Faut-il réglementer l’intelligence artificielle?
Éclairage de Sita Mazumder, Haute école de Lucerne.
Réguler avant d’être dirigé? En 2008, le robot Asimo dirige un orchestre symphonique. (Image: Keystone)
Il n’existe pas de définition universelle. Selon le Parlement européen, il s’agit de la « possibilité pour une machine de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, l’apprentissage, la planification et la créativité ». Microsoft, à l’origine d’applications d’IA, la définit comme des technologies qui « complètent et renforcent » des capacités humaines telles que voir, entendre, analyser, prendre des décisions ou agir. On distingue par ailleurs différents stades d’évolution de l’IA: l’IA dite « faible » peut résoudre des problèmes concrets, comme la traduction de textes, tandis que l’IA « forte » vise à créer une intelligence égale, voire supérieure à l’intelligence humaine. Nous en sommes encore au stade de l’IA faible.
L’IA connaît actuellement un essor sans précédent, pratiquement imparable. En effet, les pratiques que nous interdisons chez nous peuvent demeurer légales ailleurs. Dans certains pays, comme la Chine, des milliards de dollars sont investis chaque année dans le développement de l’IA. La définition d’un but commun est un véritable enjeu de société, car il y a de nombreux conflits d’objectifs: par exemple, la convivialité des solutions d’IA s’obtient au prix de la sécurité. Dans ces circonstances, nous devrions plutôt chercher à contribuer à ce développement et à participer à la conception des innovations futures, plutôt qu’à les subir.
Pour une entreprise, se voir imposer des règles floues, c’est comme voler dans le brouillard sans radar.
La réglementation ne freine-t-elle pas l’innovation?
En apparence, oui, mais ce n’est pas si simple que cela. Certes, la réglementation complique et retarde souvent les innovations – quand elle ne crée pas de fausses incitations ou ne les interdit pas purement et simplement – mais on a déjà vu des interdictions stimuler l’innovation dans d’autres secteurs. S’agissant de l’IA, les dispositions légales, en vigueur ou en projet, sont majoritairement des interdictions, et donc un frein.
Les entreprises auraient-elles avantage à ce que le législateur agisse rapidement, afin d’avoir un cadre clair?
Oui et non. Le simple fait d’adopter des règles ne signifie pas forcément que celles-ci puissent guider notre action, car nous peinons à traduire ces dispositions en normes concrètes, surtout en ce qui concerne les techniques de pointe. Or, pour une entreprise, se voir imposer des règles floues, c’est comme voler dans le brouillard sans radar. Autrement dit, il faut commencer par mener un véritable débat de fond avant d’instaurer une réglementation.
Les institutions européennes se sont récemment mises d’accord sur la première loi du monde sur l’intelligence artificielle. Qu’est-ce que cela signifie pour la Suisse?
Après d’âpres négociations, le Parlement européen et les États membres de l’Union européenne sont parvenus à un accord menant en juin 2023 à l’adoption de la loi sur l’IA par le Parlement européen. Cette loi, qui pourrait entrer en vigueur dès 2024, vise en substance à prévenir toute discrimination de certains groupes de personnes fondée sur l’IA, à éviter toute tromperie et manipulation de l’opinion publique, à combattre l’opacité des applications en boîte noire et à empêcher le bouleversement de la vie en société ainsi que l’aggravation des inégalités. L’avenir nous dira quelles en seront les conséquences concrètes pour les organisations et les individus, notamment en Suisse. Cette loi pourra avoir un impact sur les entreprises suisses et l’on peut s’attendre à ce que notre pays aspire lui aussi à réglementer l’IA à l’avenir.
Proposition de citation: Éclairage de Sita Mazumder, Haute école de Lucerne. (2023). Faut-il réglementer l’intelligence artificielle? La Vie économique, 21. décembre.