Pénurie de logements en Suisse: état des lieux
Dans les communes rurales, la situation du logement est plus détendue que dans les villes. (Image: Keystone)
La pénurie de logements est un thème relayé par les médias suisses depuis un certain temps déjà. Si l’approche simpliste de la croissance démographique est souvent privilégiée, il faut également tenir compte de la diminution de la taille des ménages et de l’élargissement des surfaces habitables pour comprendre la situation actuelle du logement.
L’évolution de la population, de la taille des ménages et de la surface habitable diffère selon les régions, ce qui a des répercussions sur l’offre régionale de logements: ce sont surtout les ménages à faibles revenus qui sont touchés là où l’offre de logements se raréfie. Le présent article se penche sur ces thèmes en se basant sur des données statistiques.
Évolution du marché du logement
Entre 2015 et 2021, la Suisse a vu sa population augmenter de quelque 64 000 personnes en moyenne par an. Sur la base de la taille moyenne des ménages en 2021, soit 2,2 personnes par ménage, cette hausse correspond à un besoin supplémentaire de 29 000 logements par an. Outre la croissance démographique, la réduction de la taille moyenne des ménages (- 0,06 personne) a également contribué à une hausse de la demande de logements. Cette évolution, qui peut paraître négligeable, a entraîné une augmentation des besoins en logements à hauteur de 17 000 unités par an. Quelque 46 000 logements supplémentaires par an étaient donc nécessaires entre 2015 et 2021. Étant donné que le parc immobilier a augmenté de 56 000 logements en moyenne par an durant cette période, le taux de logements vacants national a augmenté, passant du taux plutôt faible de 1,18% à 1,54% pour l’ensemble de la Suisse.
La guerre en Ukraine, un tournant
L’année 2022 a été marquée par une croissance de la population (+158 000 personnes) due principalement aux 60 000 personnes originaires d’Ukraine qui ont fui la guerre dans leur pays. Compte tenu de la taille moyenne habituelle des ménages en Suisse actuellement, quelque 72 000 logements auraient été nécessaires pour accueillir ces personnes supplémentaires. Or, en 2022, le parc immobilier n’a augmenté que de 66 000 logements. De ce fait, le taux de logements vacants a reculé pour s’établir à 1,15%, jusqu’au début de l’été 2023, sur l’ensemble du territoire.
Deux facteurs permettent d’expliquer cette évolution. Premièrement, le taux de logements vacants au niveau national n’a rien d’exceptionnel, puisqu’il se situait majoritairement au-dessous de 1% entre 2001 et 2015. Deuxièmement, étant donné le caractère régional du marché du logement, le taux de logements vacants à l’échelle nationale n’est que peu significatif.
Pénurie de logements en milieu urbain
Bien que supérieure à l’évolution démographique, l’activité de construction de logements entre 2015 et 2021 n’a pas contribué à désengorger le marché du logement dans toutes les régions du pays. La population et le parc immobilier ont évolué de manière très différente selon les régions. On peut dire, pour simplifier, que plus les communes sont rurales, plus on observe un décalage entre l’évolution de la population et le nombre de logements (voir illustration 1).
C’est dans les communes urbaines que les courbes reflétant l’évolution relative de la population et du logement se rapprochent le plus, même si ce groupe de communes est très hétérogène. Dans les centres-villes des grandes agglomérations, le nombre d’habitants a augmenté plus fortement que le nombre de logements depuis 2010 (en pourcentage), un phénomène qui est particulièrement frappant dans les villes de Genève et de Zurich.
Ill. 1: Écart important entre l’évolution de la population et des logements dans les communes rurales (2010-2022)
Guère de logements vacants à Zurich et à Genève
La ville de Zurich souffre d’une pénurie chronique de logements. Depuis le début du millénaire, le taux de logements vacants n’a jamais dépassé 0,22%, atteignant même 0,06% au début du mois de juin 2023. Or, depuis 2010, la construction de logements n’est pas négligeable dans la ville de Zurich dont le parc immobilier a augmenté de 25 000 appartements, soit une hausse de 12%, tandis que le nombre d’habitants a progressé de 15% jusqu’en 2022. La situation semble un peu moins tendue dans les communes périphériques: Wallisellen affiche un taux de logements vacants de 3,5%, Dübendorf de 1,1%, et, dans les communes d’Uster et de Wetzikon, d’où l’on peut se rendre à Zurich en 20 minutes avec le train, le taux de logements vacants dépasse 1%.
La ville de Genève connaît une situation moins tendue puisque le taux de logements vacants y atteint 0,47%. Les communes périphériques contribuent toutefois moins largement à améliorer la situation. Dans les 45 communes genevoises, le taux de logements vacants est inférieur à 1% et, à Nyon, ville vaudoise toute proche, ce taux est plus bas qu’en ville de Genève, puisqu’il n’atteint que 0,31%.
Des ménages toujours plus petits
La taille des ménages est un facteur important de la pénurie de logements. Elle a déjà reculé pendant tout le XXe siècle[1] et cette tendance a persisté entre 2015 et 2021. En Suisse, le nombre moyen de personnes par ménage a diminué de 2,26 à 2,20, une évolution que l’on doit en particulier à l’augmentation du nombre de ménages unipersonnels (voir illustration 2), un type de ménage qui a augmenté proportionnellement dans toutes les catégories de communes. En revanche, la taille moyenne des ménages dans les villes de Zurich et de Genève est restée à deux personnes environ.
Ill. 2: Augmentation du nombre des ménages unipersonnels entre 2015 et 2021, dans toute la Suisse
Des appartements plus grands
La taille des surfaces habitables est un autre facteur à l’origine de la pénurie de logements. L’augmentation progressive de la taille des logements entraîne une diminution du nombre de logements par surface utile. En 2015, un appartement de trois pièces mesurait 79,6 mètres carrés en moyenne en Suisse, un chiffre qui a augmenté d’un mètre carré en l’espace de six ans.
La surface des appartements comptant au moins quatre pièces a augmenté elle aussi. Sans cette augmentation, on aurait pu construire quelques 40 000 appartements supplémentaires sur la même surface utile entre 2015 et 2021.
Pénurie de logements pour les ménages aux ressources limitées
L’augmentation de la taille des logements entraîne une hausse des coûts du logement, ce qui devient de plus en plus un problème pour les ménages disposant de revenus plus faibles. Les logements à prix modérés se trouvent souvent dans des immeubles locatifs construits entre 1946 et 1970. Étant donné l’âge de ces bâtiments, il faut cependant s’attendre à des rénovations importantes ou à des démolitions-reconstructions.
L’enquête sur le budget des ménages menée par l’Office fédéral de la statistique (OFS) met en évidence les problèmes posés par cette évolution. Pour les ménages appartenant à la catégorie de revenus la plus basse, la part du budget consacrée au logement augmente fortement depuis l’an 2000. Pour la période évaluée (de 2015 à 2017), les coûts du logement constituaient un bon tiers du revenu, soit six points de pourcentage supplémentaires que 15 ans auparavant. Les coûts du logement représentaient un peu plus de 20% du revenu des ménages appartenant à la catégorie de revenus située directement au-dessus de la catégorie de revenus la plus faible, soit un niveau légèrement plus bas qu’au début du siècle. Ces chiffres prouvent qu’il est nécessaire de construire davantage de logements à prix abordables et d’en garantir l’accès à long terme aux ménages à bas revenus.
Logements anciens: plus petits et meilleur marché
La Suisse compte environ 900 000 appartements situés dans des immeubles locatifs construits entre 1946 et 1970, soit 20% du parc immobilier. Ces appartements sont bon marché, non seulement parce qu’ils ont été bâtis selon d’anciennes normes de construction, mais aussi à cause de leur petite surface habitable: la moitié d’entre eux affichent une surface habitable de 76 mètres carrés au maximum.
Compte tenu du processus de vieillissement, quand les espaces habitables à prix abordables construits entre 1946 et 1970 sont rénovés ou démolis puis reconstruits, il ne faut pas s’attendre à ce que les espaces habitables aménagés par la suite soient tout aussi avantageux, car leur surface est trop grande. La moitié des logements construits dans les années 1970 ont une surface habitable d’au moins 90 mètres carrés, contre au moins 101 mètres carrés pour les logements datant des années 1980.
Il est particulièrement important de préserver les espaces habitables à prix abordables dans les grandes agglomérations, car c’est là que vivent la plupart des ménages (31%) dans des appartements construits entre 1946 et 1970. La pénurie actuelle de logements peut contribuer à intensifier le rythme de rénovation de ces immeubles. À cela s’ajoute le fait que l’assainissement énergétique tend à accélérer ces transformations.
Un risque accru de pauvreté
L’approche statistique a permis de montrer que la pénurie de logements sévit principalement dans et autour des villes de Zurich et de Genève. Elle révèle également que le problème des logements abordables pour les ménages à faibles revenus s’est aggravé, certains signes indiquant que cette évolution se poursuivra à l’avenir.
Si des mesures appropriées ne sont pas prises, la ségrégation socio-économique, c’est-à-dire le refoulement des segments de la population à faible capacité financière du centre-ville vers les communes périphériques, menace de progresser. Plus grave encore, les ménages à bas revenus pourraient voir augmenter considérablement leur risque de tomber dans la pauvreté en raison de la hausse des coûts du logement.
- Voir Willimann (2023). []
Bibliographie
- Willimann I. (2023). De la famille nombreuse au ménage unipersonnel. La Vie économique.
Bibliographie
- Willimann I. (2023). De la famille nombreuse au ménage unipersonnel. La Vie économique.
Proposition de citation: Willimann, Ivo; Lienhard, Melanie; Gmünder, Markus; Käppeli, Stephan (2024). Pénurie de logements en Suisse: état des lieux. La Vie économique, 06. février.