
Christine Antlanger-Winter, directrice de Google Suisse, à Zurich: «Pour les PME aussi, l’accès à l’IA est simple et nécessite peu de compétences spécialisées.» (Image: Keystone / Michael Buholzer)
J’utilise les deux, et bien d’autres moyens encore. Je me sers de Gemini, notre plateforme d’IA, tout en continuant d’utiliser la recherche Google. Beaucoup de personnes ignorent que celle-ci s’appuie largement sur l’IA, depuis des années.
(Rires). Nous trouverons bien une expression – nous n’en sommes qu’au début. La recherche Google vient d’être enrichie de nouveaux éléments d’IA, appelés «Aperçus IA». Depuis fin mars, ils permettent d’afficher un résultat généré par IA dans certaines requêtes de recherche Google, y compris en Suisse.
Ces deux produits ont des champs d’application différents. Leur utilité dépend de la tâche que l’on doit effectuer. Les «Aperçus IA» de Google montrent toutefois qu’enrichir les résultats d’une recherche avec des réponses générées par l’IA apporte une valeur ajoutée.
Nous avons cocréé l’IA et menons depuis longtemps des recherches dans ce domaine. Le «T» de GPT désigne la technologie «transformer» qui a été développée par des collaborateurs de Google dès 2017 et a déclenché un immense changement de paradigme. L’IA elle-même existe déjà depuis plusieurs décennies et constitue depuis longtemps la base de nos produits. La recherche Google, Google Lens ou Google Maps: tous ces outils s’appuient sur l’IA.
Il existe des modèles pour différents domaines d’application. Google Gemini est par exemple très fortement axé sur la multimodalité. Cela signifie qu’il comprend non seulement les textes, mais qu’il peut aussi traiter des images, des vidéos et des contenus audios. Notre dernier modèle appelé Gemini 2.5 est actuellement en tête des classements d’IA dans la catégorie des grands modèles de langage.
Nous pensons que la valeur ajoutée que l’IA apporte à la société et au climat est supérieure à son coût énergétique.
Ces deux dernières années, il y a eu effectivement une effervescence dans l’entraînement des modèles au sein du secteur technologique. Mais les différentes applications de l’IA ne débutent pas systématiquement par l’entraînement d’un grand modèle: il en existe de plus petits pour une multitude d’applications et qui fonctionnent de manière plus bien économe en énergie. Bien que la consommation d’énergie de Google ait légèrement augmenté, nous nous en tenons à notre objectif de ne peut plus émettre de CO2 d’ici 2030. Nous avons atteint la neutralité carbone depuis 2017 déjà. Nous pensons que la valeur ajoutée que l’IA apporte à la société et au climat est supérieure à son coût énergétique.
Nous menons par exemple un projet de recherche dans l’aéronautique. L’application d’IA que nous avons développée indique aux pilotes des couloirs aériens alternatifs afin de réduire de plus de 35% les traînées de condensation, qui sont un poste important d’émissions de CO2 des compagnies aériennes. Un outil de Google DeepMind, notre unité dédiée à l’IA, en est un autre exemple: il permet de mieux prévoir les feux de forêt ainsi que le moment où un littoral est exposé à un risque de raz-de-marée. En outre, l’IA gagne sans cesse en efficacité, devenant ainsi une partie de la solution. Elle nous permet ainsi de réduire de 30% à 40% la consommation d’énergie nécessaire au refroidissement de nos centres de données.
Je vous donne encore un exemple: nous utilisons nos propres puces d’IA dans nos centres de données. Cette toute nouvelle génération de puces, baptisée Trillium, consomme 67% d’énergie en moins que la précédente. Comme lors des débuts d’Internet, les infrastructures évoluent en permanence. En outre, toutes les applications d’IA n’ont pas recours à des modèles d’entraînement de la même taille. Il faut tenir compte de ces facteurs dans l’équation.
Le changement technologique est absolument énorme, nous entrons dans une nouvelle ère. Mais Google n’a pas commencé à s’intéresser à l’IA il y a deux ans seulement: celle-ci est déjà présente dans tous nos produits et ceux-ci rapportent déjà de l’argent, que ce soient via les liens sponsorisés dans la recherche Google, le marketing sur YouTube, les solutions en nuage ou les divers abonnements payants. Le modèle de base reste le même.
Nous nous appuyons sur ce qui existe déjà, le développement de l’IA s’inscrit dans une économie numérisée. À la fin des années 1990, la situation était différente: les entreprises commençaient alors tout juste à intégrer des technologies basées sur l’Internet dans leurs activités quotidiennes.
Christine Antlanger-Winter: «Nous sommes très satisfaits du site de Zurich qui représente l’un de nos plus grands centres de recherche et de développement en dehors des États-Unis.» (Image: Keystone / Michael Buholzer)
L’avantage de l’IA générative, sous la forme qu’elle revêt depuis deux ans, est qu’elle est facilement accessible via des agents conversationnels. Grâce à eux, n’importe quelle entreprise peut très facilement optimiser ses processus. Nous avons commandé une étude qui révèle que, au cours des dix prochaines années, l’IA générative pourrait contribuer à l’augmentation du PIB suisse à hauteur de 85 milliards de francs maximum. Si l’on compare avec le reste de l’Europe, la Suisse affiche le potentiel de gains de productivité le plus élevé des pays analysés avec un taux de croissance de son PIB pouvant atteindre 11%.
Pour ne citer que quelques exemples, de nombreuses entreprises m’ont confié que leur gestion des réclamations est aujourd’hui bien plus efficace et davantage automatisée. Les centres d’appels, le marketing et les domaines créatifs enregistrent eux aussi des gains de productivité.
Selon notre étude, 66% des emplois en Suisse seront plus productifs grâce à l’IA générative. Les métiers des services et de la finance recèlent le plus grand potentiel. On estime en revanche que 8% des emplois ne seront plus maintenus sous leur forme actuelle et que autres 20% ne profiteront guère de l’IA générative.
(Rires). Étant donné que nous développons cette technologie, notre entreprise se concentre bien entendu fortement sur la recherche et le développement de l’IA. Nous exploitons nous aussi les possibilités de cette technologie dans toute une variété de métiers.
L’ouverture d’esprit et la volonté d’essayer de nouvelles choses signent leur retour en grâce. Pour les PME aussi, l’accès à l’IA est simple et nécessite peu de compétences spécialisées. Mais la réflexion sur de nouvelles façons de procéder dépend de la culture d’entreprise de chacune d’entre elles et de leur culture de l’innovation.
Il y a des années de cela, notre CEO Sundar Pichai soulignait déjà que l’IA était trop importante pour ne pas être régulée, tout en étant trop importante pour ne pas être bien régulée. Il faut considérer avec sérieux son potentiel d’innovation pour l’économie et la société, tout en agissant de manière responsable. La proposition du Conseil fédéral va dans ce sens. Pour la Suisse, il s’agit avant tout de garantir les avantages dont le pays bénéficie actuellement en tant que pôle d’innovation. La Suisse est déjà très bien placée dans ce domaine et jouit d’une excellente réputation à l’échelle mondiale. Néanmoins, il lui faut éviter le «Swiss finish», à savoir des règlements qui ne s’appliqueraient qu’à elle.
Dès 2018, nous nous sommes dotés de règles éthiques claires en formulant nos «AI Principles». Mais c’est à la sphère politique qu’il appartient de définir le cadre réglementaire.
Dès 2018, nous nous sommes dotés de règles éthiques claires en formulant nos «AI Principles». Mais c’est à la sphère politique qu’il appartient de définir le cadre réglementaire; il est d’ailleurs juste et primordial que ce soit elle qui s’en charge, car ce n’est pas notre rôle. En revanche, des échanges en bonne intelligence entre les différentes parties prenantes sont nécessaires, et la Suisse excelle particulièrement dans ce domaine.
Je ne peux répondre à cette question que pour la Suisse, qui bénéficie d’un environnement très privilégié avec de hautes écoles de renommée mondiale et des échanges au-delà des frontières linguistiques du pays. C’est justement cet écosystème qui explique la présence de Google en Suisse depuis 20 ans, car nous pouvons attirer ici les meilleurs talents du monde entier. À cela vient s’ajouter un système politico-économique libéral et ouvert.
Nous sommes très satisfaits de ce site qui représente l’un de nos plus grands centres de recherche et de développement en dehors des États-Unis. À Zurich, des personnes travaillent dans divers domaines de l’IA, comme Gemini, NotebookLM, Google Lens ou encore Project Astra, un assistant d’IA actif en permanence, qui réagit en temps réel à la voix et aux images. C’est comme avoir un compagnon intelligent en permanence avec vous.
Très bien. Nous collaborons étroitement avec les hautes écoles fédérales, les EPF de Zurich et de Lausanne. Nous finançons des projets de recherche et travaillons directement avec des post-docs qui acquièrent une expérience pratique au travers de nos projets, avant de poursuivre, pour certains, leur carrière universitaire. Il en résulte de nombreuses innovations.
Les facteurs propres aux sites que j’ai évoqués sont bien plus importants que les promesses d’investissement. Nos collaboratrices et collaborateurs veulent rester en Suisse. Ils y fondent des entreprises qui, à leur tour, attirent des talents. C’est un terreau très fertile. En Suisse, plus de 115 entreprises ont été fondées par d’anciens salariés de Google, avec, à la clé, la création de quelques 1700 emplois.
Nous travaillons d’arrache-pied à réduire ce que tout le monde connaît sous le terme d’«hallucinations» de l’IA. La fonction de double vérification de Google Gemini permet par exemple de vérifier de manière explicite les faits énoncés dans une réponse. Mais bien sûr, tout dépend du type de question. Pour certaines d’entre elles, la fidélité aux faits est cruciale, alors que, pour d’autres, la créativité primera. Dans ce cas, il peut être souhaitable que l’IA propose des inventions.
Proposition de citation: Entretien avec Christine Antlanger-Winter, directrice de Google Suisse (2025). «L’IA est déjà présente dans tous nos produits». La Vie économique, 15 avril.
Originaire de Haute-Autriche, Christine Antlanger-Winter, âgée de 44 ans, est directrice de Google Suisse depuis avril 2023. Elle dirige également les activités de Google en Autriche. Avant de rejoindre Google en 2018, elle était CEO de l’agence de publicité Mindshare Autriche. Christine Antlanger-Winter est ingénieure en technique et design des médias. Elle a étudié à la haute école spécialisée de Hagenberg (Autriche).