Rechercher

On ment plus facilement en ligne

La numérisation facilite bien des choses, notamment la triche. Une étude de l’Université de Zurich démontre que nous avons tendance à mentir davantage lorsque nous interagissons avec des machines. Le monde numérique s’en trouve plus exposé au risque de fraude.
Taille de la police
100%

Lorsqu’on interagit avec une machine, on triche trois fois plus souvent qu’avec un être humain. (Image: Keystone)

Plus personne ne peut désormais se passer d’Internet, des courriels et des réseaux sociaux. Les collègues collaborent sans être physiquement au même endroit, tandis que les commerces vendent de plus en plus leurs produits en ligne[1]. Ce faisant, ils renoncent souvent à l’interaction humaine directe, telle qu’elle se produit dans des situations de communication classiques, comme une conversation téléphonique ou une rencontre en personne. Quel effet cela a-t-il sur l’honnêteté? L’Université de Zurich a mené une étude afin de déterminer si, dans leurs interactions, les gens trichent plus souvent avec une machine qu’avec un être humain[2].

Pour répondre à cette question, l’établissement universitaire a mené une série d’expériences, auxquelles ont participé 848 personnes au total. Chacune d’entre elles devait lancer une pièce dix fois, sans être observée, et à chaque lancer, elle pouvait gagner deux francs, selon que la pièce tombait sur le côté pile ou sur le côté face. Les participantes et participants devaient ensuite annoncer leurs résultats, soit le nombre de lancers réussis, à la personne responsable de l’expérience en ayant recours à différents canaux de communication, sachant que s’ils mentaient, ils pouvaient augmenter leurs gains jusqu’à 20 francs. Comme les lancers étaient effectués sans aucune surveillance, il était impossible de contrôler si les résultats communiqués étaient exacts. Selon la théorie des probabilités, les participantes et participants à l’étude auraient toutefois dû réussir cinq lancers en moyenne, soit 50%.

Le déroulement de l’expérience

Les expériences différaient dans la manière dont les participantes et participants devaient communiquer leurs résultats : à une personne ou à une machine, par écrit ou par oral. Le premier groupe a transmis le nombre de lancers réussis à la personne responsable de l’expérience via un appel Skype sans vidéo. Le second a envoyé ses résultats en remplissant un formulaire en ligne non interactif, tandis que le troisième groupe les a communiqués à la personne responsable de l’expérience par écrit, par le biais de la messagerie instantanée Skype. Enfin, le quatrième et dernier groupe a interagi avec un système vocal automatisé qui l’invitait à communiquer ses résultats à l’aide de messages vocaux préenregistrés par la personne responsable de l’expérience.

Tous les groupes ont réalisé l’expérience dans les mêmes conditions ; tous savaient en particulier qu’aucune question supplémentaire ne leur serait posée sur les résultats de l’expérience et qu’aucune contrainte de temps n’existait. Dans tous les cas, le risque de sanction pour tricherie était nul. Les différences de résultats peuvent donc uniquement s’expliquer par le canal utilisé pour la transmission des résultats.

Une plus grande honnêteté face à l’humain

Les expériences montrent que les participantes et participants qui ont communiqué leurs résultats à un être humain via un appel Skype ont rarement triché: en moyenne, ils ont indiqué un taux de réussite des lancers de 54% (voir illustration), ce qui correspond à un taux de triche de 7,6%. Le groupe qui a livré ses résultats par messagerie instantanée a fait état de 55,9% de lancers réussis en moyenne, soit un degré d’honnêteté similaire aux personnes qui ont transmis leurs résultats par téléphone.

Le groupe qui a interagi via un système vocal automatisé affiche des résultats différents: la proportion moyenne de lancers réussis y atteint 60,1%. Seul le groupe ayant utilisé le formulaire en ligne a affiché un taux de réussite encore plus élevé, de 62%, soit un taux de triche de 23,4%. Les personnes ont donc triché trois fois plus souvent lorsqu’elles ont interagi avec une machine plutôt qu’avec un être humain. Le fait que la voix de la machine est humaine, comme dans le cas du système vocal automatisé, n’a guère eu d’influence sur les résultats.

Moins de mensonges lors d’un contact téléphonique avec une personne (2013)

GRAPHIQUE INTERACTIF
Source: illustration de l’auteur / La Vie économique

Préserver sa réputation

Comment expliquer ces résultats? L’économie comportementale montre que, attachent de la valeur à ce que les autres pensent d’eux, les individus sont souvent motivés par le désir de préserver une certaine image. Lorsqu’ils n’ont pas d’interaction humaine, ils accordent moins d’importance au fait de faire bonne impression. Le groupe qui a transmis ses résultats par messagerie instantanée n’avait certes pas de contact humain direct, mais le simple sentiment d’interagir avec une personne a suffi à freiner les comportements de tricherie.

Il ressort de l’étude que les interactions avec des machines ou des robots peuvent nuire à l’honnêteté, ce qui permet notamment d’expliquer pourquoi les escroqueries sont si répandues dans le monde numérique. Les programmes malveillants, tels que les chevaux de Troie, espionnent anonymement les mots de passe ou les données bancaires de leurs victimes. Des bots testent ensuite automatiquement ces identifiants ou ces numéros de cartes de crédit usurpés sur des centaines de plateformes différentes. Le fait que les escrocs à l’origine de ces attaques n’ont jamais besoin d’entrer en contact avec les personnes lésées pour obtenir des informations facilite considérablement la fraude.

À l’inverse, le numérique peut aussi renforcer l’honnêteté. L’apprentissage automatique, les nouvelles technologies de vérification comme les chaînes de blocs ou l’intelligence artificielle peuvent contribuer à réduire la fraude car elles permettront de mieux les détecter à l’avenir. Et quand la tricherie est découverte, c’est la réputation des fraudeurs qui en pâtit, ce qui les incite à rester honnêtes.

Les fraudeurs privilégient la voie numérique

Autre bonne nouvelle: il est possible de démasquer les personnes malhonnêtes. Dans le cadre d’une seconde expérience, l’honnêteté de nouvelles participantes et de nouveaux participants a été mise à l’épreuve, toujours au moyen d’un lancer de pièce. Puis, lors d’une deuxième série de dix lancers, les personnes ont pu choisir la manière de communiquer leurs résultats : via un formulaire en ligne ou par un appel téléphonique à la personne responsable de l’expérience.

Les personnes ayant tendance à être moins honnêtes ont plus souvent opté pour un canal de communication sans contact humain, ce qui leur permettait de moins se soucier de leur réputation. Cette observation ouvre de nouvelles perspectives pour la détection des risques de fraude. Les compagnies d’assurance pourraient ainsi utiliser leurs ressources plus efficacement pour repérer les fraudes potentielles, en examinant en priorité les cas de transmission d’une déclaration via un formulaire en ligne plutôt que les cas de déclaration effectuée directement auprès d’un membre de leur personnel.

  1. Crédit pour la photo de l’auteur: NOMIS Foundation / Ueli Christoffel []
  2. Voir Cohn A. Gesche T. et Maréchal M. A. (2021). Honesty in the Digital Age. Management Science, 68(2), pp. 827-845. []

Proposition de citation: Maréchal, Michel (2025). On ment plus facilement en ligne. La Vie économique, 10 novembre.