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Les chances de réintégration des nouveaux bénéficiaires de l’aide sociale sur le marché du travail

Les chances de réintégration des nouveaux bénéficiaires de l'aide sociale sur le marché du travail

Quelles sont les chances de réinsertion sur le marché du travail des nouveaux bénéficiaires de l’aide sociale? Et quels effets une activation de l’aide sociale a-t-elle sur eux? Les objectifs poursuivis en la matière – autrement dit la réinsertion rapide et durable sur le marché primaire du travail – ont pris davantage d’importance ces dernières années, rejoignant en cela le modèle de l’assurance-chômage (AC).Aujourd’hui, on sait très peu de choses sur l’efficacité des activités et des mesures. Le fonds de compensation de l’AC a mandaté une étude afin de procéder à une première évaluation. Les résultats présentés ici devraient inciter à augmenter l’efficacité dans la pratique et mieux coordonner l’AC et l’aide sociale Voir Aeppli Daniel C. et Ragni Thomas, Ist Erwerbsarbeit für Sozialhilfeempfänger ein Privileg? – Welche Sozialhilfebezüger finden in der Schweiz eine dauerhafte Erwerbsarbeit? Berne, Seco, 2009, www.seco.admin.ch ..

Depuis un certain temps, on estime que les assurances sociales ne doivent pas être considérées isolément, mais être analysées dans leur ensemble, avec toutes leurs interconnections, dans le but d’améliorer l’action globale de l’État social. Au début 2005, le Conseil fédéral a mandaté un groupe d’experts pour savoir si on pouvait recourir aux crédits d’impôt en fonction du revenu pour réduire les effets indésirables sur l’activité lucrative que peuvent avoir certaines prestations financières orientées sur les besoins; il lui a aussi demandé d’élaborer par la suite des propositions politiques Voir Département fédéral des finances, Introduction en Suisse de crédits d’impôt dépendant du revenu: faisabilité et conséquences. Rapport d’un groupe d’experts sous la direction du prof. Robert E. Leu.. À l’avenir, il faudra veiller à ce que les différentes sources de revenus provenant de l’État social et, pour la plupart, indépendantes les unes des autres, ne diminuent pas la volonté de reprendre ou d’étendre une activité lucrative; ce faisant, les bénéficiaires des prestations continueraient de dépendre de l’État pour des raisons évidentes (piège de la pauvreté). Simplifier radicalement le système social n’est pas une alternative pour la Suisse. En revanche, les experts ont relevé certaines lacunes au niveau des cantons et des communes: il convient de les combler pour que l’aide sociale soit organisée de telle sorte qu’aucun piège de pauvreté n’apparaissent. Diverses études portant sur les points de recoupement entre les assurances sociales ont été réalisées par la suite. L’Ofas a publié en mars 2009 un rapport de recherche Voir Ofas, Quantification des passages entre les systèmes de sécurité sociale (AI, AC et aide sociale), rapport de recherche 1/09. quantifiant les passages entre les systèmes de sécurité sociale (AI, AC, AS). Ces travaux ont permis de déterminer pour la première fois le nombre de personnes qui naviguent entre les systèmes de sécurité sociale.

Problématique et méthodologie


Du point de vue du demandeur d’emploi, l’étude en question met en évidence les facteurs qui influencent le passage de l’aide sociale à l’activité lucrative; elle examine aussi si les services sociaux peuvent faciliter ce passage et dans quelle mesure. À partir de la dernière étude sur la situation des chômeurs en fin de droits Voir D. Aeppli, La situation des chômeurs en fin de droits en Suisse, quatrième étude mandatée par l’assurance-chômage, Seco, Berne 2006., nous savons, par exemple, qu’en ville de Zurich 750 personnes environ bénéficiant de l’aide sociale réussissent chaque année à franchir le pas vers une activité lucrative. Par contre, on ne connaît pas les raisons de la réussite ou de l’échec, la durée de l’activité lucrative, si les personnes exerçant une telle activité ne dépendent plus de l’aide sociale ou en dépendent de nouveau plus tard («travailleurs pauvres») et dans quelle mesure les services sociaux parviennent à influencer favorablement les facteurs qui permettent de quitter l’aide sociale. Le projet portant sur les villes de Bâle, Bienne, Lausanne, Lucerne et Saint-Gall devrait apporter des réponses à ces questions; il donne une image représentative de l’aide sociale dans les villes suisses. Les résultats se fondent sur une enquête téléphonique menée au début de 2009 auprès de personnes qui s’étaient inscrites à l’aide sociale dans ces cinq villes en 2005 et 2006. Au total, 1529 entretiens téléphoniques ont été réalisés à l’aide d’un questionnaire qui ne comportait presque que des questions fermées. Les données ont, ensuite, été regroupées avec les chiffres officiels du marché du travail des ORP concernés. Les informations suivantes ont été recueillies: – données personnelles fixes (p. ex. sexe, nationalité); – données personnelles ne pouvant être modifiées qu’à long terme (p. ex. expérience professionnelle, niveau de formation supérieur); – changements personnels survenant le plus souvent par surprise (p. ex. famille monoparentale); – bien-être et estimations subjectives (p. ex. perspectives d’avenir, chances sur le marché du travail); – informations sur la situation du marché du travail (p. ex. taux régional du chômage); – soutien financier avant et en parallèle à l’aide sociale (p. ex. baisse des primes d’assurance-maladie); – mesures suivies découlant de l’aide sociale active.  Afin de séparer l’influence de ces facteurs sur les chances de réinsertion, l’analyse a d’abord eu recours à des méthodes de régression multivariées. Puis, pour mesurer les effets de l’activation de l’aide sociale, diverses méthodes d’apurement de la sélection ont été utilisées dans le but de comparer équitablement les personnes bénéficiant de mesures et celles qui n’en bénéficient pas. À chaque fois, la robustesse de la méthode a été testée à l’aide de plusieurs analyses. On a pu ainsi vérifier que l’on obtenait les mêmes résultats empiriques indépendamment de la méthode choisie, ce qui a toujours été le cas.

Pas d’effets vérifiables empiriquement


Les chances de réinsertion de certaines personnes au chômage bénéficiant de l’aide sociale étaient très importantes en période de haute conjoncture Voir l’article de Daniel C. Aeppli à la page 55ss du présent numéro.. Malheureusement, les efforts fournis par les services sociaux aboutissent à des résultats décevants. La conclusion est la même que lors des premières évaluations de la politique d’activation du marché du travail (fin des années nonante): les mesures d’activation de l’aide sociale ne déploient pas d’effets empiriques vérifiables sur la réinsertion des bénéficiaires. Ajoutons, pour relativiser, que les mesures de l’aide sociale ne doivent pas seulement être actives, afin de permettre une réintégration sur le marché primaire du travail, mais se préoccuper aussi de l’intégration sociale et du maintien de conditions de vie humaines. Les facteurs personnels, les différences linguistiques selon les régions et les effets des mesures de réinsertion sont présentés ci-après. L’évaluation porte exclusivement sur les facteurs qui facilitent ou compliquent la reprise d’une activité lucrative et la distanciation de l’aide sociale, et sur le fait de savoir si les services sociaux améliorent ces perspectives.

Facteurs individuels


Les personnes âgées de 50 ans et plus ont nettement moins de chances de se réinsérer. Ce constat demeure même si les caractéristiques qui ont tendance à apparaître plus souvent avec l’âge restent constantes. Il s’affaiblit nettement si on intègre à l’étude l’espoir subjectif d’un avenir professionnel. Les personnes qui n’ont pas achevé une scolarisation du niveau secondaire II ont nettement moins de chances d’être réinsérées que celles qui possèdent un diplôme. Par contre, celles au bénéfice d’une formation dans le tertiaire n’ont pas de meilleures chances d’être réinsérées que celles qui ont un diplôme du niveau secondaire II. À ce stade, on ne peut pas se prononcer sur la question de savoir si l’absence de diplôme de formation professionnelle est le symptôme de problèmes plus profonds ou différents. Plus le niveau hiérarchique atteint dans la vie professionnelle est élevé, plus les chances de réinsertion des bénéficiaires de l’aide sociale sur le marché primaire du travail sont bonnes. Ce phénomène peut provenir du fait que l’ascension professionnelle précédente ne se mesure pas seulement aux connaissances spécifiques à l’entreprise qui ont été perdues, mais qu’elle est aussi un indicateur du capital humain en général, comme les compétences sociales, personnelles et méthodologiques, et la motivation à la performance. Ces qualités exercent une influence positive sur les futures chances professionnelles. Les compétences dans la langue parlée au lieu de domicile ont aussi une influence très positive sur les chances de réinsertion. Il est, toutefois, possible que cette variable – surtout quand elle est au plus bas – reflète des aspects de la réalité sociale que l’on ne peut pas mesurer directement. Labsence de compétences linguistiques peut provenir d’un manque de volonté personnelle de se réinsérer ou d’une exclusion sociale. Le fait qu’il existe des facteurs caractéristiques ou relativement fréquents chez les étrangers – comme la difficulté à maîtriser la langue de l’environnement ou le manque de formation professionnelle – empêche de démontrer qu’il existe des discriminations envers ces derniers. Le fait d’avoir des enfants à charge exerce une influence plutôt positive sur les chances de réinsertion. On se l’explique par le fait que les risques de paupérisation qui pourraient survenir augmentent la motivation pour chercher ou accepter un emploi. Par contre, le fait d’être une famille monoparentale affaiblit les chances de réinsertion. Le manque de flexibilité découlant des obligations éducatives dépasse manifestement l’effet motivant que pourrait constituer la pauvreté. Le sexe n’a pas une grande importance sur les chances de réinsertion sur le marché primaire du travail si l’on considère les facteurs susmentionnés. Les nouveaux venus à l’aide sociale qui estiment que leurs perspectives d’avenir et leurs chances de réinsertion sur le marché du travail sont mauvaises ont davantage de peine à trouver une activité lucrative durable. Les échecs réels subis par le passé lors de la recherche d’un emploi imprègnent sûrement de telles appréciations subjectives. Par exemple, les personnes qui ont déjà bénéficié de l’aide sociale précédemment ont plus souvent des réactions négatives face à leurs perspectives d’avenir. Les jugements personnels émis sur ses propres chances sur le marché du travail montrent aussi la résignation que le chômage de longue durée provoque. D’autres facteurs peuvent jouer un certain rôle comme l’empreinte laissée par l’éducation ou les exigences particulièrement élevées (de statut ou de performance) envers soi-même. Divers indices révèlent que les facteurs dexclusion sociale et de résignation ont une influence très négative sur la réinsertion, s’ils découlent d’expériences négatives marquantes de la vie professionnelle. Du reste, l’effet des incitations financières peu attrayantes, qui rendent difficile ou empêchent la reprise d’un travail rémunéré (piège de la pauvreté), ne peut être analysé que de façon rudimentaire au moyen des données disponibles. On a tout de même mis en évidence quelques vagues indications sur leur existence, mais l’importance quantitative de ce critère devra faire l’objet d’une analyse plus approfondie au cours d’autres études.

Différences selon les régions linguistiques


Être domicilié en Suisse romande a une influence nettement négative. L’interprétation selon laquelle un effet «culturel» que l’on ne peut pas influencer joue un rôle n’est pas aussi claire qu’on pourrait le croire de prime abord. En effet, le taux des nouveaux chômeurs y est nettement plus élevé qu’en Suisse alémanique. Des facteurs structurels comme la composition des branches économiques ou l’emploi des frontaliers font aussi partie de l’explication.

Mesures de réinsertion


Les mesures externes de réinsertion – consistant la plupart du temps en des programmes d’occupation sur le marché secondaire du travail – dont disposent les services sociaux, mais qu’ils n’exécutent pas eux-mêmes s’accompagnent d’un taux de réussite nettement inférieur en ce qui concerne la rapidité et la durabilité de la réinsertion sur le marché du travail régulier. Le résultat est semblable même lorsque les participants aux mesures sont évalués par rapport à un groupe de comparaison «équitable» qui n’a pas bénéficié de mesures, mais qui possède en moyenne les mêmes caractéristiques que le groupe des participants. Si ce résultat principal décevant de notre évaluation est interprété dans un sens causal, il met en évidence le risque de faire durer l’aide sociale par des mesures d’intégration particulièrement longues (effet de blocage) parce que, pendant ce temps, tant les conseillers que les demandeurs d’emploi réduisent automatiquement l’intensité des recherches de travail. Les études précédentes nous avaient déjà donné une leçon importante à savoir que, dans de nombreux cas, il était nettement plus efficace de ne pas prendre de mesures du tout. Cela concerne notamment les personnes dont les chances de réinsertion rapide sont intactes et dont l’initiative personnelle est prometteuse. Un tri fondé sur la statistique devrait intervenir dans les deux cas suffisamment tôt et de manière fiable (voir l’ encadré 1 Deux influences non causales pourraient expliquer l’échec dans le choix des mesures: 1. Nous nous sommes efforcés de faire une comparaison équitable entre le groupe bénéficiant des mesures et un autre groupe comparatif. L’idée selon laquelle les mesures avaient plus souvent tendance à être ordonnées dans les cas problématiques particuliers aurait ainsi dû être neutralisée. Il se peut, toutefois, que toutes les distorsions de la sélection n’apparaissent pas dans nos données et empêchent donc une comparaison équitable parfaite. 2. Si un conflit d’intérêts évident entre l’intégration sociale et l’activation devait survenir, il faudrait en conclure qu’en cas de doute les aspects sociaux et humains ont souvent la priorité sur les effets d’efficacité escomptés de la réinsertion. pour les influences non causales). Les autres mesures non financières d’activation dont l’enquête fait état ont une fonction de soutien, de conseil et de contrôle. Ce sont celles que les services sociaux exécutent eux-mêmes comme l’aide lors du dépôt d’une requête, les opérations de paiement ou les discussions pour faire un bilan. Bien que l’effet de blocage ne soit pas probable dans leur cas parce que le temps qu’elles nécessitent est minime, on retrouve des résultats très semblables aux mesures externes. Cela pourrait indiquer que l’effet de sélection caché mentionné dans l’ encadré 1 Deux influences non causales pourraient expliquer l’échec dans le choix des mesures: 1. Nous nous sommes efforcés de faire une comparaison équitable entre le groupe bénéficiant des mesures et un autre groupe comparatif. L’idée selon laquelle les mesures avaient plus souvent tendance à être ordonnées dans les cas problématiques particuliers aurait ainsi dû être neutralisée. Il se peut, toutefois, que toutes les distorsions de la sélection n’apparaissent pas dans nos données et empêchent donc une comparaison équitable parfaite. 2. Si un conflit d’intérêts évident entre l’intégration sociale et l’activation devait survenir, il faudrait en conclure qu’en cas de doute les aspects sociaux et humains ont souvent la priorité sur les effets d’efficacité escomptés de la réinsertion. pourrait tout de même jouer un rôle important. Dans ce cas, le nombre élevé de mesures non financières décidées serait l’expression de l’impuissance du service social à favoriser la réinsertion de certaines personnes sur le marché du travail. Ce dilemme de l’activité fictive découlant du mandat de «devoir» activer pourrait apparaître surtout dans le cas des personnes particulièrement dépendantes. Plus d’une fois on a supposé que le manque d’indépendance se renforce involontairement de cette manière.

Bilan et perspectives


Notre étude a montré que la politique sociale d’intégration sur le marché du travail occupe une grande place actuellement dans l’aide accordée par les villes suisses. Nous commençons à peine à évaluer les conséquences de cette politique et cette étude constitue un premier pas. Les résultats montrent que l’effet visé des mesures d’activation de l’aide sociale napparaît pas dans la pratique. Cela provient, d’une part, de la nature de la répartition et, d’autre part, de la diversité des prestations fournies par les services sociaux ainsi que des mesures qui n’ont pas en vue que la réintégration sur le marché primaire. L’objectif de ce travail n’était pas de donner des instructions concrètes aux services sociaux pour leurs propres processus d’activation et leur attribution concrète des mesures externes de réinsertion. Si c’était le cas, il faudrait évaluer les processus pour savoir comment les changements de pratique se répercutent sur les résultats. Nous n’avions, cependant, pas accès aux données sur les processus des services sociaux pour répondre à cette question. L’activation n’est pas contestée comme objectif de la politique sociale. À l’avenir, il faudra trouver une manière d’améliorer le succès des mesures prises en ce sens. Comme le montrent les résultats de notre étude, il faut que les objectifs soient clarifiés, que la mise en oeuvre soit organisée et que la répartition des mesures d’activation vise davantage la réussite de la réinsertion. Une possibilité consisterait à instaurer des procédures comportant un tri et un profil formalisé ainsi que des incitations qui offrent aux participants un intérêt à optimiser les efforts d’activation mis en place.

Encadré 1: Influences non causales Deux influences non causales pourraient expliquer l’échec dans le choix des mesures: 1. Nous nous sommes efforcés de faire une comparaison équitable entre le groupe bénéficiant des mesures et un autre groupe comparatif. L’idée selon laquelle les mesures avaient plus souvent tendance à être ordonnées dans les cas problématiques particuliers aurait ainsi dû être neutralisée. Il se peut, toutefois, que toutes les distorsions de la sélection n’apparaissent pas dans nos données et empêchent donc une comparaison équitable parfaite. 2. Si un conflit d’intérêts évident entre l’intégration sociale et l’activation devait survenir, il faudrait en conclure qu’en cas de doute les aspects sociaux et humains ont souvent la priorité sur les effets d’efficacité escomptés de la réinsertion.

Proposition de citation: Thomas Ragni (2009). Les chances de réintégration des nouveaux bénéficiaires de l’aide sociale sur le marché du travail. La Vie économique, 01 octobre.