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Quel bénéfice l’économie suisse tire-t-elle des mesures de marché du travail?

La Confédération consacre chaque année entre 490 et 640 millions de francs à des programmes d’occupation. Ces mesures de marché du travail (MMT) ont pour but d’aider les chômeurs à retrouver rapidement un emploi. Des voix se sont élevées dernièrement dans le monde politique pour dénoncer leur manque d’efficacité et leur coût excessif. L’exemple d’InnoPark Suisse SA montre le bénéfice important que l’économie suisse tire de certains programmes.

Quel bénéfice l’économie suisse tire-t-elle des mesures de marché du travail?

InnoPark Suisse SA est l’une des nombreuses institutions chargées d’appliquer les MMT sur mandat du Secrétariat d’État à l’économie (Seco). Concrètement, elle a pour tâche de faciliter le retour à l’emploi de chômeurs hautement qualifiés. Le programme s’étend en principe sur six mois et intègre quatre aspects. Les participants travaillent au développement d’un projet, sont entraînés à la recherche d’emploi, suivent une formation continue adaptée à leurs besoins (ainsi qu’à ceux du marché) et sont si nécessaire suivis individuellement. En 2012, le taux de réussite a dépassé les 75%. [1]Cela signifie que les participants ont trois chances sur quatre de ne plus être au chômage – ou seulement à taux partiel – au terme du programme proposé par Innopark.

Combien les pouvoirs publics peuvent-ils économiser?

Il est tout à fait légitime de s’interroger sur l’efficacité des MMT. Nous allons tenter d’y répondre en prenant InnoPark pour exemple. La question centrale porte sur les économies que fait l’État dès lors que ces mesures permettent à des chômeurs de retrouver plus rapidement un emploi. Les montants épargnés seront d’autant plus importants que les indemnités (qui cessent d’être perçues) sont élevées et que la différence de temps passé au chômage est grande entre les personnes ayant bénéficié de telles mesures et les autres (voir tableau 3).

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L’an dernier, 330 personnes inscrites auprès d’InnoPark Suisse SA ont retrouvé un emploi durant les six mois du programme.[2]Pour évaluer l’économie que cela représente, on doit faire le calcul pour chacun des inscrits et rapporter le résultat dans le champ approprié du tableau 3. À la fin, il suffit d’additionner les différentes valeurs dégagées.

Par manque de données accessibles au public, on ne peut rien dire sur le montant des indemnités de chômage touchées par les participants avant qu’ils retrouvent un emploi. Il est probable que le Seco possède de telles données, du moins pour l’ensemble de la Suisse et non de façon détaillée pour chaque mesure. Accéder à ces chiffres permettrait de mieux évaluer l’efficacité des MMT. Si, en outre, chaque institution chargée d’appliquer les mesures consignait ce type d’informations – ce qu’interdit à l’heure actuelle le principe de la protection des données –, l’évaluation pourrait être encore plus précise. Un tel relevé pourrait très bien s’effectuer de façon anonyme.

On ne peut pas non plus savoir combien de temps les participants qui ont retrouvé un emploi seraient encore restés au chômage s’ils n’avaient pas suivi le programme d’Innopark; cette donnée est, de toute façon, hypothétique. On peut toutefois supposer que des personnes ayant connu une longue période de chômage avant d’intégrer un programme d’occupation sont difficiles à placer et qu’elles seraient donc restées encore longtemps sans emploi si elles n’avaient pas bénéficié de cette aide. Le temps passé au chômage avant la participation à un programme pourrait donc servir de valeur de remplacement pour la durée future supposée du chômage sans l’aide de ce même programme.[3]

Le manque de données oblige à recourir à des hypothèses. Nous poserons la plus simple, celle d’une répartition égale entre les seize champs du tableau 4 des 330 participants ayant retrouvé rapidement un emploi grâce aux MMT. Dans un tel cas de figure, l’économie réalisée par l’État grâce à la réinsertion rapide de ces 330 chômeurs est décrite dans le paragraphe suivant.

L’État ferait une économie brute – obtenue par addition des champs du tableau – d’environ 11,6 millions de francs. En 2012, InnoPark Suisse SA a représenté une charge d’environ 5,1 millions de francs pour la Confédération[4]. Le bénéfice direct de l’État en 2012 peut donc être estimé à environ 6,5 millions de francs. À cela s’ajoute le bénéfice indirect contributions sociales et élevés dont s’acquittent souvent les anciens demandeurs d’emploi. On peut aussi retrancher les frais liés aux nombreuses maladies, principalement psychiques, qu’entraîne le chômage. Les sommes consacrées à InnoPark apparaissent donc comme un investissement particulièrement rentable.

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Quelques pistes pour un contrôle efficace des MMT

On ne peut bien sûr pas conclure à l’efficacité de l’ensemble du programme sur la base d’une seule institution, qui ne représente qu’environ 1% du budget consacré aux MMT [5]. Cet exemple suggère toutefois quelques pistes pour instaurer une analyse d’impact et un contrôle efficace des organisations concernées.

Outre le taux de réussite, déjà relevé et analysé sous toutes ses facettes, d’autres éléments demandent à être clarifiés. Ainsi, il serait important de connaître – dans le respect de la protection des données – le montant des allocations de chômage touchées par les participants.

Il est particulièrement difficile d’estimer l’effet des MMT sur la durée du chômage. On devrait pour cela déterminer le temps dont celui-ci se trouve réduit en moyenne grâce à une participation à un programme. Pour mener une analyse pertinente, il ne suffit pas de distinguer les demandeurs d’emploi selon qu’ils ont bénéficié ou non d’une mesure. Pour chaque programme, le groupe des participants doit être comparé à d’autres chômeurs présentant des profils aussi similaires que possible, mais n’ayant pas bénéficié d’une telle aide. En sélectionnant minutieusement les deux groupes et en relevant pour chacun la durée moyenne du chômage, on obtiendrait un élément supplémentaire pour juger de l’efficacité des MMT.

Davantage de données seraient utiles

Il serait certainement possible d’accroître significativement l’efficacité des MMT en documentant de façon systématique les succès des institutions chargées de leur application et en bâtissant une politique cohérente sur ces derniers.

Faciliter les échanges d’informations et les commentaires croisés entre les institutions concernées constituerait également un progrès important. À l’heure actuelle, des organisations ciblant un public similaire ne peuvent partager qu’une petite partie de leurs données, alors que des bases comparatives plus étendues leur fourniraient le moyen d’identifier et de corriger leurs points faibles. Des progrès ont été réalisés dans ce domaine grâce aux relevés du Seco et en rattachant toutes les organisations à une même société d’audit. L’introduction d’une grille de contrôle unique permet de collecter d’importantes données comparatives, qui peuvent être analysées et employées à rectifier les points faibles. La mise en œuvre de moyens supplémentaires pour relever et évaluer ce matériel permettrait de documenter l’efficacité des MMT, en usant d’éléments objectifs, exploitables tant sur le plan politique que dans le but d’accroître l’efficacité des mesures et des institutions chargées de les appliquer.

L’évaluation de l’efficacité des MMT mises en place par la Confédération se fonde sur des suppositions. L’exemple d’InnoPark Suisse montre que certaines d’entre elles représentent un bénéfice important pour l’économie suisse en permettant à l’État de réduire ses dépenses. Assurer un meilleur contrôle des institutions chargées d’appliquer ces mesures – au prix, il est vrai, d’un travail d’enquête plus important et plus complexe – ne pourrait qu’accroître leur efficacité dans des proportions notables.

  1. InnoPark Suisse SA, Rapport annuel 2012, Winterthour, 2013, page 11. []
  2. Ibidem. []
  3. Le Seco serait sans doute également en mesure d’établir de telles données. []
  4. InnoPark Suisse (2013), p. 22. []
  5. Le Seco a commandité en 2004 six études sur l’efficacité des mesures de marché du travail. Cinq d’entre elles ont été publiées dans La Vie économique d’octobre 2006 et la sixième dans la publication du Seco n° 20, Berne 2007. Toutes ces études portent sur l’efficacité des mesures prises dans leur ensemble. Nous plaidons ici pour un examen systématique de l’efficacité de chaque programme considéré séparément. []

Proposition de citation: Rene Kaestli (2013). Quel bénéfice l’économie suisse tire-t-elle des mesures de marché du travail. La Vie économique, 01 décembre.