La politique agricole commune de l’UE et, par conséquent, l’ensemble du système alimentaire doivent devenir plus durables. Récolte de salades en Allemagne. (Image: Keystone)
Établie par le traité de Rome en 1957, puis conclue par les six pays fondateurs de l’UE[1] en 1962, la politique agricole commune (PAC) fêtera ses soixante-trois ans en début d’année prochaine. Elle constitue ainsi l’une des plus anciennes politiques de l’Union. Et pourtant, malgré son âge, elle ne songe pas à prendre sa retraite de sitôt, bien au contraire!
Car si ses buts généraux sont restés les mêmes – accroître la productivité de l’agriculture; assurer un niveau de vie équitable à la population agricole; stabiliser les marchés; garantir la sécurité de l’approvisionnement; et assurer des prix raisonnables à la consommation – les défis à relever, eux, n’ont cessé d’évoluer. Et par là même, les réponses apportées par l’UE. Preuve en est la présente PAC 2023-2027, qui a constitué la dernière grande réforme en la matière.
Une politique agricole durable
Entrée en vigueur le 1er janvier 2023 – sur la base d’une proposition initiale de la Commission européenne datant de 2018, après un accord politique provisoire entre le Conseil de l’UE et le Parlement européen de 2021, et moyennant un régime transitoire de deux ans – la nouvelle PAC portait en elle une forte volonté de changement. Un «véritable tournant dans la manière dont nous pratiquons l’agriculture partout en Europe[2]», annonçait même la Commission.
Cette politique se distinguait des précédentes par son orientation. En effet, l’UE s’était efforcée de donner à la PAC 2023-2027 des accents plus durables afin de contribuer à la réalisation du «pacte vert pour l’Europe» ainsi que des stratégies «De la ferme à la table» (Farm to Fork, F2F) et «en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030» présentées entre 2019 et 2020. En particulier, la F2F aspirait à transformer le système alimentaire de l’UE pour qu’il devienne «équitable, sain et respectueux de l’environnement». Elle s’inscrivait dans l’esprit du temps, aux approches holistiques et transversales. Une série de dix objectifs communs recouvrant les trois dimensions de la durabilité – économique, sociale et environnementale – avaient été fixés, autour desquels la PAC allait s’articuler (voir illustration).
Les 10 objectifs de la politique agricole commune (PAC) de l’UE
Des buts ambitieux et des mécanismes renforcés
Des valeurs de référence, d’ordre plus technique, avait été communiquées. L’UE visait entre autres la culture de 25% des terres en agriculture biologique, une réduction de 50% de l’utilisation et des risques des pesticides, et une réduction de 50% des pertes de nutriments. La F2F comportait en outre un plan d’action de 23 mesures, allant bien au-delà du cadre de la PAC, mais dont l’impact sur le secteur de la production agricole était indéniable. Ont ainsi vu le jour une série de propositions, concernant notamment la déforestation, la restauration de la nature, les nouvelles techniques génomiques, les produits phytosanitaires ou encore les émissions industrielles (y compris dans l’élevage) et le carbone.
Dans cette optique verte, l’UE avait renforcé ses exigences de conditionnalité, qui lient l’obtention de fonds de la PAC au respect de standards de durabilité (appelés, dans le jargon bruxellois, des «normes relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales des terres», BCAE). Au-delà de ces exigences de base, elle avait également introduit des éco-régimes, soit des programmes volontaires pour soutenir des pratiques agricoles en faveur du climat, de l’environnement, du bien-être animal et de la lutte contre la résistance aux antimicrobiens.
Fin 2021, les colégislateurs saluaient encore le caractère progressiste de leur nouvelle politique. Pour le Conseil, la PAC 2023-2027 devait permettre «un avenir plus juste et plus durable pour les agriculteurs[3]». Pour le Parlement, elle marquait «une avancée vers une politique agricole plus ambitieuse sur le plan environnemental, plus à l’écoute de la société[4]».
Sécurité alimentaire et revendications agricoles
Mais, dans un contexte de crises mondiales marqué par la pandémie de Covid-19, l’inflation et le conflit en Ukraine, les enjeux liés à la sécurité alimentaire, à la production et à l’approvisionnement n’allaient pas tarder à revenir sur le devant de la scène. Le tout accompagné d’une certaine exaspération du monde agricole, qui revendique l’obtention d’un revenu décent et une réduction de la charge administrative qui pèse sur lui. En première partie d’année 2024, les manifestations d’agricultrices et agriculteurs sont arrivées jusqu’à Bruxelles.
Promptement, l’UE a réagi: octroi de dérogations et d’exemptions des BCAE concernant notamment les sols, la rotation des cultures et les jachères; retrait par la Commission de la proposition d’utilisation durable des pesticides; ou encore renforcement de la position économique des agricultrices et des agriculteurs, notamment par la mise en place d’un observatoire de la chaîne agroalimentaire de l’UE. En parallèle, un dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture a été lancé. Réunissant une trentaine de parties prenantes du secteur agroalimentaire, il a remis ses recommandations à la fin de l’été.
Par la suite, en septembre dernier, la Cour des comptes européenne a conclu dans un rapport spécial qu’en raison de ses objectifs et indicateurs, il s’avérerait «difficile de démontrer les réalisations de la PAC au cours de la période 2023-2027[5]». En octobre, la présidence hongroise du Conseil a quant à elle publié des conclusions en vue d’une PAC post-2027 axée sur les agricultrices et des agriculteurs. Finalement, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen a annoncé qu’elle présenterait une vision pour l’agriculture et l’alimentation dans les 100 premiers jours de son second mandat.
En cette deuxième partie d’année 2024, la prochaine étape de la PAC apparaît donc d’ores et déjà à l’horizon: celle du laborieux exercice de conception de la politique post-2027. Celle-ci devra s’efforcer de répondre aux défis actuels et futurs. Et surtout parvenir à composer avec les attentes des différentes parties prenantes. Affaire à suivre.
Bibliographie
- Commission européenne (2021). Accord politique sur la nouvelle PAC: une politique plus équitable, plus verte et plus souple. Communiqué de presse, 25 juin.
- Conseil de l’UE (2021). Le Conseil adopte une politique agricole plus juste, plus verte et davantage fondée sur les résultats pour la période 2023-2027. Communiqué de presse, 2 décembre.
- Cour des comptes européenne (2024). Rapport spécial 20/2024. Les plans relevant de la politique agricole commune. Plus verts, mais en deçà des ambitions climatiques et environnementales de l’UE.
- Parlement européen (2021). La réforme de la politique agricole commune approuvée par les députés. Communiqué de presse, 23 novembre.
Bibliographie
- Commission européenne (2021). Accord politique sur la nouvelle PAC: une politique plus équitable, plus verte et plus souple. Communiqué de presse, 25 juin.
- Conseil de l’UE (2021). Le Conseil adopte une politique agricole plus juste, plus verte et davantage fondée sur les résultats pour la période 2023-2027. Communiqué de presse, 2 décembre.
- Cour des comptes européenne (2024). Rapport spécial 20/2024. Les plans relevant de la politique agricole commune. Plus verts, mais en deçà des ambitions climatiques et environnementales de l’UE.
- Parlement européen (2021). La réforme de la politique agricole commune approuvée par les députés. Communiqué de presse, 23 novembre.
Proposition de citation: Sapin, Michaël (2024). La politique agricole de l’UE, entre durabilité et sécurité alimentaire. La Vie économique, 10. décembre.
Les compétences en matière de politique agricole sont partagées entre l’UE et les États membres. Depuis la réforme de 2023, chaque État membre doit établir un plan stratégique national, dans lequel il détermine les interventions pertinentes pour atteindre les objectifs de la PAC, en fonction des besoins spécifiques identifiés, accompagnées d’indicateurs.
La PAC est structurée en deux fonds pour trois catégories d’interventions. Le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA, communément appelé «premier pilier») couvre le soutien aux revenus (les fameux «paiements directs», aujourd’hui majoritairement découplés) et le soutien aux marchés. Le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader ou «deuxième pilier») couvre le développement rural. La PAC représente environ un tiers du budget total de l’UE. Pour 2021-2027, près de 387 milliards d’euros lui sont alloués: 291 milliards pour le premier pilier (dont 270 milliards pour le soutien aux revenus et 21 milliards pour le soutien aux marchés) et 96 milliards pour le deuxième pilier.