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La crise conjoncturelle et ses conséquences sur le marché immobilier de l’Arc lémanique

La crise conjoncturelle et ses conséquences sur le marché immobilier de l’Arc lémanique

La progression de l’indice suisse du climat de consommation, du solde migratoire et du PIB permettent de penser que 2010 sera une année de croissance économique. De la même manière, le marché immobilier de la métropole lémanique est relativement serein et devrait évoluer favorablement en 2010. Ses représentants redoutent moins les risques conjoncturels au milieu de l’année 2010 qu’à ses débuts. L’activité immobilière reste, toutefois, soumise à moyen terme aux aléas du chômage et du financement. L’éventuelle hausse des taux d’intérêt doit être replacée dans un con-texte économique global. Les difficultés rencontrées actuellement par la Grèce, l’Espagne et le Portugal ont poussé les investisseurs internationaux à se replier sur des valeurs refuges, entre autres le franc suisse, qui s’est fortement valorisé en particulier par rapport à l’euro. Il est ainsi probable que les taux d’intérêt en Suisse, et notamment les taux hypothécaires, restent à des bas niveaux pour une période plus longue que prévu.

Contexte conjoncturel


Le contexte actuel de perte de confiance dans la monnaie unique européenne, consécutif aux difficultés rencontrées par la Grèce, l’Espagne et le Portugal, semble renforcer la vertu de valeur refuge du franc suisse. Alors que les signes de reprise de la conjoncture, au niveau mondial, se sont multipliés depuis le début de l’année, le niveau d’endettement préoccupant de plusieurs États industrialisés a débouché sur une nouvelle crise dans les marchés financiers au printemps 2010.L’évolution du PIB en Suisse romande, durant le premier trimestre 2010, confirme que la reprise est bien là. L’amélioration de la conjoncture romande devrait se poursuivre durant les prochains mois. L’économie genevoise se caractérise notamment par l’importance de son secteur financier. Si la récession y a été plus précoce que dans le reste de la Suisse, la reprise semble s’y être installée plus rapidement et de manière plus vigoureuse que dans le reste du pays. La croissance de son PIB s’est accélérée depuis le 3e trimestre 2009 et a continué de progresser vigoureusement depuis lors.Le niveau de confiance des consommateurs représente une information importante sur la conjoncture. L’indice du climat de consommation, calculé par le Secrétariat d’État à l’économie (Seco, voir graphique 1), synthétise des appréciations subjectives de la population, concernant notamment l’évolution économique, la situation budgétaire des ménages, l’évolution des prix ou encore la sécurité de l’emploi. Depuis le début 2007 jusqu’à la mi-année 2009, cet indice avait beaucoup baissé en Suisse. Une tendance à l’amélioration s’est ensuite précisée depuis l’automne 2009. Jusqu’à la dernière enquête d’avril 2010, le climat de consommation s’est amélioré en Suisse et à même dépassé sa moyenne historique à long terme.Contrairement à ce que la gravité de la crise conjoncturelle mondiale de 2008–2009 aurait pu laisser présager, la progression du nombre de chômeurs est restée relativement contenue dans plusieurs pays, dont la Suisse. Au mois de mai 2010, le taux de chômage corrigé des influences saisonnières y était de 4%. En Suisse romande et au Tessin, le taux de chômage moyen s’élevait à 5,3% en mai dernier (désaisonnalisé) et à 3,3% en Suisse alémanique. Le taux non désaisonnalisé était de 7,1% en mai 2010 à Genève. Dans l’ensemble, la Suisse romande, et Genève en particulier, devraient mieux s’en tirer que durant d’autres périodes de contraction de l’activité économique. La diversification plus grande de son économie, l’importance du secteur public et des organisations internationales – à Genève notamment – devraient jouer un rôle d’amortisseur.Bien que ces chiffres semblent de bon augure pour l’année 2010, il faut évidemment rester prudent. Les problèmes rencontrés par la zone euro rendent les prévisions incertaines, notamment pour les exportations de la Suisse dans sa direction. C’est dans ce contexte qu’il faut envisager une évolution sans doute moins dynamique du marché immobilier, qui devrait contraster avec l’évolution des glorieuses années antérieures, durant lesquelles beaucoup de logements se vendaient facilement.Durant les périodes d’incertitude marquée, il est important d’approfondir les fondamentaux du marché immobilier et de l’immobilier romand, dont les effets sur l’ensemble de l’économie ne sont pas négligeables. On rappellera, à ce sujet, que les prémices de la crise mondiale de 2008–2009 sont apparues au préalable dans la vague de spéculation immobilière qui a plus particulièrement sévi sur les marchés anglo-saxons et ibériques.

Fondamentaux de l’immobilier


De manière synthétique, le marché de l’immobilier dépend de quatre éléments fondamentaux:− la démographie et l’immigration, qui forment l’essentiel de la demande en logements;− les modalités affectant l’offre de construction (l’offre de logements);− le taux de vacance des logements observé à un moment donné, soit la résultante de l’offre et de la demande passées ou courantes;− les sources de financements, notamment le niveau des taux d’intérêt hypothécaires, qui représente encore aujourd’hui un des principaux paramètres financiers de l’évolution des prix.Le marché immobilier dépend, en outre, de l’attrait de la région considérée. En Suisse romande, celui-ci profite d’atouts comme la Genève internationale, l’industrie locale diversifiée, la qualité de l’environnement ou encore le patrimoine culturel et touristique.

Une population en forte augmentation


La population suisse a connu en 2008 sa plus forte augmentation depuis 45 ans (1,4% de croissance de la population résidante). L’année 2009 fait pratiquement preuve du même dynamisme avec une croissance de 1,1%. Ces taux sont largement supérieurs à la moyenne européenne. Les huit dernières années ont dans l’ensemble été exception-nelles; la Romandie – et spécialement l’Arc lémanique – ont connu un réel «boom démographique» (voir graphique 2). Cette croissance de la population résidante moyenne devrait, en revanche, ralentir d’ici 2030 à +0,7% par an avec le vieillissement de la population suisse.L’évolution de la population en Suisse romande s’explique essentiellement par les flux migratoires. Les prévisions de l’année en cours annoncent une baisse de l’immigration. Le solde migratoire n’a toutefois reculé que lentement. Une immigration nette de 40 000 personnes a été enregistrée en 2009. Il est important de mentionner que les vagues migratoires récentes ont concerné des personnes hautement qualifiées et à «hauts revenus». Cette évolution a débouché sur un regain d’intérêt pour les logements situés dans les grands centres d’emploi: Genève et Lausanne demeurent d’importants pôles d’attraction pour les personnes actives d’origine étrangère hautement qualifiées.

La construction suit difficilement


À Genève, l’augmentation de la population est d’environ 5000 personnes par an, alors que le nombre de logements construits avoisine péniblement les 1500, soit un rapport de 1 à 3. Pour se situer dans un marché en équilibre, le rapport précédent devrait être de 1 à 2 (un nouveau logement pour deux nouvelles personnes arrivant sur le territoire). Il en résulte une pénurie de logements chronique qui a abouti à un taux de vacance quasi nul depuis 2003.L’Arc lémanique a bénéficié de la libre circulation des personnes, mais comme la capacité d’accueil du canton de Genève est limitée, c’est surtout son voisin vaudois qui a profité de cette immigration. La construction n’a, toutefois, pas suivi et le taux de vacance est tombé à un niveau extrêmement bas à Lausanne comme à Genève.

Des taux hypothécaires à un niveau historiquement faible


Les taux d’intérêt hypothécaires ont atteint un niveau historiquement bas en raison de la baisse des taux directeurs durant les deux dernières années, laquelle était nécessaire à la relance de l’économie. L’acquisition de logement par crédit hypothécaire est donc devenue très attractive. Cela a contribué au maintien d’un certain dynamisme sur le marché immobilier et limité le risque de correction des prix vers le bas. On peut rappeler à cet égard que la Suisse a su tirer des enseignements de sa propre crise des «subprimes» des années 1980–1990. Les banques avaient répondu en renforçant les conditions d’octroi des crédits hypothécaires et en recourant notamment à des opérations à taux fixes. Il est difficile de prévoir pour combien de temps encore les taux des crédits hypothécaires en Suisse pourront rester au faible niveau des premiers mois de l’année 2010. La nouvelle crise de l’endettement public en Europe et les pressions à la hausse sur le franc suisse ne militent actuellement pas en faveur d’une hausse prochaine et d’une forte ampleur des taux directeurs et hypothécaires. L’incertitude reste, toutefois, élevée à cet égard (voir graphique 3 et graphique 4).

L’immobilier de rendement


Contrairement aux prévisionnistes qui, unanimes, répètent inlassablement que les prix de l’immobilier devraient marquer une pause sur l’Arc lémanique, les indices du 1er trimestre 2010 se maintiennent à la hausse. La demande de logements continue de progresser, malgré le fléchissement annoncé. Pour autant, une étude approfondie révèle que, plutôt qu’une résistance réelle à la crise, les logements – notamment ceux des immeubles résidentiels – subissent l’inefficience du marché, ce qui maintient les prix à la hausse. Les placements prisés avant la crise (actions, obligations) ont, en effet, perdu de leur attrait en raison des risques liées à leur volatilité. Les propriétaires immobiliers conservent souvent leur patrimoine, ne sachant pas où réinvestir les fonds issus des ventes immobilières. Le risque inflationniste, pour plusieurs régions du monde, ne doit pas non plus être écarté en raison de l’augmentation des masses monétaires des deux dernières années. Dans ce cas, détenir de l’immobilier permettrait de profiter de l’inflation (ou de ne pas trop la subir) par le biais de l’adaptation des loyers. La demande demeure, dès lors, élevée pour les biens immobiliers face à une offre quasi nulle.

L’immobilier commercial


Pour ce qui est de l’immobilier commercial, la chute des transactions est relativement prononcée. En période de crise, le risque d’une augmentation des surfaces commerciales vacantes grandit, ce qui multiplie les réticences des investisseurs à son égard. Cependant, Genève bénéficie d’un attrait en partie dû à sa fiscalité. On a assisté récemment au début d’un phénomène de délocalisation des fonds spéculatifs («hedge funds») anglais vers le centre-ville de Genève, suite aux mesures de taxation prises par le gouvernement de Gordon Brown. En comparaison internationale, Genève a un taux de vacance de l’immobilier commercial extrêmement bas. De même, le canton de Vaud a enregistré une baisse importante de ses surfaces vacantes ces dernières années avec la venue de nombreuses sociétés qui ont profité de l’arrêté Bonny. Celui-ci offrait des avantages fiscaux aux sociétés qui s’implantaient dans des régions peu attractives. Ainsi, si d’une manière générale, il faut s’attendre dans les prochains mois à ce que les prix baissent pour les bureaux et stagnent pour les surfaces commerciales, on peut estimer que cela touchera moins les centres-villes lémaniques que d’autres régions. En revanche, les zones excentrées comme le Nord vaudois, où l’on a vu d’importantes surfaces de bureaux sortir de terre ces dernières années, peinent toujours à trouver des locataires en ce début d’année 2010.

L’immobilier de jouissance


Les investisseurs se tournent de plus en plus vers le secteur du logement en copropriété. D’une part, ils profitent de taux d’intérêt extrêmement bas; d’autre part, ils partent de l’hypothèse que les coûts de financement d’un logement en propriété équivalent, voire sont inférieurs à un budget de location. Cet engouement a fait progresser de 40% le coût des logements en propriété ces dix dernières années. Le redressement des taux d’intérêt pourrait, toutefois, générer un risque important pour les nouveaux propriétaires, en particulier pour les ménages qui ont investi à taux variables ou qui renouvellent leurs hypothèques. Il serait donc prudent de privilégier les taux fixes avec des durées différentes afin d’échelonner les renouvellements dans le temps.Le prix des maisons individuelles est en hausse, mais de façon moins marquée que pour les logements en copropriété. Ceci s’explique tout d’abord par le fait que la demande potentielle est moins importante que pour les appartements. Par ailleurs, l’offre est bien moins élevée. Enfin, les maisons individuelles se situent souvent en zone périphérique, plutôt que dans des centres prisés. Le risque de correction des prix est ainsi structurellement inférieur à celui des appartements.

Graphique 1: «Indice du climat de consommation, octobre 1973 – avril 2010»

Graphique 2: «Taux de croissance annuel moyen de la population de Genève, Vaud et Neuchâtel»

Graphique 3: «Taux directeur de la BNS et taux hypothécaire de référence, janvier 1990 – mars 2010»

Graphique 4: «Le taux hypothécaire variable en Suisse, juin 1976 – avril 2010 (fin du mois)»

Encadré 1: Références bibliographiques

http://www.bns.chhttp://www.ge.ch (statistiques);− http://www.bfs.admin.chhttp://www.seco.admin.chhttp://www.scris.vd.ch.

Sites Internet

Reflets conjoncturels de l’économie genevoise, Office cantonal de la statistique (OCSTAT), bulletin de décembre 2009, janvier, février et mars 2010.− Bulletin statistique mensuel, Office cantonal de la population et CCIG, janvier, février et mars 2010.− Groupe de perspectives économiques. Mise à jour des prévisions, mars 2010.

Bulletins

Observatoire de l’immobilier 2009, Acanthe;− Marché immobilier 2010, faits et tendance, Crédit Suisse;− «La force économique de la Suisse romande», L’Hebdo, Forum des 100;− Immo – Monitoring 2010/2, édition de printemps, Wüest & Partner.

Proposition de citation: Etienne Nagy (2010). La crise conjoncturelle et ses conséquences sur le marché immobilier de l’Arc lémanique. La Vie économique, 01 juillet.