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Institution mondiale – 80 ans du Fonds monétaire international

Les missions du Fonds monétaire international ont fortement évolué depuis sa création. Comment intègre-t-il les nouveaux défis?
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Des représentants du Canada, des États-Unis et de l’Union soviétique à Bretton Wood (États-Unis), où le Fonds monétaire international a été créé en 1944. (Image: Keystone)

Le Fonds monétaire international (FMI) est en constante évolution. Quels changements a-t-il gérés, comment ses outils ont-ils évolué et à quels défis fait-il actuellement face[1]? Le présent article se penche sur ces questions.

Le FMI a été créé en même temps qu’une série d’institutions, dont la Banque mondiale et l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (Gatt, remplacé par l’Organisation mondiale du commerce ou OMC en 1995), afin d’instaurer un ordre économique international stable après la Seconde Guerre mondiale. Son but était de promouvoir un cadre monétaire et financier permettant une circulation sans entrave des flux financiers liés au commerce mondial (la convertibilité des comptes courants) pour soutenir la croissance économique. Dans un système de taux de change fixes, cela devait être atteint par la suppression des restrictions discriminatoires sur les changes et l’interdiction des dévaluations compétitives, les ajustements des taux de change étant soumis à l’approbation du FMI. Des prêts à court terme, conditionnés à la mise en place de réformes de politique macroéconomique, devaient venir en aide aux pays confrontés à des déficits de balance des paiements (comme le Royaume-Uni) à retrouver l’équilibre. Des contrôles des flux de capitaux étaient également prévus afin de contrer les activités spéculatives. Plusieurs pays, notamment l’URSS, n’ont pas rejoint le FMI à sa création. Cette abstention, associée au faible poids économique des pays en développement dans l’institution et à la prédominance du dollar, ont conduit à une domination initiale des pays occidentaux.

Les activités du FMI ont démarré progressivement. L’objectif de convertibilité des comptes courants des principales monnaies européennes n’a été atteint qu’à la fin des années 1950. Le FMI a connu des changements majeurs tout au long de son histoire. Au début des années 1970, l’effondrement du système de change fixes a fait entrer le monde dans un régime de taux flottants. En outre, les limites du système de contrôles de capitaux ont conduit le FMI à accepter une plus grande mobilité des capitaux. L’adhésion de plusieurs nouveaux pays à la fin de l’URSS, ainsi que le poids économique croissant des économies émergentes et en développement, ont soulevé des questions de gouvernance. Enfin, les politiques budgétaires et monétaires, qui jouent un rôle central dans les recommandations du FMI, se sont avérées être une boîte à outils trop limitée. Pour s’adapter et préserver sa légitimité, le FMI a donc étendu ses activités au-delà des prêts, en proposant à ses membres des conseils de politique économique et une assistance technique.

De nouveaux outils de politique économique

Les prêts aux pays traversant une crise constituent l’activité la plus visible du FMI. Pendant la majeure partie de son histoire, cette aide a été accordée une fois la crise survenue et conditionnée à des politiques d’ajustement macroéconomique restrictives par les pays bénéficiaires. Cette approche s’est révélée de plus en plus inadaptée face aux changements systémiques profonds tels que la mondialisation financière, comme l’a par exemple montré la crise asiatique de 1997-1998[2]. La palette d’outils du FMI s’est alors élargie à des politiques macroprudentielles visant la stabilité du système financier (limitation de l’activité des banques par ex.), des interventions sur le marché des changes, ainsi que des mesures de gestion des flux de capitaux (GFC) limitant la mobilité du capital. La position du FMI sur les mesures de GFC a considérablement évolué au fil du temps[3]. Un examen institutionnel réalisé en 2012 a reconnu que les flux de capitaux peuvent être excessivement volatils, qu’ils peuvent alimenter les vulnérabilités financières (comme les bulles immobilières) et que leur libéralisation doit se faire par étapes. Dans une mise à jour de cette position[4], le rôle des mesures de GFC a été reconnu, pour autant que celles-ci visent à prévenir l’accumulation de vulnérabilités financières, tout en les considérant comme une dernière ligne de défense qui ne doit pas se substituer à d’autres politiques. En outre, le FMI a créé des outils de prêts préapprouvés auxquels les pays peuvent recourir plus rapidement et qui représentent actuellement 40% de son soutien total[5].

L’utilisation et la combinaison appropriées de ces nouveaux outils soulèvent de nombreuses questions qui ont poussé le FMI à développer un «cadre d’action intégré[6]», un outil d’analyse englobant à la fois l’ensemble des outils et les frictions financières pertinentes, afin que les conseils de politique économique reposent sur un cadre cohérent. Ce cadre montre par exemple que les interventions sur les marchés des changes ne sont efficaces que lorsque la participation limitée des investisseurs privés entrave le fonctionnement du marché. Si la richesse du cadre est sa principale force, il est difficile de tirer des leçons générales d’une longue liste de cas particuliers. Mais peut-être ne faut-il pas s’attendre à des recettes économiques largement applicables et adapter les politiques aux spécificités de chaque pays.

Les défis de gouvernance et de légitimité

Initialement, le FMI était dominé par les économies avancées, qui détenaient au sein de l’institution 70% des quotes-parts et des droits de vote, dont 35% revenaient aux seuls États-Unis (voir illustration). Bien que cette part ait progressivement diminué, elle reste élevée, conférant aux États-Unis un véritable droit de veto sur les décisions importantes. Si le poids des économies émergentes et en développement, en particulier de la Chine, a augmenté, il reste inférieur au poids de ces pays dans le PIB mondial. Cette tendance se retrouve également dans la composition du droit de tirage spécial, l’unité de compte du FMI qui se compose principalement du dollar et de l’euro, et n’inclut que le renminbi chinois parmi les économies émergentes.

Ill.: Évolution des quotes-parts au FMI (1950-2024,% du total)

GRAPHIQUE INTERACTIF
Source:  Fonds monétaire international / Calculs des auteurs / La Vie économique

Cette situation alimente depuis longtemps les critiques sur la représentativité et la crédibilité du FMI, avec des appels réguliers à une réforme. La lenteur des progrès sur ce thème alimente le risque que des pays rejoignent d’autres institutions, comme l’initiative de Chiang Mai en Asie du Sud-Est ou l’accord de réserve contingente des pays Brics[7]. Il en résulte une fragmentation de l’architecture financière mondiale au détriment de la légitimité du FMI. La Chine, dont l’influence en matière de financement du développement et d’assistance en cas de crise grandit, est en passe de devenir une alternative au FMI[8].

Le changement climatique, un nouveau défi

Comme la plupart des institutions de politique économique, le FMI doit faire face à de nouveaux défis susceptibles d’affecter son mandat. Reconnu comme un enjeu politique mondial majeur depuis 1989, le changement climatique, qui entraîne des effets économiques majeurs, y figure en bonne place. En 2021, une revue exhaustive de surveillance s’appuyant sur les travaux entamés au milieu des années 2010 a proposé une nouvelle facilité de financement à long terme afin d’aider les pays à limiter l’impact du changement climatique sur leur balance des paiements (par exemple l’effet des catastrophes liées au climat sur les importations). Néanmoins, le Bureau indépendant d’évaluation du FMI a constaté que des actions supplémentaires étaient nécessaires, estimant que le FMI a pris du retard par rapport à d’autres institutions et qu’il existe un décalage entre les objectifs stratégiques et les actions spécifiques mises en place[9].

Le FMI est également confronté à la difficulté de prendre en compte des questions nouvelles, comme la hausse des inégalités et l’émergence des monnaies numériques. Il devra à l’avenir évaluer l’adéquation de ces thèmes avec sa mission. Tous les sujets politiques, même s’ils sont très pertinents, ne doivent pas nécessairement être traités par l’institution. Dans un monde de plus en plus fragmenté, les tensions politiques constituent une gageure supplémentaire pour la fixation d’objectifs ambitieux par le conseil d’administration du FMI et leur mise en œuvre.

  1. Plus d’informations sur le FMI dans les podcasts Dembinski et al. (2022). []
  2. Cette crise a vu plusieurs pays d’Asie faire face à des problèmes de financement externe, quand bien même leur situation budgétaire était satisfaisante. Elle a montré le rôle central du système bancaire et financier, notamment via sa vulnérabilité aux mouvements du taux de change. []
  3. Ostry (2022) []
  4. FMI (2022) []
  5. Pazarbasioglu (2023) []
  6. Adrian et Gopinath (2020) []
  7. Les pays Brics sont: le Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. []
  8. Horn et al. (2023) []
  9. Bureau indépendant d’évaluation du Fonds monétaire international (2024). []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Dembinski, Paul; Panizza, Ugo; Swoboda, Alexandre; Tille, Cédric (2024). Institution mondiale – 80 ans du Fonds monétaire international. La Vie économique, 05. novembre.

La Suisse au Fonds monétaire international*

La Suisse est membre du FMI depuis 1992. Le chef respectivement la cheffe du Département fédéral des finances (DFF) la représente au comité monétaire et financier international (CMFI). En sa qualité de responsable du groupe de vote composé de l’Azerbaïdjan, du Kazakhstan, du Kirghizistan, de l’Ouzbékistan, de la Pologne, de la Serbie, du Tadjikistan et du Turkménistan, la Suisse occupe un siège permanent au conseil d’administration du FMI, l’instance chargée de surveiller les affaires en cours de l’institution et d’approuver les directives concernant ses activités. Depuis 2014, la Suisse occupe en alternance avec la Pologne un siège au sein du conseil d’administration. Le groupe de vote auquel elle appartient représente un poids électoral de 2,88%. La quote-part de la Suisse s’élève à 1,17%.

*Ces informations sont issues du site Internet du Secrétariat d’État aux questions financières internationales (SFI).