
Les investissements directs étrangers créent également des emplois en Suisse. (Image: Keystone)
La Suisse est le siège de nombreuses entreprises multinationales qui ont des relations financières étroites avec des sociétés de leur groupe domiciliées à l’étranger (sociétés «non résidentes»). Elle fait partie des pays présentant les stocks d’investissements directs les plus importants du monde – tant pour ceux détenus à l’étranger par des résidents que pour ceux détenus en Suisse par des non-résidents. C’est ce qui apparaît dans la statistique des investissements directs que la Banque nationale suisse (BNS) publie chaque année depuis 1985[1]. On constate cependant un recul de ces stocks ces dernières années dans les deux directions d’investissements (voir illustration 1).
Entre 2018 et 2023, les investissements directs suisses à l’étranger sont passés de 1511 milliards de francs à 1288 milliards de francs, soit une baisse de 15%, et les investissements directs étrangers en Suisse de 1345 milliards de francs à 930 milliards de francs, soit un recul plus sensible encore, de près d’un tiers. Comment expliquer cette évolution?
Ill. 1: Recul des investissements directs
GRAPHIQUE INTERACTIF
Le rôle du recul des capitaux en transit
Les raisons de l’évolution mentionnée se trouvent dans les capitaux détenus en Suisse par des sociétés financières et des holdings contrôlées par des non-résidents[2]. Les entreprises multinationales non résidentes qui contrôlent ces sociétés bénéficient des avantages juridiques et fiscaux offerts par la Suisse, mais les capitaux qu’elles y injectent n’ont pas d’incidence sur l’emploi et sur l’investissement en Suisse. C’est pourquoi ils sont également appelés «capitaux en transit».
Entre 2005 et le pic atteint en 2016/2017, l’augmentation des stocks d’investissements directs suisses à l’étranger, d’un côté, et étrangers en Suisse, de l’autre côté, a été portée pour une grande partie par des capitaux en transit (voir illustration 1). L’année 2018 constitue un tournant: l’entrée en vigueur, aux États-Unis, de la réforme fiscale «Tax Cuts and Jobs Act» a incité les entreprises multinationales domiciliées dans ce pays à rapatrier leurs bénéfices réalisés à l’étranger. Parallèlement, les entreprises multinationales ont commencé à simplifier leur structure, réduisant encore davantage les bilans de leurs filiales domiciliées en Suisse. Ces deux facteurs ont conduit à un fort recul des capitaux en transit en Suisse et, partant, à une baisse généralisée des investissements directs[3].
Que signifie cette évolution pour la Suisse? En tout état de cause, une baisse des capitaux en transit ne devrait pas avoir de conséquence sur l’économie réelle. La statistique des groupes d’entreprises établie par l’Office fédéral de la statistique confirme du reste cette hypothèse: elle fait apparaître entre 2018 et 2023 une augmentation tant du nombre d’entreprises contrôlées en Suisse par des non-résidents (+21%; total: 18 000) que des effectifs de celles-ci (+13%; total: 573 000)[4]. Malgré le recul des investissements directs, l’économie suisse semble donc demeurer attractive pour les entreprises multinationales non résidentes.
Les États-Unis sont le principal investisseur direct en Suisse
Le recul des capitaux en transit s’est accompagné de changements dans la domiciliation des investisseurs directs. La BNS publie deux ventilations géographiques sur les investissements directs étrangers en Suisse: l’une en fonction de la domiciliation de l’investisseur immédiat, c’est-à-dire de l’entité qui détient une participation directe dans la filiale résidente, et l’autre, en fonction de celle de l’investisseur ultime, c’est-à-dire du véritable propriétaire des capitaux qui contrôle cette filiale. Si l’on observe les données ventilées en fonction de l’investisseur ultime, les stocks détenus par des entités domiciliées aux États-Unis ont fortement reculé ces dernières années (voir illustration 2). En revanche, si l’on s’intéresse à la domiciliation de l’investisseur immédiat, ce sont surtout les stocks d’entités domiciliées dans l’Union européenne (UE) qui ont baissé. On peut en déduire que la baisse observée des capitaux en transit a été principalement impulsée par des entités domiciliées aux États-Unis qui détenaient des participations dans des sociétés intermédiaires domiciliées dans l’UE. Les sociétés intermédiaires les plus touchées ont été celles établies au Luxembourg, aux Pays-Bas et en Autriche.
En 2023, les principaux investisseurs immédiats demeuraient toutefois domiciliés dans l’UE, avec environ 65% des stocks (contre seulement 16% détenus par des entités domiciliées aux États-Unis), et les principaux investisseurs ultimes étaient toujours domiciliés aux États-Unis, avec 39% des stocks (contre 32% détenus par des entités domiciliées dans l’UE et respectivement 10% par des entités domiciliées en Europe hors UE et par des entités domiciliées en Asie).
Ill. 2: La plupart des investisseurs immédiats sont domiciliés dans l’UE, tandis que la majorité des investisseurs ultimes sont aux États-Unis
GRAPHIQUE INTERACTIF
L’UE, principale destination des investissements directs suisses à l’étranger
S’agissant des investissements directs suisses à l’étranger, les données sont ventilées uniquement en fonction de la domiciliation de l’entreprise d’investissement direct immédiate. Ces données montrent qu’en 2023, l’UE était, et de loin, la première destinataire des investissements directs suisses (46% des stocks, soit 588 milliards de francs), suivie des États-Unis (22% ou 288 milliards) (voir illustration 3). Parmi les économies dans lesquelles les entités domiciliées en Suisse détiennent les stocks les plus importants figurent, comme on pouvait s’y attendre, des pays hébergeant de nombreuses holdings, tels que les Pays-Bas, le Luxembourg, Singapour et les centres financiers offshore d’Amérique centrale et du Sud. L’essentiel de ces stocks est très probablement constitué de capitaux en transit, mais les données disponibles ne permettent pas de déterminer le destinataire ultime de ces capitaux et les sociétés intermédiaires impliquées.
En revanche, la statistique des données opérationnelles sur les filiales non résidentes d’entreprises résidentes fournit des informations sur les activités économiques réelles dans les pays d’accueil[5]. Elle présente notamment les effectifs non seulement des filiales directes mais aussi des filiales indirectes des entreprises multinationales domiciliées en Suisse. Si l’on met en regard les effectifs de ces filiales et les stocks d’investissements directs suisses à l’étranger, on obtient des indications précieuses sur la destination finale des investissements directs suisses: des stocks élevés et des effectifs réduits signalent la présence de sociétés intermédiaires dans un pays.
En 2023, les entreprises multinationales domiciliées en Suisse employaient 2,5 millions de personnes dans leurs filiales non résidentes, dont 40% dans l’UE (1 008 000 personnes) et 14% (340 000 personnes) aux États-Unis. Les États-Unis, les Pays-Bas et le Luxembourg, qui présentent des stocks importants par rapport aux effectifs employés, sont, comme la Suisse, le siège de nombreuses sociétés intermédiaires dont les fonds propres sont constitués de capitaux en transit. À l’inverse, en Allemagne ou dans de grands pays émergents comme la Chine, le Brésil et l’Inde, les entreprises domiciliées en Suisse emploient des effectifs conséquents par rapport au total des stocks d’investissements directs qu’elles y détiennent.
Ill. 3: Les pays aux stocks d’investissements directs élevés et aux effectifs réduits sont plutôt des sites d’implantation de sociétés intermédiaires (2023)
GRAPHIQUE INTERACTIF
Bibliographie
- BNS (2016). Estimation des capitaux en transit dans la statistique suisse des investissements directs. Investissements directs 2016.
- BNS (2021). Évolution actuelle des capitaux en transit dans la statistique suisse des investissements directs. Investissements directs 2021.
- BNS (2024a). Investissements directs suisses à l’étranger – Pays et groupes de pays.
- BNS (2024b). Investissements directs étrangers en Suisse – Pays et groupes de pays.
- BNS (2024c). Effectifs des filiales non résidentes d’entreprises résidentes – pays et groupes de pays
- FMI (2024). Coordinated Direct Investment Survey (CDIS).
- Office fédéral de la statistique (2024). Statistique des groupes d’entreprises (STAGRE).
Bibliographie
- BNS (2016). Estimation des capitaux en transit dans la statistique suisse des investissements directs. Investissements directs 2016.
- BNS (2021). Évolution actuelle des capitaux en transit dans la statistique suisse des investissements directs. Investissements directs 2021.
- BNS (2024a). Investissements directs suisses à l’étranger – Pays et groupes de pays.
- BNS (2024b). Investissements directs étrangers en Suisse – Pays et groupes de pays.
- BNS (2024c). Effectifs des filiales non résidentes d’entreprises résidentes – pays et groupes de pays
- FMI (2024). Coordinated Direct Investment Survey (CDIS).
- Office fédéral de la statistique (2024). Statistique des groupes d’entreprises (STAGRE).
Proposition de citation: Lengg, Patrick; Gerweck, Lisa; Flühmann, Alexander (2025). Investissements directs: le recul se poursuit. La Vie économique, 11 mars.