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«Le président Trump souhaite des tarifs douaniers plus élevés, mais aussi des ʺdealsʺ»

Le ministre de l’Économie Guy Parmelin mise sur le dialogue avec le nouveau gouvernement américain. Il s’appuie sur les bonnes expériences qu’il a faites en la matière lors de la première administration Trump, soulignant l’importance que revêt la Suisse pour les États-Unis. Il évoque également avec nous la question des accords de libre-échange.
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Le ministre de l’Économie Guy Parmelin, dans l’aile est du Palais fédéral: «Les États-Unis sont importants pour la Suisse, mais, inversement, la Suisse est elle aussi importante pour les États-Unis.» (Image: Keystone / Anthony Anex)
L’entretien a eu lieu le 13 février 2025. La rédaction a été clôturée le 5 mars 2025.
Monsieur le Conseiller fédéral, vous qui vous passionnez pour la mythologie grecque, y a-t-il des dieux ou des héros qui vous inspirent en particulier?

Plusieurs d’entre eux m’inspirent, mais j’en prendrai deux en particulier: Athéna, déesse de l’intelligence et de la sagesse, et Dionysos, dieu du vin et de la joie.

Dionysos n’aurait pas vraiment de quoi se réjouir aujourd’hui. Comment se porte l’économie mondiale?

C’est vrai, les taux de croissance sont inférieurs à la moyenne. Mais si l’on considère la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine et la hausse des prix de l’énergie qui en résulte, ainsi que l’inflation et les taux d’intérêt, on doit reconnaître que nos économies font montre d’une remarquable résilience. Les écarts sont toutefois marqués entre les différents espaces économiques. Sur notre marché prioritaire qu’est l’Europe, l’Allemagne connaît d’importantes difficultés. Les États-Unis se portent mieux.

C’est votre troisième mandat au sein du Conseil fédéral. Votre travail est-il devenu plus exigeant?

Oui, indéniablement. Nous étions constamment en mode gestion de crise ces dernières années. Néanmoins, c’est la première fois depuis 2020 que je n’ai pas eu à traiter une affaire urgente pendant les vacances de Noël. Malgré cela, la situation internationale reste préoccupante.

À quel propos en particulier?

Le niveau d’incertitude est très élevé en ce moment, notamment pour ce qui touche à la politique économique et commerciale des États-Unis. Des risques existent par exemple en lien avec l’évolution de l’économie et la formation de blocs au niveau planétaire. Les niveaux d’endettement de nombreux pays constituent eux aussi un facteur déstabilisant pour les économies du monde entier.

Avec près de 18%, les États-Unis sont le principal destinataire de nos exportations. Que signifie le retour du président Donald Trump pour l’économie de notre pays?

Il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives à ce propos. Comme annoncé avant même son investiture, le président Trump souhaite introduire des tarifs douaniers plus élevés, mais il veut aussi conclure des «deals». Ce que nous pouvons dire avec certitude, c’est que dès 2017, nous avons entretenu d’excellentes relations avec la première administration Trump. Les entretiens exploratoires en vue d’un accord de libre-échange ne se sont certes pas poursuivis, mais ils ont montré qu’il y avait des chances d’instaurer une étroite coopération économique. Nous avons ainsi signé début 2023, sous l’administration Biden, un accord de reconnaissance mutuelle en matière d’inspection des bonnes pratiques de fabrication dans le domaine des médicaments, qui facilite le commerce dans ce secteur.

Les entretiens exploratoires menés sous la première administration Trump ont été interrompus et il n’y a pas eu d’entretiens sous l’administration Biden. Un accord de libre-échange avec les États-Unis est-il désormais à portée de main?

Un accord de libre-échange au sens traditionnel sera difficile à atteindre. Le processus est long et compliqué puisqu’il faut obtenir l’aval du Congrès. Un grand nombre de parties prenantes influentes y interviennent, en particulier dans l’agriculture.

Il faut s’abstenir de surréagir à ce type de nouvelles.

Les droits de douane avec les États-Unis sont d’ores et déjà très bas. Pour la moitié des produits, les droits sont nuls et, pour les autres, ils atteignent rarement 3%. Quelle serait l’utilité d’un accord de libre-échange (ALE) avec les États-Unis?

Le volume d’échanges avec les États-Unis est important. Même avec des droits modérés, les choses s’additionnent, et le potentiel d’économie – presque 700 millions de francs – n’est pas négligeable. Avec un ALE, il ne s’agit pas uniquement d’abolir les droits de douane: il en va aussi de la prévisibilité et de la sécurité juridique pour nos entreprises. La libéralisation touche, qui plus est, plusieurs domaines, pas uniquement les tarifs douaniers, soit par exemple dans le secteur non tarifaire, tout ce qui touche les services et les investissements. Dans les autres secteurs aussi, il est important pour notre économie de pouvoir bénéficier de conditions-cadres favorables.

Y a-t-il déjà des échanges avec les autorités américaines?

Nous venons d’établir de premiers contacts informels. L’essentiel est de conserver une perspective gagnant-gagnant pour les deux parties. Les États-Unis sont importants pour la Suisse, mais, inversement, la Suisse est elle aussi importante pour les États-Unis.

En quoi la Suisse est-elle importante pour les États-Unis?

La Suisse est très innovante. Diverses coopérations sont en cours dans le domaine scientifique, par exemple celle avec les EPF dans le secteur spatial. Plusieurs de nos entreprises sont par ailleurs déjà actives aux États-Unis. Puisqu’elles ont besoin de personnel compétent, nous avons très récemment approfondi la collaboration entre nos deux pays dans le domaine de la formation professionnelle, collaboration qui profite aussi aux entreprises américaines. Les entreprises suisses investissent à grande échelle aux États-Unis, ce qui fait de nous le principal investisseur étranger dans le domaine de la recherche et du développement aux États-Unis.

Et il y a des entreprises américaines en Suisse.

Très juste. Par exemple, Google et Microsoft ont des filiales en Suisse. Pour elles, le bon niveau de formation du personnel et la faible densité réglementaire qu’offre la Suisse sont d’une importance cruciale. Ce sont là deux de nos atouts clés.

L’administration Biden a annoncé en janvier l’intention des États-Unis de restreindre à compter du mois de mai les exportations vers la Suisse de puces électroniques destinées à l’IA. C’est problématique pour la recherche en Suisse. Comment réagissez-vous à cette annonce?

Il faut s’abstenir de surréagir à ce type de nouvelles. Nous devons commencer par analyser les raisons de cette décision et déterminer qui est véritablement touché. Pour trouver une bonne solution, il faut d’abord arriver à une bonne compréhension de la situation, puis engager le dialogue avec les États-Unis. Nous avons 120 jours pour réagir, ce que nous ferons certainement via tous les canaux adéquats.

Vous misez donc sur le dialogue avec le gouvernement états-unien?

Absolument! Le dialogue et la discussion directe sont importants car c’est la seule façon de comprendre l’autre partie, et vice versa. Nous avons déjà fait de bonnes expériences, en adoptant cette approche avec la première administration Trump, par exemple avec mon homologue de l’époque, Wilbur Ross, avec lequel nous avons pu discuter de manière très pragmatique. Je veux croire que cela sera également possible avec le ministre du Commerce actuel, Howard Lutnick.

 

Le ministre de l’Économie Guy Parmelin : «La qualité de l’accord est plus importante que le calendrier.» (Image: Keystone / Anthony Anex)

 

Vous mettez actuellement à jour l’accord de libre-échange avec la Chine. Où en est ce dossier?

J’ai engagé les négociations en septembre dernier avec mon homologue chinois, dans le cadre d’une cérémonie virtuelle. Un premier tour de négociations se tiendra à Pékin en mars prochain. Nos objectifs sont au nombre de trois. Nous voulons tout d’abord améliorer l’accès au marché chinois pour les produits helvétiques importants. Pour les investissements, ensuite, il s’agit d’améliorer l’accès au marché dans les deux directions. Enfin, nous voulons mettre en avant la durabilité, en particulier les questions environnementales et les conditions de travail.

Cela ne risque-t-il pas d’entraîner des tensions avec les États-Unis? Autrement dit, faut-il que la Suisse choisisse son camp?

La diversification des chaînes d’approvisionnement et de distribution est capitale pour la résilience de notre économie. Nous entretenons un dialogue commercial régulier avec les États-Unis. Notre ALE avec la Chine n’a jusqu’ici pas semblé poser de difficulté particulière dans ce cadre.

En 2019 déjà, le Conseil fédéral annonçait une percée dans le cadre des négociations de l’accord de libre-échange avec le Mercosur. Cinq ans ont passé depuis, sans que l’on soit parvenu à une signature. Quel est l’horizon temporel probable?

Après que les États de l’AELE et du Mercosur sont parvenus à un accord de principe en août 2019, le règlement des questions en suspens a été retardé du fait de la pandémie et de changements à la tête de certains pays du Mercosur. Entretemps ont été posées sur la table de nouvelles exigences qu’il nous faudra traiter dans le cadre de nouvelles rondes de négociations. Quelques obstacles subsistent, notamment dans les domaines de la propriété intellectuelle, du développement durable et de l’agriculture.

La signature de l’accord est-elle toujours prévue pour le premier semestre de cette année?

En principe, oui, mais il faut que le résultat soit satisfaisant. S’il s’avère qu’il nous faudra plus de temps, nous devrons l’accepter. La qualité de l’accord est plus importante que le calendrier. Ou comme aimait à le dire Alain Berset, on ira aussi vite que possible, mais aussi lentement que nécessaire.

Depuis plus d’une année, la Suisse ne prélève plus de droits de douane sur les produits industriels. Est-ce un désavantage dans le cadre de la négociation d’un ALE?

Les droits de douane sur les produits industriels ne constituent généralement plus le facteur décisif dans le cadre de la négociation d’un accord de libre-échange. Les droits de douane perçus par la Suisse jusqu’en 2023 étaient de toute façon très bas.

On peut lire dans le dernier rapport sur la politique économique extérieure que, pour réagir aux initiatives de politique industrielle prises un peu partout dans le monde, le Conseil fédéral mise sur les accords de libre-échange, mais aussi sur l’amélioration des conditions-cadres. Qu’entendez-vous par là?

Au contraire de ce que font d’autres pays, nous ne menons pas de politique industrielle à grand renfort de moyens financiers. Nous nous efforçons d’offrir des conditions-cadres favorables à toutes les entreprises, sans cibler tel ou tel secteur. Prenons par exemple la loi sur le climat et l’innovation. Ou encore la loi révisée sur le CO2, qui vise à assurer aux entreprises les liquidités nécessaires pour qu’elles puissent avancer sur la voie de la décarbonation. Nous estimons par ailleurs judicieux de réglementer avec mesure et de sauvegarder la flexibilité et l’ouverture du marché du travail. Le Parlement a approuvé l’an dernier la loi sur l’allégement des coûts de la réglementation, qui améliore les conditions-cadres économiques pour l’ensemble des entreprises.

Nous devons continuer de diversifier nos relations économiques à l’international par le biais d’accords de libre-échange.

Au cours de la dernière session, le Parlement a décidé de venir en aide aux aciéries par des rabais sur les taxes sur l’électricité jusqu’en 2028. Est-ce là le début d’une politique industrielle suisse?

Il n’est pas certain que les quatre entreprises concernées recourront effectivement à ce programme. Un cadre strict a été défini. Mais ce n’était pas là votre question. Le Parlement a pris la décision de s’engager sur cette voie. Le Conseil fédéral, lui, était fondamentalement réticent, et il n’ira certainement pas plus loin. C’est en connaissance de cause que la Suisse a renoncé à mener des programmes de politique industrielle ces dernières décennies, et cela lui a très bien réussi.

Le Parlement examine en ce moment la loi sur l’examen des investissements étrangers, qui prévoit que certains investissements étrangers devront être soumis à une approbation préalable. La Suisse est l’un des rares pays de l’OCDE à ne pas être doté d’une autorité de contrôle des investissements. Pour quelles raisons?

Le Conseil fédéral a de tout temps eu la conviction qu’il fallait ménager un accès aussi libre que possible aux investissements étrangers. Et n’oublions pas que la Suisse dispose déjà d’instruments efficaces, qui renforcent la sécurité et l’ordre publics. Les infrastructures critiques sont par exemple en grande partie en main de l’État, et l’approvisionnement économique du pays est là pour garantir que la Suisse ne connaisse pas de pénuries de biens et de services vitaux.

L’inflation reste plus faible en Suisse que dans les pays voisins. Nombre de Suisses ont néanmoins le sentiment que tout devient plus cher. Que pouvez-vous leur répondre?

D’une manière générale, il importe de distinguer entre l’inflation, soit l’évolution des prix, et le niveau des prix. Quand l’inflation est nulle, cela ne veut pas dire que les prix reculent, ils cessent simplement d’augmenter. L’impression selon laquelle certains produits sont plus chers qu’il y a quelques années n’est donc pas en contradiction avec un taux d’inflation bas. Le taux d’inflation mesuré était ainsi de 0,3% en février, alors qu’il avoisinait 3,5% en août 2022. Enfin, il ne faut pas oublier que la stabilité des prix est du ressort de la Banque nationale et non de la politique économique.

Peu avant Noël, le Conseil fédéral annonçait l’aboutissement des négociations avec l’UE. Quel est selon vous l’aspect le plus important du point de vue économique?

L’essentiel est de considérer l’entier du paquet. Avec la stabilisation et la poursuite de la voie bilatérale, la Suisse entend assurer à ses entreprises l’accès au marché intérieur européen. L’UE est de loin notre partenaire commercial le plus important. Parallèlement, nous devons continuer de diversifier nos relations économiques à l’international par le biais d’accords de libre-échange.

La Schweizer Illustrierte écrivait il y a peu qu’une affiche du FC Lausanne-Sports ornait le mur de votre carnotzet. Prévoyez-vous d’aller au stade pour un match de l’Euro féminin en juillet prochain?

À mon grand regret, un voyage en Australie et en Nouvelle-Zélande m’empêchera d’assister aux trois premiers matches de l’équipe suisse. Mais je suis optimiste quant à mes chances de pouvoir venir l’encourager, après la phase de groupes, en quart de finale.

Permettez-nous, pour conclure, de regarder dans une boule de cristal. Votre passeport diplomatique est valable jusqu’en 2029, avez-vous récemment indiqué. Serait-ce le signe que vous envisagez de rester conseiller fédéral au-delà du renouvellement intégral de décembre 2027?

Je suis au Conseil fédéral depuis dix ans. J’ai toujours dit qu’au 1er janvier 2028, je n’en ferais probablement plus partie. Maintenant, c’est vrai que mon passeport diplomatique est valable jusqu’en 2029, mais je ne resterai aussi longtemps que si l’on me titille trop à ce sujet (sourit).

Proposition de citation: Entretien avec le Conseiller fédéral Guy Parmelin (2025). «Le président Trump souhaite des tarifs douaniers plus élevés, mais aussi des ʺdealsʺ». La Vie économique, 10 mars.

Guy Parmelin

En 2015, le Parlement a élu Guy Parmelin, 65 ans, pour remplacer Eveline Widmer-Schlumpf (PBD), au sein du gouvernement suisse. Avant de prendre la tête du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche en 2019, le conseiller fédéral UDC a dirigé le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports. Jusqu’à son élection au Conseil fédéral, il gérait l’exploitation viticole familiale.