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La recherche fondamentale stimule l’innovation locale dans les nouvelles technologies

La Suisse est en tête du classement de l’Indice mondial de l’innovation depuis 14 ans. Elle le doit en grande partie à sa recherche fondamentale.
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La recherche fondamentale est essentielle pour les innovations. Un poster dans le bâtiment administratif de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (Cern). (Image: Keystone)

Les économies émergentes sont toujours plus nombreuses à se spécialiser dans la fabrication de produits ou composants standardisés, à l’exemple du Vietnam pour les textiles ou de la Pologne s’agissant des composants industriels. D’autres pays – en premier lieu la Chine, mais aussi l’Inde et la Corée du Sud – ne sont plus seulement des sites de production, mais se situent désormais à la pointe de l’innovation mondiale dans des secteurs de haute technologie, tels que l’intelligence artificielle, les semi-conducteurs ou les énergies renouvelables. Dans un environnement aussi dynamique, la Suisse doit innover en permanence, améliorer l’efficacité de ses processus de production et exploiter de nouvelles idées pour pouvoir maintenir des salaires élevés et s’assurer une forte valeur ajoutée[1].

Toute la question est donc de savoir comment la Suisse peut asseoir sa position de chef de file de l’innovation dans un contexte mondial marqué par une vive concurrence internationale et de profondes mutations technologiques.

L’innovation se nourrit de plus en plus de la recherche fondamentale

Le présent article s’appuie sur une étude comparative réalisée au niveau de plusieurs pays en vue de déterminer combien de brevets basés sur des publications scientifiques et, donc, sur une recherche fondamentale majoritairement financée par des fonds publics y avaient été délivrés, ces brevets servant ici d’indicateurs de l’innovation. Il s’avère que leur nombre a été multiplié par six au cours des 40 dernières années (voir illustration). Avec une part de 39%, la Suisse se classe en tête, suivie par le Royaume-Uni (38%) puis les États-Unis (36%), et, dans son cas, ce pourcentage élevé tient surtout à des dépôts de brevets dans les domaines de la chimie et des sciences de la vie, qui se fondent plus que d’autres sur des découvertes scientifiques.

Le fait que la recherche fondamentale joue un rôle croissant dans l’innovation ne signifie pas nécessairement que l’une et l’autre doivent être regroupées sur un même site géographique, car les résultats des travaux scientifiques sont publiés dans des revues spécialisées qui sont généralement en libre accès dans le monde entier. Néanmoins, l’étude susmentionnée[2] a démontré de manière empirique l’importance d’une proximité géographique entre les activités de recherche et celles consacrées à l’innovation: en particulier lors de la phase initiale du développement de nouvelles technologies, il est essentiel qu’elles soient étroitement associées au sein d’une région pour que celle-ci puisse s’affirmer comme un pôle d’innovation dans le domaine en question[3].

Un nombre croissant de brevets basés sur des publications scientifiques

GRAPHIQUE INTERACTIF
Exemple de lecture: en 2019, 39% des brevets accordés à des innovations suisses avaient un lien direct avec des découvertes scientifiques. Source: calculs des auteurs / Patstat / Reliance on Science / La Vie économique

L’importance cruciale d’une recherche fondamentale locale

L’analyse a porté sur un grand nombre de nouvelles technologies, notamment l’intelligence artificielle et de nouveaux anticorps, et couvert des milliers de régions de pays de l’OCDE, dont la Suisse, l’Allemagne et les États-Unis, en les classant dans quatre groupes: les régions qui se positionnent comme des pionnières scientifiques dans une nouvelle technologie (science pioneers), celles qui sont très innovantes dans des technologies connexes et présentent de ce fait un fort potentiel d’innovation dans une nouvelle technologie (innovation strongholds), celles qui sont des pionnières scientifiques tout en possédant un fort potentiel d’innovation (super-clusters) et celles qui n’affichent aucune des caractéristiques susmentionnées. Ces dernières constituent le groupe de référence de l’étude avec lequel ont été comparés les trois premiers groupes de régions.

Cette analyse a livré un enseignement notable: les régions qui sont des pionnières scientifiques dans une activité tout en possédant un fort potentiel d’innovation (super-clusters) sont celles qui se démarquent le plus dans une nouvelle technologie. Par rapport au groupe de référence, elles détiennent une avance technologique en croissance constante, et durable. Cette avance a atteint son apogée à la fin de la période de 20 ans sur laquelle a porté l’étude, les régions concernées déposant chaque année près de deux fois plus de brevets dans une nouvelle technologie.

Il est particulièrement intéressant de noter que les régions qui se positionnent comme des pionnières scientifiques dans une nouvelle technologie mais qui ne présentent pas un fort potentiel d’innovation (science pioneers) acquièrent au fil du temps une plus grande longueur d’avance en matière d’innovation que celles qui détiennent uniquement un potentiel élevé en la matière (innovation strongholds). Ce constat vient souligner l’importance que revêt l’existence d’une solide base scientifique pour les innovations dans les nouvelles technologies: en son absence, il est quasiment impossible pour les entreprises d’une région de jouer un rôle de chef de file de l’innovation dans les nouvelles technologies, même quand leur potentiel est fondamentalement élevé en la matière.

Quelles conclusions tirer pour la Suisse?

Les résultats de l’étude montrent que, s’agissant de l’innovation dans les nouvelles technologies, les régions sont particulièrement performantes quand elles possèdent une recherche fondamentale forte et un potentiel d’innovation élevé dans les technologies concernées. Pour la Suisse, cela pourrait signifier, entre autres, d’encourager l’excellence scientifique précisément là où il existe déjà un potentiel d’innovation élevé.

En tant que pôle de référence mondial dans les sciences de la vie, Bâle pourrait, par exemple, promouvoir le développement d’une excellence scientifique dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) appliquée à cette discipline. De son côté, Zurich pourrait profiter de son statut de place financière d’envergure internationale pour se positionner comme un acteur de premier plan dans la recherche scientifique sur les technologies financières en vue de renforcer durablement la capacité d’innovation dans ce secteur en plein essor. Dans ces deux cas, outre l’excellence scientifique, l’environnement global joue également un rôle en étant propice à la prise de risques, en permettant aux jeunes pousses d’accéder au capital-risque et en favorisant l’innovation grâce à une réglementation avisée.

  1. Rutzer et Weder (2021) montrent comment la Suisse a pu maintenir aussi bien sa position dans le secteur industriel par rapport à d’autres pays. []
  2. Voir Filimonovic et al. (2024). []
  3. Les avantages d’une concentration géographique de la recherche et de l’innovation ont déjà fait l’objet de travaux de recherche en économie, dont ceux de Balland et Boschma (2022), mais cette nouvelle étude a permis de mettre en évidence pour la première fois l’importance d’une proximité géographique avec la recherche fondamentale, en particulier au stade précoce du développement des technologies. []

Bibliographie
  • Balland P.-A. et Boschma R. (2022). Do Scientific Capabilities in Specific Domains Matter For Technological Diversification In European Regions? Research Policy 51, 10 (décembre).
  • Filimonovic D. et al. (2024). Does Early Regional Scientific Leadership Translate Into Lasting Innovation Advantage? WWZ Working Paper n° 11 (octobre), Université de Bâle, Faculty of Business and Economics.
  • Rutzer Ch. et Weder R. (2021). De-Industrialisierung der Schweiz? Fakten, Gründe und Strategien im internationalen Vergleich, Cham: Springer Gabler.

Bibliographie
  • Balland P.-A. et Boschma R. (2022). Do Scientific Capabilities in Specific Domains Matter For Technological Diversification In European Regions? Research Policy 51, 10 (décembre).
  • Filimonovic D. et al. (2024). Does Early Regional Scientific Leadership Translate Into Lasting Innovation Advantage? WWZ Working Paper n° 11 (octobre), Université de Bâle, Faculty of Business and Economics.
  • Rutzer Ch. et Weder R. (2021). De-Industrialisierung der Schweiz? Fakten, Gründe und Strategien im internationalen Vergleich, Cham: Springer Gabler.

Proposition de citation: Filimonovic, Dragan; Rutzer, Christian; Weder, Rolf (2025). La recherche fondamentale stimule l’innovation locale dans les nouvelles technologies. La Vie économique, 08 avril.