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Pour une meilleure réglementation

En matière de réglementation, une focalisation unilatérale sur les coûts n’est pas souhaitable : il s’agit plutôt de renforcer l’innovation et la croissance inclusive. La notion de « meilleure réglementation » peut y contribuer.

Pour une meilleure réglementation

Une bonne réglementation permet de stimuler l’innovation. Des réservoirs d’hydrogène à Zuchwil (SO). (Image: Keystone)

Une bonne réglementation doit favoriser une croissance durable inclusive et stimuler l’innovation. Par « réglementation », on entend les prescriptions édictées par l’État qui lient juridiquement les acteurs sociaux et économiques.

Les violations des prescriptions réglementaires peuvent être poursuivies devant les tribunaux. Les réglementations se distinguent ainsi des mécanismes du droit dit « mou » (« soft law ») comme les codes de conduite, les conventions volontaires ou les campagnes d’information et de sensibilisation.

Il existe différents types de réglementation. Les classiques, qui suivent le principe « ordonner et contrôler » (« command and control »), prescrivent aux acteurs privés l’usage de méthodes et de technologies spécifiques. Leur exécution coûte en général relativement peu à l’État, mais engendre fréquemment une surcharge de travail pour les entreprises et crée des entraves au marché.

Parallèlement, certaines réglementations sont orientées sur les prestations ou les résultats. Dans ce cas, le législateur fixe des cibles ou des valeurs seuils qui doivent être atteintes impérativement et laisse ouvertes les modalités de mise en œuvre. Cette approche est en principe plus favorable à l’innovation et à la concurrence, mais peut exiger des autorités des mécanismes d’exécution plus complexes et coûteux.

Tous les types de réglementation ont en commun de modifier le comportement des acteurs économiques, des consommateurs et des citoyens en créant des incitations. Celles-ci peuvent être volontaires – les pollueurs paient ainsi pour les nuisances émises – mais il arrive souvent qu’elles soient involontaires : une procédure d’homologation complexe peut par exemple dissuader une entreprise de lancer un nouveau produit.

Pandémie de Covid-19, quatrième révolution industrielle, Agenda 2030 des Nations unies pour le développement durable : nous vivons actuellement un bouillonnement qui devrait être aussi fécond que lorsqu’il a été décidé d’envoyer un homme sur la lune.

Si les réglementations jouent un rôle clé pour affronter ces défis, c’est qu’elles sont non seulement efficaces, mais aussi favorables aux innovations. Or ce n’est qu’avec des modes de production et de consommation novateurs que nous continuerons à garantir notre sécurité et notre prospérité tout en exploitant plus efficacement les ressources.

Récompenser le goût du risque


Pour innover, il faut toutefois avoir le goût du risque – ce que le législateur devrait toujours garder à l’esprit. Le secteur privé est souvent considéré comme faisant partie du problème, alors qu’il est en fait un élément de la solution. Sur le plan financier, cela signifie que toute réglementation devrait favoriser des rendements appropriés, basés sur le risque, pour les investissements réalisés dans la recherche et l’innovation. Il s’agit toutefois de trouver un équilibre entre la mutualisation des risques (ou la répartition des coûts des externalités) et la privatisation des gains. Le débat actuel sur la protection des brevets des vaccins contre la Covid-19 montre que cela n’est pas toujours simple.

La discussion sur le genre, la quantité ou les coûts des prescriptions imposées aux entreprises ne saurait cependant être menée en termes idéologiques. Affirmer que la réglementation stimule ou affaiblit à elle seule l’esprit d’innovation serait trompeur. Le facteur décisif est plutôt que les gouvernements garantissent une réglementation de qualité en appliquant des principes cohérents, systématiques et réfléchis. Telle est l’idée fondamentale de la « meilleure réglementation » (« better regulation »).

La meilleure réglementation encourage les gouvernements à exploiter tout l’éventail d’instruments de régulation, comme les estimations scientifiques du risque, les analyses d’impact de la réglementation (AIR), l’implication des groupes d’intérêts ou les évaluations. Vu sous cet angle, le cadre réglementaire est considéré comme l’une des nombreuses conditions cadres propices à l’innovation – tout comme la possibilité d’échanger des idées et des connaissances spécialisées, la disponibilité d’infrastructures physiques et numériques ou l’accès facile au capital-risque.

Il y a longtemps que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) recommande la notion de « meilleure réglementation ». Sa mise en œuvre dans les pays membres montre toutefois que ceux-ci choisissent des solutions et des modèles de réforme propres en adaptant la notion de « meilleure réglementation » à leur contexte institutionnel et administratif. C’est aussi le cas de la Suisse, où les principes de la meilleure réglementation ne sont pas tous mis en œuvre – que ce soit au niveau de la Confédération ou des cantons. Notons cependant que la Suisse réalise elle aussi des progrès substantiels et encourageants.

À tous les stades du cycle politique


Pour instaurer une meilleure réglementation, les gouvernements devraient intervenir à tous les stades du cycle politique, soit avant, pendant et après une décision.

Au stade préliminaire, il faut savoir qu’innover signifie changer, et que tout changement implique des risques. Les innovations ne sont pas toujours acceptées à bras ouverts, et il est crucial que la population ait confiance dans l’organisme chargé de réglementer la gestion des risques de technologies comme l’intelligence artificielle, la norme de téléphonie mobile 5G ou le génie génétique. Les gouvernements gagnent cette confiance en élaborant des scénarios avant toute décision stratégique et en en discutant avec les parties prenantes. Il est donc crucial d’associer les groupes d’intérêts et de définir des critères clairs pour les aspects techniques qui serviront de base aux décisions gouvernementales.

Pendant tout le processus décisionnel, les gouvernements devraient orienter les instruments existants (comme les AIR) sur les incitations à investir dans la recherche et le développement le long des chaînes de création de valeur. Ce sont ces effets qui déterminent le potentiel d’innovation d’une économie – davantage que les coûts administratifs. Les gouvernements devraient également être attentifs aux effets involontaires, car il peut arriver que l’élimination d’un risque particulier entraîne l’apparition d’un nouveau risque. De tels cas provoquent des effets collatéraux non désirés et l’échec de la réglementation.

Enfin, la phase de mise en œuvre est décisive. Il est de plus en plus fréquent qu’une réglementation ne déploie ses effets qu’au niveau de l’ordonnance et de son exécution – par exemple sous forme de dispositions d’exécution et de directives techniques. Ces dernières sont fréquemment fixées par l’administration. Or, dans plusieurs pays, les instruments de meilleure réglementation ne sont pas appliqués systématiquement dans les procédures administratives. Il faudrait finalement exploiter stratégiquement les connaissances tirées des évaluations effectuées dans différents domaines politiques pour améliorer les hypothèses de travail et les bases de données.

Grâce à une telle mise en œuvre complète et stratégique, la meilleure réglementation peut contribuer à identifier les effets de prescriptions sur l’innovation, la croissance et la durabilité. L’adaptabilité de la société s’en trouvera ainsi renforcée.

Proposition de citation: Lorenzo Allio (2021). Pour une meilleure réglementation. La Vie économique, 02 juillet.