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«Nous avons surmonté le creux de la vague»

Directeur de la Chambre de commerce germano-suisse, Ralf Bopp constate que la faiblesse conjoncturelle persiste en Allemagne. Il souligne par ailleurs l’importance de la proximité des marchés suisse et allemand pour les petites entreprises.
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Ralf Bopp, dans son bureau à Zurich: «La pénurie de personnel qualifié est toujours citée comme un problème majeur dans les sondages que nous effectuons auprès de nos membres.»
Monsieur Bopp, l’Allemagne est le principal partenaire commercial de la Suisse. Soutenez-vous les entreprises suisses en Allemagne ou les entreprises allemandes en Suisse?

Les deux. Nous sommes au service des entreprises en Suisse, en Allemagne et dans la Principauté du Liechtenstein.

 

Est-il habituel qu’une chambre de commerce couvre deux pays à la fois?

Une chambre de commerce s’occupe pour l’essentiel de la promotion des exportations d’un pays d’origine vers un pays hôte. La chambre italienne, par exemple, a son siège en Suisse, alors que la chambre suisse a le sien en Italie. Dès ses débuts, il y a 112 ans, la Chambre de commerce allemande a été organisée sur une base bilatérale et compte depuis toujours parmi ses membres de très nombreuses entreprises suisses.

 

Recevez-vous de l’argent de l’État?

Nous ne bénéficions d’aucune aide d’État. Nous nous finançons grâce aux cotisations de nos membres et aux prestations payantes que nous fournissons.

 

De quel soutien les entreprises ont-elles besoin?

Nous conseillons les entreprises allemandes qui veulent investir sur le marché suisse ou inversement. Elles se demandent notamment s’il cela vaut effectivement la peine d’investir dans le marché voisin. Les entreprises qui évoluent depuis longtemps sur les deux marchés sollicitent notre appui dans le domaine opérationnel: elles s’intéressent à la manière de réaménager leurs réseaux de distribution plus efficacement ou ont des questions d’ordre juridique et fiscal.

 

La situation économique actuelle en Allemagne vous préoccupe-t-elle?

Nous nous trouvons en ce moment dans une phase persistante de faiblesse conjoncturelle. La récession légère que nous avons connue en 2023 s’est transformée cette année en une croissance réelle de 0,2%. La bonne nouvelle, c’est que nous avons surmonté le creux de la vague.

 

Vous n’êtes donc pas inquiet? Avez-vous déjà vécu une situation aussi difficile?

C’est surtout la combinaison de plusieurs facteurs qui est inhabituelle. Nous vivons en ce moment des bouleversements géopolitiques. Les flux commerciaux évoluent parce que de nombreuses entreprises diversifient leurs sources d’approvisionnement et que les obstacles au commerce se multiplient dans différents pays d’exportation. À cela viennent s’ajouter la hausse des coûts de l’énergie, la montée du protectionnisme en général et les problèmes structurels du marché intérieur.

 

Pour le monde politique, un chômage élevé a toujours été le signal que l’économie ne va pas bien. Mais cette interprétation ne fonctionne plus aujourd’hui.

 

Comme il y a vingt ans, le magazine «The Economist» qualifie l’Allemagne d’«homme malade de l’Europe». Qu’est-ce qui est différent aujourd’hui?

À l’époque, le problème de l’Allemagne, c’était le marché du travail: nous connaissions alors un fort taux de chômage et des salaires relativement élevés. Aujourd’hui, dans le sillage de la mondialisation, de très fortes interdépendances sont apparues entre les fournisseurs. Pour relever les nouveaux défis géopolitiques, les entreprises doivent diversifier leurs chaînes de livraison et les rendre plus résilientes. Mais chercher et entretenir plusieurs sources de livraison coûte cher. Contrairement à il y a vingt ans, le marché du travail et la demande privée ont plutôt un effet stabilisateur sur la conjoncture aujourd’hui. Nous avons certes connu une récession, mais les chiffres du chômage sont restés bas, et ils le sont toujours. C’est bien sûr réjouissant, mais cela entraîne aussi des erreurs d’appréciation de la situation.

 

Dans quelle mesure?

Pour le monde politique, un chômage élevé a toujours été le signal que l’économie ne va pas bien. Mais cette interprétation ne fonctionne plus aujourd’hui. Le nombre de chômeurs reste faible en raison de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée et de l’évolution démographique, ce qui amène les décideurs politiques à en conclure que l’économie se porte bien. Actuellement, les entreprises doivent s’occuper de tâches très importantes: nombre d’entre elles doivent revoir complètement leur modèle d’affaires et se préparer à de grandes restructurations. La pénurie de personnel qualifié ne fait qu’aggraver la situation.

 

Selon l’Institut de Kiel pour l’économie mondiale, le temps de travail devrait diminuer en Allemagne ces prochaines années. Qu’en pensez-vous?

La pénurie de personnel qualifié est toujours citée comme un problème majeur dans les sondages que nous effectuons auprès de nos membres. Elle devrait fortement s’aggraver au cours des prochaines années. Selon les prévisions, le nombre d’actifs en Allemagne reculera de 10% dans les dix ans. On peut résoudre ce problème soit en encourageant l’immigration qualifiée, soit en réalisant des gains d’efficacité. Si aucune de ces solutions ne fonctionne, la croissance ralentit. Dans ce contexte, une diminution du temps de travail va tout, sauf dans la bonne direction.

 

L’Allemagne et la Suisse ont de nombreux points communs: elles sont toutes les deux des nations exportatrices, ont un taux d’épargne élevé et possèdent toutes deux une industrie forte. En quoi se distinguent-elles?

D’une manière générale, la Suisse se distingue par une faible fiscalité des entreprises et par des infrastructures de premier plan. L’Allemagne a pour elle par exemple la taille de son marché et sa situation centrale, au cœur du marché intérieur européen. Elle dispose aussi de davantage de terrains disponibles, tandis qu’en Suisse, les grandes zones industrielles, quand elles existent, sont relativement chères. Dans les domaines de la science et de la recherche, l’Allemagne et la Suisse sont au coude à coude. Les deux pays possèdent une grande capacité d’innovation.

 

Qu’est-ce qui pénalise le plus les entreprises exportatrices suisses: la vigueur du franc ou la faiblesse de la conjoncture allemande?

Le problème du franc fort ne date pas d’hier, bien qu’on ait plutôt affaire à un euro faible qu’à un franc fort. Au final, la situation est la même pour les entreprises et elle reste difficile, les obligeant à fermer de nombreux secteurs d’activités. La faiblesse de la conjoncture pèse encore davantage sur les exportations vers l’Allemagne. C’est notamment le cas dans le secteur des machines, des équipements électriques et de la métallurgie qui compte beaucoup de petites et moyennes entreprises pour lesquelles le marché allemand est important en raison de sa proximité.

 

«Nous sommes un prestataire de services qui a pour mission de soutenir les entreprises dans les échanges commerciaux.» (Image: Keystone/Christian Merz)

 

Quels autres problèmes rencontrent les entreprises suisses qui exportent vers l’Allemagne?

Des difficultés de livraison importantes sont apparues pendant la pandémie. Elles ont bien souvent incité les entreprises à constituer des stocks qui doivent être réduits à présent. C’est l’une des raisons de l’essoufflement de la demande allemande. Un autre problème fréquemment cité est celui du dédouanement effectué à la frontière puisque la Suisse n’est pas membre de l’union douanière. Dans l’Union européenne, les camions peuvent généralement traverser les frontières sans devoir s’arrêter. Les entreprises nous disent souvent qu’elles aimeraient pouvoir faire de même, car les opérations de dédouanement impliquent une lourde charge administrative.

 

Le poids de la bureaucratie fait aussi débat en Allemagne. Quel est-il pour les entreprises?

La bureaucratie est un vrai problème en Allemagne. Elle est jugée trop envahissante dans chaque sondage que nous réalisons auprès de nos membres et est devenue une entrave aux investissements. Une entreprise moyenne typique de la restauration consacre en moyenne quatorze heures par semaine aux tâches administratives.

 

Comment en est-on arrivé là?

Le droit de la construction est l’un des plus grands obstacles administratifs. Mais, ces cinq à dix dernières années, d’autres règlements sont venus s’ajouter, notamment la législation sur la protection des données, les devoirs de diligence en matière de chaînes d’approvisionnement et les règles concernant la décarbonation. Cela entraîne un renforcement des obligations d’information et de documentation, rendant les procédures de planification et d’autorisation plus fastidieuses. Si les grandes entreprises délèguent ces tâches à des spécialistes, dans les petites entreprises, celles-ci finissent sur le bureau du chef. Il est temps que cela change.

 

Qu’attendez-vous de la quatrième loi sur l’allègement de la bureaucratie voulue par le gouvernement allemand?

Cette loi ne prend pas assez en compte les revendications de l’économie. Elle aurait déjà dû être adoptée début juillet, mais le vote a été reporté. On ne peut qu’espérer que le gouvernement soit suffisamment sérieux dans ce dossier car il en va finalement de l’une des conditions-cadres les plus importantes pour l’économie allemande.

 

En tant que directeur de la chambre de commerce, intervenez-vous dans la politique?

Notre chambre de commerce ne se mêle pas de politique. Nous sommes un prestataire de services qui a pour mission de soutenir les entreprises dans les échanges commerciaux. Si un problème survient, nous en faisons part aux services gouvernementaux compétents pour amener le thème à l’ordre du jour.

 

Certaines entreprises helvètes n’achètent pas d’outils à des entreprises situées à plus de 200 kilomètres.

 

La droite populiste de l’AfD a le vent en poupe auprès de l’électorat allemand. Les patrons de Deutsche Bank et d’Infinion, le fabricant de semi-conducteurs, s’en inquiètent et plaident pour plus d’immigration. La situation politique a-t-elle une influence sur les entreprises suisses?

Je ne l’ai pas constaté jusqu’à présent. Les investissements ne faiblissent pas. D‘un point de vue politique, cette évolution est préoccupante, mais je crois que la démocratie bénéficie d’un large et solide soutien en Allemagne. Il y aura un débat avec les populistes de droite, qui ont souvent des réponses simples, mais n’apportent pas de solutions, selon moi. Il faut néanmoins mener ce débat politique et le monde économique doit, dès qu’il en a l’occasion, défendre les valeurs et les principes démocratiques.

 

Le volume des échanges commerciaux de la Suisse avec le Bade-Wurtemberg et la Bavière réunis est plus important qu’avec la Chine. Quels sont les avantages pour les entreprises suisses de commercer avec les Länder voisins?

Pour les entreprises suisses, dont plus de 95% sont des PME, la proximité du marché allemand est très importante. Certaines entreprises helvètes n’achètent pas d’outils à des entreprises situées à plus de 200 kilomètres parce qu’elles veulent pouvoir se rendre sur place rapidement, en voiture, pour discuter régler une question précise ou examiner des échantillons de produits. La proximité réduit les temps de transport et facilite le contrôle des chaînes de livraison et les devoirs de diligence.

 

Vous étiez déjà à la chambre de commerce lorsque la Suisse a refusé d’adhérer à l’Espace économique européen.

Je m’en souviens encore très bien, c’était le 6 décembre 1992. J’étais déjà membre de la direction de la chambre de commerce, où j’étais responsable du département de conseil économique. Je savais que le scrutin serait serré, mais le refus de la Suisse fut une énorme déception.

 

Jusqu’à quand allez-vous rester à votre poste de directeur?

Je partirai à la retraite en septembre. C’est l’une de ces échéances que l’on connaît des décennies à l’avance, mais qui surprend malgré tout.

 

Vous êtes d’origine allemande. Avez-vous l’intention de rester en Suisse?

Oui, ma famille est ici, mes enfants, mes petits-enfants. Mes attaches sont en Suisse.

Proposition de citation: Entretien avec Ralf J. Bopp, Directeur de la Chambre de commerce germano-suisse (2024). «Nous avons surmonté le creux de la vague». La Vie économique, 16. juillet.

Ralf J. Bopp

Ralf Bopp (64 ans) travaille depuis plus de 30 ans à la Chambre de commerce germano-suisse, dont près de 20 ans en tant que directeur. Il dirige actuellement une équipe de 26 personnes. À la fin du mois de septembre 2024, il partira à la retraite et sera remplacé dans ses fonctions par Marion Hohmann-Viol. Depuis plus de 110 ans, la Chambre de commerce germano-suisse informe et conseille les entreprises allemandes et suisses sur toutes les questions relevant des relations économiques entre l’Allemagne, la Suisse et le Liechtenstein. Elle compte quelque 1600 membres, dont un tiers sont des entreprises suisses.