Textiles durables: un secteur prometteur confronté à certaines difficultés
Des vêtements compressés dans un centre de tri: environ 60% des vêtements collectés peuvent être réutilisés. (Image: Keystone)
Tee-shirts, rideaux ou blouses d’hôpital, les textiles occupent une place importante dans notre quotidien. Leur fabrication et leur élimination ont cependant une face sombre: consommation importante de ressources (eau, terres agricoles, etc.), pollution de l’environnement par des substances chimiques (pesticides, engrais, colorants, …) et émissions de CO2. À l’échelle mondiale, l’industrie textile génère environ 10% des émissions totales de gaz à effet de serre. La Suisse mise depuis des décennies sur la collecte séparée des textiles usagés à des fins de réutilisation ou de recyclage. Mais elle peut encore faire mieux.
100 000 tonnes de textiles usagés par an
À elle seule, la Suisse enregistre chaque année 100 000 tonnes de textiles usagés, dont quelque 60 000 tonnes sont collectées séparément dans les conteneurs mis à disposition dans les communes par des organisations comme Texaid, Tell-Tex ou Caritas. Le reste des textiles est incinéré pour être valorisé par le biais de la récupération d’énergie.
Les textiles collectés séparément sont triés quasi exclusivement à l’étranger. Environ 60% d’entre eux (36 000 tonnes) pouvant encore être portés, ils deviennent des vêtements de seconde main, tandis que 28% sont recyclés pour être transformés par exemple en chiffons ou utilisés comme matériaux isolants dans le secteur du bâtiment. Seule une partie infime (moins de 1%) est effectivement récupérée en tant que fil. N’étant plus utilisable, le reste (près de 12%) est détruit (voir illustration).
60% des textiles usagés collectés peuvent encore être portés
Les vêtements d’occasion ont le vent en poupe, particulièrement chez les jeunes. Outre les brocantes traditionnelles et les marchés aux puces, les bourses d’échange de vêtements et les plateformes en ligne jouissent d’une popularité croissante. L’aspect de durabilité lié aux vêtements de seconde main est un argument d’achat auquel les jeunes accordent une importance croissante. Or, malgré cette tendance, l’offre de vêtements d’occasion dépasse de loin la demande en Suisse. Bon nombre d’articles bien conservés ne sont pas vendus ou sont exportés.
Les limites du recyclage mécanique
La plupart du temps, les textiles qui ne peuvent plus être portés finissent par être recyclés de façon mécanique. Pour cette opération, exécutée à l’étranger, ils sont broyés dans des usines dites de déchiquetage pour être ramenés à l’état de fibres. Selon le matériau et la qualité, ces dernières peuvent être transformées en fil, en isolant ou en matériau non tissé destiné à la construction. Mais ce processus a aussi ses limites: à chaque déchiquetage, les fibres raccourcissent et perdent en qualité, empêchant toute réutilisation des textiles recyclés à l’infini, sans compter que le processus ne se prête pas à certains tissus.
Quelque 15% des textiles usagés helvétiques sont transformés à l’étranger dans des usines de déchiquetage, la Suisse n’en disposant pas elle-même à ce jour. Le secteur manifeste cependant un vif intérêt pour la mise sur pied d’une installation indigène de déchiquetage afin de créer en Suisse de la valeur dans ce domaine et de reprendre le contrôle des ressources. Souvent, on ne sait pas en effet où vont les textiles ni ce qui leur advient.
Le recyclage chimique, un domaine prometteur mais porteur de risques
Le recyclage chimique est une technique relativement récente, mais très prometteuse, qui consiste à décomposer les textiles jusqu’au niveau moléculaire pour les transformer en fibres nouvelles. Ce procédé offre de nouvelles possibilités, en particulier pour les tissus mixtes comme le polycoton, considérés comme difficilement recyclables jusqu’à présent.
Les technologies de ce type sont actuellement testées en Suisse dans le cadre de projets pilotes. Des jeunes pousses et des entreprises établies s’emploient activement à rechercher des solutions commercialisables. Plusieurs procédés n’en sont toutefois qu’à leur début, car tous les matériaux ne peuvent pas être recyclés chimiquement et la consommation d’énergie et de produits chimiques est élevée. L’impact environnemental et l’efficacité de tels procédés doivent encore être soumis à un examen critique et attestés par un écobilan du cycle de vie complet des produits.
L’absence de tri des vêtements, un problème
Les textiles usagés ne sont pas suffisamment triés, ce qui constitue une difficulté majeure. On manque actuellement en Suisse d’installations automatisées capables de trier en toute fiabilité les matériaux en fonction de leur composition et de leur qualité. Or, une telle infrastructure serait essentielle pour permettre un recyclage de haute qualité, qu’il soit mécanique ou chimique.
Un centre de tri implanté en Suisse améliorerait la transparence du système d’élimination, tout en favorisant l’emploi et l’innovation. Il permettrait par ailleurs de déterminer exactement quelles quantités de textiles sont recyclées, réutilisées ou éliminées. On saurait ainsi ce qu’il advient des matériaux. Actuellement, ceux-ci sont expédiés à l’étranger après avoir été triés et, souvent, on ignore s’ils sont effectivement recyclés, incinérés ou revendus sous la forme d’articles de seconde main. Une installation de tri en Suisse serait aussi un gain pour l’environnement, car les textiles non valorisables pourraient être éliminés de façon plus ciblée et plus écologique. L’entreprise de collecte Tell-Tex met actuellement sur pied une usine de recyclage industriel en Suisse.
Le sujet du recyclage des textiles gagne aussi en importance au niveau international. L’Union européenne prévoit ainsi d’introduire des objectifs contraignants quant à la quantité de matériau recyclé à employer dans les produits textiles neufs. Cette mesure pourrait stimuler considérablement la demande en fibres recyclées et donner un nouvel élan à l’industrie suisse du recyclage. À ce jour, le marché des fibres recyclées est encore modeste, mais cela devrait bientôt changer compte tenu du renforcement des exigences réglementaires et de la sensibilisation de la population à la problématique.
Préparer l’avenir
Une chose est sûre: l’industrie textile fait face à de profondes mutations. Avec son système éprouvé de collecte, la Suisse est dans une position de départ propice mais insuffisante si elle veut réellement boucler les cycles de recyclage des textiles. Si les innovations technologiques sont indispensables, il faut aussi que les consommatrices et consommateurs changent leurs habitudes, en privilégiant les produits durables susceptibles d’être réparés et les vêtements si possible réutilisables, fabriqués dans des conditions équitables, et en arrêtant de suivre des modes court-termistes, voire d’acheter du prêt-à-porter bon marché. Toute personne devrait, avant d’acheter un vêtement neuf, se demander si elle en a vraiment besoin; elle devrait aussi donner la priorité à la qualité. C’est de cette façon en effet que l’on préserve les ressources et que l’on réduit les déchets.
De leur côté, les fabricants doivent veiller, dès le stade de la production, à ce que leurs produits soient recyclables et puissent être valorisés le plus simplement possible. Pour qu’à l’avenir, les vêtements soient résistants, réutilisables plusieurs fois et recyclables, il faut que les individus et la société changent radicalement de mentalité. Ce n’est qu’ainsi que l’on réduira les effets négatifs de l’industrie textile et que l’on ouvrira la voie à une véritable économie circulaire.
Bibliographie
- Conseil fédéral (2025).Valorisation des produits textiles usagés sur le territoire suisse. Rapport du Conseil fédéral donnant suite au postulat 22.3915 déposé par le conseiller national Roger Nordmann le 14 septembre 2022.
- Quantis (2024). Flux de textiles usagés en Suisse. Étude mandatée par l’Office fédéral de l’environnement, 8 mars.
Bibliographie
- Conseil fédéral (2025).Valorisation des produits textiles usagés sur le territoire suisse. Rapport du Conseil fédéral donnant suite au postulat 22.3915 déposé par le conseiller national Roger Nordmann le 14 septembre 2022.
- Quantis (2024). Flux de textiles usagés en Suisse. Étude mandatée par l’Office fédéral de l’environnement, 8 mars.
Proposition de citation: Rotzetter, Cornélia (2025). Textiles durables: un secteur prometteur confronté à certaines difficultés. La Vie économique, 14 novembre.