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Comprendre l’augmentation des coûts de la santé

Malgré les réformes menées, les dépenses de santé par habitant ont été multipliées par cinq depuis 1960. L’Administration fédérale des finances a étudié les différents facteurs susceptibles d’expliquer cette évolution.
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Sur la plupart des marchés, une hausse des prix fait reculer la demande. Il en va autrement des prestations de santé, dont la demande varie peu. Un hélicoptère dans une opération de sauvetage en montagne. (Image: Keystone)

Comme chaque année à la fin du mois de septembre, l’annonce des primes d’assurance-maladie prévues l’année prochaine pourrait faire pâlir de nombreux assurés, car c’est une nouvelle hausse qui est prévue. L’augmentation des coûts de la santé fait partie des préoccupations majeures de la population suisse selon le baromètre des préoccupations d’UBS 2024. Entre 1960 et 2022, les dépenses de santé par habitant ont été multipliées par cinq (chiffres corrigés de l’inflation), passant d’un peu moins de 2000 francs à plus de 10 000 francs (voir illustration 1).

Ces dépenses englobent les prestations médicales couvertes par l’assurance obligatoire des soins et qui se répercutent sur les primes. Viennent s’y ajouter les prestations directement payées par les particuliers ainsi que les contributions de l’État. Actuellement, la Confédération et les cantons prennent en charge environ un tiers des dépenses totales de santé, notamment les contributions aux traitements hospitaliers, les soins de longue durée et les réductions individuelles de primes. Lorsque les dépenses de santé augmentent de manière disproportionnée, tant les payeurs de primes que les finances publiques se retrouvent de plus en plus sous pression.

De nombreuses réformes

Afin de garantir le financement durable du système de santé suisse, il faut freiner l’augmentation des dépenses sans nuire à la qualité des prestations fournies. Trois réformes ont ainsi été décidées en 2024: l’introduction d’objectifs en matière de coûts et de qualité, la réforme du financement cantonal des réductions de primes et la réforme relative au financement uniforme des prestations de santé. Deux autres nouveautés sont venues s’ajouter en 2025: l’adoption d’un nouveau système tarifaire global pour les prestations ambulatoires (Tardoc), qui introduit des forfaits ambulatoires, et le deuxième volet des mesures (au nombre de 16) visant à freiner la hausse des coûts.

Il est primordial de comprendre les facteurs à l’origine de l’augmentation des coûts de la santé pour pouvoir mener des réformes ciblées et efficaces. L’Administration fédérale des finances (AFF) s’est penchée sur cette question dans le cadre d’une analyse portant sur une série temporelle allant de 1960 à 2022 (disponible en anglais et en allemand)[1]. Son étude doit aussi permettre d’étayer les projections de dépenses de la santé sur le long terme qui doivent être actualisées avant la fin de l’année[2]. L’AFF a analysé l’offre et la demande, en ciblant l’augmentation des revenus de la population et son vieillissement ainsi que la hausse de la productivité du secteur de la santé, moins élevée que dans les autres secteurs. D’autres indicateurs comme la mortalité, la densité de médecins, l’immigration et la distribution des revenus ont également été pris en compte.

Ill. 1: Corrigées de l’inflation, les dépenses de santé ont augmenté deux fois plus fortement que le produit intérieur brut par habitant (1960-2022)

GRAPHIQUE INTERACTIF
Remarque: les dépenses de santé par habitant et le PIB par habitant sont indiqués en francs suisses aux prix en vigueur en 2015.
Source: calculs des auteurs sur la base des données de l’OFS / La Vie économique

L’augmentation des revenus, un facteur décisif

La hausse des revenus est l’un des principaux facteurs à l’origine de la croissance des dépenses de santé. L’AFF a retenu le produit intérieur brut (PIB) par habitant comme grandeur. La littérature établit une corrélation positive entre l’augmentation des revenus et une demande croissante de prestations de santé. La hausse des revenus stimule en outre le progrès médical, à l’origine de nouveaux traitements qui améliorent la qualité de vie et allongent l’espérance de vie, mais entraînent aussi souvent une augmentation des dépenses.

L’analyse s’est penchée sur l’ampleur de la corrélation entre la hausse des revenus et celle des dépenses de santé: une hausse de 1% du revenu par habitant entraîne une augmentation des dépenses de santé par personne située entre 0,9% et 1,3%. En d’autres termes, les dépenses de santé augmentent de façon disproportionnée par rapport aux revenus.

L’étude suggère qu’environ la moitié de la croissance des dépenses au cours des 60 dernières années est imputable à la hausse des revenus et que le progrès médical a probablement joué un rôle décisif dans cette hausse.

Le vieillissement, un autre élément clé

Si les dépenses de santé augmentent, c’est aussi en raison du vieillissement de la population. Le rapport de dépendance des personnes âgées, soit le ratio entre les personnes âgées de plus de 65 ans et la population en âge de travailler, était encore inférieur à 0,2 en 1960, alors qu’en 2024, il dépassait 0,3. Il devrait en outre continuer à augmenter, selon les scénarios de la population de l’Office fédéral de la statistique (OFS). Dans les années 2060, la Suisse comptera ainsi une personne à la retraite pour deux personnes en âge de travailler (voir illustration 2).

Les personnes âgées ont en moyenne davantage recours aux prestations médicales et ont besoin de plus de soins, ce qui stimule encore la demande dans le secteur de la santé et exerce une pression accrue sur les dépenses. L’analyse montre que le vieillissement de la population explique environ 15% de la hausse des dépenses de santé entre 1960 et 2022. Cette part devrait continuer à croitre, notamment parce que la génération du baby-boom, très nombreuse, atteint désormais l’âge de la retraite. Le scénario de l’OFS table sur un vieillissement de la population de Suisse deux fois plus rapide d’ici 2036 que durant la période allant de 2037 à 2060.

Ill. 2: En 2060, la Suisse comptera un retraité pour deux personnes actives

GRAPHIQUE INTERACTIF
Remarque : le rapport de dépendance des personnes âgées correspond au ratio entre les personnes âgées de plus de 65 ans et la population en âge de travailler. Un rapport de 0,5 signifie par exemple qu’il y a deux personnes actives pour une personne à la retraite.
Source: calculs des auteurs sur la base des données de l’OFS / La Vie économique

Une hausse de la productivité moins marquée dans le secteur de la santé

Parmi les autres facteurs expliquant l’augmentation des dépenses de santé, on peut citer la productivité relativement limitée dans ce secteur. Plusieurs domaines, notamment les soins de longue durée, requièrent beaucoup de personnel et profitent donc moins du progrès technique que les autres secteurs économiques. Sans compter que pour rester attractif et compétitif par rapport au reste de l’économie, le secteur de la santé doit proposer des salaires concurrentiels à moyen terme.

La pression sur les coûts est plus marquée dans le secteur de la santé, car la demande de prestations réagit moins fortement à l’augmentation des prix: c’est ce qu’on appelle la «maladie des coûts de Baumol»[3]. Les données disponibles pour la Suisse corroborent cette constatation. À l’inverse, d’autres paramètres analysés, tels que la densité de médecins ou l’immigration, ne présentent aucune corrélation claire avec les dépenses de santé durant la période sous revue.

Dans l’ensemble, l’analyse de la série temporelle fournit des données fondées permettant de comprendre les facteurs structurels à l’origine de la hausse des coûts de la santé ces 60 dernières années. Les résultats obtenus sont également utiles pour étayer les hypothèses à la base des projections à long terme concernant les dépenses de santé en Suisse.

  1. Cet article se fonde sur la publication de Lerch et al. (2025). []
  2. Voir Brändle et Colombier (2022). []
  3. Voir Baumol (1967). []

Bibliographie
  • Baumol W. J. (1967). Macroeconomics of unbalanced growth: the anatomy of urban crisis. The American Economic Review, 57(3), 415-426.
  • Brändle T. et Colombier C. (2022). Projections concernant l’évolution des dépenses de santé jusqu’en 2050: vieillissement de la population et crise du coronavirus, document de travail n° 25 de l’Administration fédérale des finances, Berne.
  • Lerch B., Colombier C. et Brändle T. (2025). Determinants of healthcare expenditure: Evidence from Switzerland between 1960-2022, document de travail n° 27 de l’Administration fédérale des finances, Berne.

Bibliographie
  • Baumol W. J. (1967). Macroeconomics of unbalanced growth: the anatomy of urban crisis. The American Economic Review, 57(3), 415-426.
  • Brändle T. et Colombier C. (2022). Projections concernant l’évolution des dépenses de santé jusqu’en 2050: vieillissement de la population et crise du coronavirus, document de travail n° 25 de l’Administration fédérale des finances, Berne.
  • Lerch B., Colombier C. et Brändle T. (2025). Determinants of healthcare expenditure: Evidence from Switzerland between 1960-2022, document de travail n° 27 de l’Administration fédérale des finances, Berne.

Proposition de citation: Lerch, Benjamin; Colombier, Carsten; Brändle, Thomas (2025). Comprendre l’augmentation des coûts de la santé. La Vie économique, 04 septembre.