est un secteur porteur. En 2022, Elon Musk célèbre l’ouverture de la Gigafactory de Tesla, près de Berlin, en dansant. (Image: Keystone)

Le rapport de synthèse 2023 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) délivre une fois de plus un message bien connu: tant que l’humanité rejettera des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, la température moyenne générale de la terre augmentera. Si nous voulons maintenir cette hausse en dessous de 2°C, nous devrons avoir atteint la neutralité carbone d’ici à 2050. En d’autres termes, il ne faut pas relâcher dans l’atmosphère plus de gaz à effet de serre que ne peuvent en absorber les puits de carbone naturels ou artificiels.

Le problème des resquilleurs

D’un point de vue économique, éviter les émissions de gaz à effet de serre revient à protéger un bien public. Chaque tonne de CO2 que j’évite d’émettre contribue à atténuer la hausse globale de la température et à limiter les dommages afférents. Je ne suis pas le seul à en profiter puisque tout le monde en bénéficie, mais c’est moi seul qui en assume les coûts. Or, le bénéfice que mon évitement génère pour autrui ne peut être facturé à personne. Ce problème de «resquille» aboutit en fin de compte à ce que nous en fassions généralement trop peu pour le climat, chacun de nous espérant profiter des économies de carbone réalisées par son voisin sans s’imposer de limite à lui-même.

La solution classique à ce problème est dans les mains des pouvoirs publics, qui mettent à la disposition de tous des biens publics (infrastructures, formation et défense nationale, par exemple) qu’ils financent par les recettes fiscales. Or, cette solution n’existe pas au niveau mondial, car aucune autorité supranationale n’est susceptible d’imposer politiquement l’évitement des gaz à effet de serre à l’échelle mondiale.

La seule alternative réside donc dans les accords internationaux. Conclu en 2015, l’Accord de Paris a certes représenté une percée importante dans ce domaine, mais les succès effectivement remportés jusqu’ici sont modestes, car bien que (presque) tous les États de la planète l’aient ratifié[1], les promesses d’évitement des États membres ne suffiront pas pour limiter la hausse de la température à 2°C. À cela vient s’ajouter le fait que la plupart des pays (Suisse y compris) ne tiennent régulièrement pas ces mêmes promesses, un constat qui ne surprend guère au vu des problèmes de resquille mentionnés précédemment.

Tendance générale à la neutralité climatique

La tendance récente de la politique climatique internationale, que l’on peut observer depuis à peu près cinq ans, ne manque toutefois pas de surprendre: de plus en plus de pays s’astreignent à la neutralité climatique en instaurant des lois nationales unilatérales. L’UE, la Suisse, les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, l’Australie, le Brésil et de nombreux autres pays promettent d’atteindre cet objectif à l’horizon 2050. D’autres pays se montrent encore plus pressés, s’étant fixé 2035 (Finlande), 2040 (Islande et Autriche) ou 2045 (Allemagne et Suède) pour parvenir à l’objectif de zéro émission nette. Même des pays comme l’Arabie saoudite, la Russie et la Chine veulent atteindre cet objectif d’ici 2060, l’Inde d’ici 2070. Que faut-il penser de ces promesses qui vont à l’encontre de la logique de resquille observée depuis si longtemps?

On ne peut naturellement pas exclure tout à fait que ces promesses de neutralité climatique ne constituent – du moins partiellement – des déclarations politiques creuses qui seraient destinées par exemple à calmer – du moins provisoirement – une jeunesse toujours plus mobilisée en faveur du climat. Bien que cette hypothèse puisse se vérifier dans certains cas particuliers, de bonnes raisons économiques sont également susceptibles d’expliquer cette tendance générale car, à long terme, il n’existe pas d’alternative à la neutralité climatique. Les pays qui entament tôt leur transition technologique vers une économie durable disposent d’une longueur d’avance.

En pleine transition technologique

Les «coûts» d’une politique climatique efficace consistent essentiellement en des investissements dans des technologies respectueuses du climat. Dans de nombreux secteurs, la tendance à utiliser des sources d’énergie renouvelables se concrétise depuis plusieurs années. En raison de leurs progrès exponentiels, nous tendons toutefois à sous-estimer les nouvelles technologies pendant longtemps, jusqu’à ce qu’elles balaient ‒ apparemment du jour au lendemain ‒ les anciennes technologies établies.

C’est exactement ce que nous expérimentons actuellement avec la mobilité individuelle. Considérées il y a peu de temps encore comme un mini-créneau, les voitures électriques ont franchi depuis longtemps le seuil de la production de masse. Si leur développement exponentiel actuel se poursuit, le moteur à combustion sera banni avant 2030 du marché suisse des voitures de tourisme neuves (voir illustration)[2].

Nouvelles homologations de voitures de tourisme en Suisse (2010-2022)

GRAPHIQUE INTERACTIF

Source: Office fédéral de la statistique / La Vie économique

 

Une planification plus sûre grâce aux objectifs climatiques

La direction que prennent les mutations technologiques et leur rythme dépendent fortement des conditions auxquelles celles-ci sont soumises. La mobilité électrique profite par exemple de l’abaissement, par l’UE, du plafond des émissions de la flotte automobile à 95 grammes de CO2 par kilomètre et de la mise en place, par de nombreux pays, de subventions directes ou indirectes pour les voitures électriques ou pour les énergies éolienne et solaire.

Les conditions-cadres de ce type sont autant d’incitations à investir dans les technologies respectueuses du climat. Il en va exactement de même d’une cible nationale contraignante en matière de neutralité climatique. C’est donc là la première étape importante pour un pays désireux de préparer son économie nationale au changement, car il signale très tôt que les investissements à long terme dans les technologies reposant sur l’utilisation d’énergies fossiles ne sont plus rentables. La seconde étape importante consiste alors à fixer le prix des émissions de gaz à effet de serre et à l’augmenter progressivement, ce qui crée des incitations à court et moyen terme en faveur d’investissements «verts» et renforce la crédibilité de la cible de neutralité climatique à long terme.

La politique climatique suisse laisse à désirer

La Suisse s’est elle aussi fixé un objectif de neutralité climatique (zéro net d’ici 2050) et a instauré une taxe sur le CO2 (qui s’élève actuellement à 120 francs par tonne de CO2). Sa politique climatique laisse pourtant à désirer car la taxe sur le CO2 ne s’applique qu’aux émissions produites par les combustibles, et non pas à celles issues des carburants, alors que le climat se soucie peu de l’origine des gaz à effet de serre.

La stratégie à moyen terme de la Suisse, qui consiste à compenser une partie de ses émissions de CO2 par le biais de réductions réalisées à l’étranger, est elle aussi critiquable à deux égards. D’une part, dans un monde où tous les pays doivent atteindre la neutralité climatique, il n’y aura à moyen terme plus de possibilités «bon marché» de compenser les émissions à l’étranger, car il n’existe qu’un nombre limité de puits de carbone naturels. D’autre part, les compensations à l’étranger remettent à plus tard les investissements nécessaires dans la transformation de l’économie nationale. Or, à l’échelle mondiale, le secteur de la protection du climat est l’une des branches économiques qui croît le plus rapidement. Entre 2019 et 2022, son taux de croissance moyen a atteint 40% et, pendant la même période, les investissements dans les entreprises non cotées (private equity) ont nettement plus que doublé, passant de 75 à 196 milliards de dollars. Une étude du cabinet de conseils McKinsey estime qu’en 2030, le potentiel d’investissement dans ce secteur devrait se situer entre 9 et 12 milliards de dollars. Il est donc indispensable d’investir dans les technologies de protection du climat pour préserver et accroître notre prospérité économique et nos emplois. Certains pays l’ont bien compris et élaborent des politiques climatiques adaptées, à l’image des États-Unis qui prévoient des milliards de subventions afin d’attirer des sociétés nationales et étrangères spécialisées dans le domaine des technologies de protection du climat.

  1. L’Iran, le Yémen et la Libye en sont les exceptions peu glorieuses. []
  2. Même si cela prendra probablement un peu plus de temps, la plupart des constructeurs d’automobiles se sont déjà engagés à ne plus produire de nouveaux véhicules thermiques d’ici 2035 au plus tard. []

Proposition de citation: Ralph Winkler (2023). Une bonne politique climatique dope l’économie. La Vie économique, 10 octobre.