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Modèles de prix : un frein à la hausse des coûts des médicaments ?

Les dépenses par habitant consacrées aux médicaments en Suisse ont augmenté de près de 20 % ces six dernières années. Des modèles de prix pour les médicaments onéreux doivent être de plus en plus mis en œuvre à l’étranger, et donc aussi en Suisse, pour permettre la fixation de prix économiques. Et demain ?
Près de 900 francs par habitant sont dépensés chaque année en Suisse pour des médicaments. (Image: Keystone)

Quel peut être le prix d’un médicament remboursé par l’assurance-maladie en Suisse ? On pourrait généralement penser : autant qu’à l’étranger ou que pour des médicaments comparables.

En Suisse, la fixation du prix des médicaments (hors génériques) se base pour moitié sur la comparaison avec les prix pratiqués à l’étranger et pour l’autre moitié sur la comparaison thérapeutique avec les produits utilisés pour traiter la même maladie[1]. La comparaison avec les prix à l’étranger prend en considération le prix moyen d’un médicament dans neuf pays européens : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la France, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la Suède.

Cette formule a bien fonctionné pendant des années, les différences de prix par rapport à l’étranger étant relativement faibles – à l’exception des génériques. Selon l’enquête annuelle de Santésuisse et d’Interpharma publiée en 2021, les prix des médicaments protégés par un brevet dans les neufs pays de référence ne sont en moyenne que de 6,9 % inférieurs à ceux pratiqués en Suisse.

Toujours plus de prix indicatifs


Mais cette comparaison avec les prix en vigueur à l’étranger est-elle vraiment pertinente ? La réponse est plutôt décevante : ni la Suisse ni les autres pays ne le savent exactement. En effet, une pratique de fixation des prix au moyen de conventions supplémentaires (« contrats d’accès au marché ») s’est imposée au niveau international, notamment pour les médicaments onéreux et générant un chiffre d’affaires élevé. En d’autres termes, les entreprises pharmaceutiques négocient avec les organismes compétents des modèles de prix comprenant des rabais confidentiels.

Il arrive donc souvent que le prix publié par les pays de référence et pris en compte par la Suisse pour la comparaison avec l’étranger ne corresponde pas au prix effectivement remboursé dans ces pays. Vingt-quatre pays européens sur 28 se basent eux aussi sur la comparaison avec les prix en vigueur à l’étranger pour fixer les tarifs. Comme chaque pays mène des négociations confidentielles sur les prix effectifs avec l’industrie pharmaceutique, seules les entreprises pharmaceutiques connaissent les prix effectivement remboursés dans chacun d’entre eux.

L’industrie pharmaceutique peut ainsi tirer parti de cet avantage pour exercer une forte influence sur ses prix pratiqués sur le marché international. Le secteur défend ce procédé en arguant qu’il s’agit du seul moyen de prendre en compte les disparités en termes de pouvoir d’achat entre les pays. Cette pratique est désormais très controversée sur le plan international[2]. Face aux critiques, les membres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont adopté en 2019 une résolution exigeant notamment la transparence sur les prix nets effectivement remboursés[3]. La Suisse a elle aussi signé cette résolution.

Mise en œuvre autonome


Ces efforts ont jusqu’ici eu peu d’effets. De nombreux pays continuent à appliquer largement des modèles de prix confidentiels. La Suisse n’a donc pas d’autre choix que de participer à cette compétition inéquitable, chaque pays étant convaincu qu’il a obtenu le meilleur prix. Sinon, des prix bien trop élevés devraient être payés en Suisse sur la base des prix indicatifs à l’étranger. En effet, si les prix publiés en Suisse étaient nettement inférieurs à ceux pratiqués à l’étranger, les entreprises pharmaceutiques ne manqueraient certainement pas de retirer leurs médicaments du petit marché helvétique, dont les prix sont également observés par les autres pays.

C’est pourquoi l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), qui mène les négociations pour la Suisse, a dans l’intervalle mis en œuvre environ 20 modèles de prix confidentiels. Cette position semble contradictoire à première vue, mais un système appliqué à l’échelle internationale ne peut être modifié que sur le plan international ; à défaut, seule une mise en œuvre autonome est possible à l’échelon national.

Une forte hausse des coûts


Malgré d’importantes mesures visant à freiner la hausse des coûts avec un réexamen périodique des prix de tous les médicaments, les coûts des médicaments ont augmenté de manière inquiétante ces derniers temps. Ils atteignaient 882 francs par habitant en 2020, soit quasiment un quart de plus qu’en 2014 (voir illustration).

Coûts des médicaments par habitant en Suisse (2011–2020)




Source : OFSP / La Vie économique

Cette forte hausse des coûts est essentiellement imputable aux médicaments onéreux utilisés en oncologie, en rhumatologie et pour les maladies rares. Des médicaments onéreux sont toujours plus utilisés de manière combinée ou pendant une très longue période, en particulier dans le traitement des cancers. Avec les revendications de prix très élevées, les coûts s’en trouvent démultipliés. Il n’est désormais pas rare qu’ils atteignent plusieurs centaines de milliers de francs par patient et par traitement.

Quantité et financement


L’explosion des coûts n’est toutefois pas due au seul prix. La quantité, c’est-à-dire le nombre de traitements effectués avec un certain médicament, est également décisive. Afin de maintenir les coûts des traitements largement utilisés ou complexes à un niveau abordable, la formule de fixation des prix se basant sur la comparaison avec les prix à l’étranger et la comparaison thérapeutique ne sera plus suffisante à elle seule.

Le Conseil fédéral et le Parlement ont fait un pas dans cette direction en adoptant la motion du conseiller aux États Josef Dittli (PLR/UR) en 2019 : le texte exige une adaptation du système d’autorisation de mise sur le marché et de fixation des prix dans l’assurance de base. Des modifications sont ainsi en cours d’élaboration afin que la fréquence de l’utilisation, le bénéfice thérapeutique et le financement soient également pris en considération.

Aujourd’hui déjà, les premiers modèles de prix tiennent compte de la limitation du volume du chiffre d’affaires, des restitutions en raison d’un manque d’efficacité ou des modifications de prix. Ces modèles de prix pourraient à l’avenir encore davantage contribuer à maîtriser l’augmentation des coûts dans le domaine des médicaments. C’est pourquoi l’objectif est de renforcer les bases légales pour la mise en œuvre de modèles de prix dans le cadre du « deuxième volet de mesures visant à freiner la hausse des coûts », qui sera soumis au Parlement au premier semestre 2022. Il s’agit d’ancrer dans la loi les possibilités de mise en œuvre de modèles de prix et d’améliorer l’application pratique des restitutions aux assureurs maladie.

Il n’en reste pas moins que les modalités concrètes d’un modèle de prix resteront un défi dans certains cas malgré la nouvelle base légale. C’est pourquoi l’OFSP a déjà apporté plusieurs nouvelles solutions sous la forme de modèles de prix destinés à maîtriser les coûts et s’intéresse à d’autres solutions. Pour que les médicaments puissent être remboursés rapidement et à un prix abordable, il faut également que l’industrie pharmaceutique ait une vue d’ensemble sur l’évolution des coûts à l’échelle du système, allant au-delà des intérêts dans chaque cas particulier.

Une question cruciale


Les modèles de prix auront donc un rôle encore plus important à jouer à l’avenir. Mais ils ne sont en définitive que les outils qui contribuent à une fixation des prix sur une nouvelle base. Ils ne permettent pas de savoir à combien devrait s’élever le prix pour une fréquence d’utilisation donnée, ni quelle devrait être la réduction tarifaire en cas d’augmentation du volume. Ils n’indiquent pas non plus quel prix ou quels coûts sont économiques pour quel bénéfice.

Il y a dix ans, le conseiller national Ignazio Cassis, aujourd’hui conseiller fédéral, a posé une épineuse question au gouvernement : « Combien doit payer la collectivité pour une année de vie ? ». Cette question reste aujourd’hui encore sans réponse. Dans l’intervalle, la Commission nationale d’éthique (CNE) a indiqué fin 2020 à la demande de l’OFSP qu’il est tout à fait éthique et nécessaire de s’intéresser aux questions de la limitation des coûts et du financement. C’est pourquoi l’OFSP est en train d’élaborer des propositions avec le concours d’experts dans le cadre des travaux relatifs au deuxième volet de mesures visant à maîtriser les coûts.

La question doit être débattue au Parlement. La CNE souligne à juste titre l’importance du débat politique sur ces thématiques de portée majeure. Le temps est maintenant venu de se pencher sur cette question cruciale.

  1. Art. 65b al. 5 OAMal[]
  2. Voir l’article de Jayashree Watal (Université nationale de droit de Delhi et Centre de droit de l’Université de Georgetown) dans ce numéro. []
  3. 72e Assemblée mondiale de la santé (2019). Améliorer la transparence des marchés de médicaments, de vaccins et d’autres produits sanitaires. Point 11.7 de l’ordre du jour. Résolution du 28 mai. []

Proposition de citation: Thomas Christen ; Jörg Indermitte ; (2021). Modèles de prix : un frein à la hausse des coûts des médicaments . La Vie économique, 26 novembre.