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L’allégement des charges administratives des PME grisonnes

Nombreux sont ceux qui, dans le milieu des entreprises, ne cessent de réclamer un recul de la bureaucratie. Le monde politique ne peut guère envisager de satisfaire en bloc à une telle exigence; bien au contraire, les allégements possibles doivent d’abord être définis dans chaque domaine. Pour la première fois, le canton des Grisons s’est attaqué à ce problème sur toute l’étendue de son territoire, une procédure en trois temps devant permettre de déterminer les mesures à prendre. Celle-ci consiste d’abord à préciser, sur la base d’une enquête réalisée auprès des entreprises, les branches qui ressentent les prescriptions administratives comme particulièrement contraignantes, puis à définir la marge de manoeuvre dont disposent concrètement les pouvoirs publics pour des mesures d’allégement, enfin à établir sur cette base un catalogue d’interventions appropriées.

Les contraintes administratives peuvent accabler les petites et moyennes entreprises (PME) au point d’affecter leur capacité productive. L’objectif de l’enquête menée sur mandat des Départements de l’intérieur et de l’économie publique du canton des Grisons était d’identifier les domaines où il était possible d’alléger les charges administratives pesant sur les PME. Tout comme Christoph Müller1, l’enquête les définit comme des dépenses supplémentaires imposées aux entreprises par des prescriptions publiques contraignantes, indépendamment du fait que les PME concernées en retirent ou non des avantages. De ce point de vue, les prescriptions perçues par les PME comme des entraves restreignant leur marge de manoeuvre opérationnelle ne constituent pas des charges administratives. Les obligations réglementaires qui entraînent pour les PME des investissements supplémentaires ou qui complexifient les processus d’exploitation, sont également exclues de l’étude. Voir aussi Conseil fédéral (2003), p. 2.

Méthodologie


Cette vaste enquête se fonde sur un échantillon de 5846 PME grisonnes, auxquelles un questionnaire en deux pages a été soumis en mars 2005. Par rapport au nombre total de lieux de travail dénombré dans le canton des Grisons (environ 12000 selon le recensement des entreprises de 2001), près de la moitié a ainsi été sondée. Même si l’échantillonnage n’est pas le fruit du hasard, les résultats de l’enquête peuvent être considérés comme représentatifs dans la mesure où la répartition des PME qui ont répondu reflète assez fidèlement la structure de l’économie grisonne. De plus, les 24% de réponses représentent un taux non négligeable qui reflète bien la sensibilité et l’état d’esprit actuels des PME sur la question. Parmi les quelque 1400 PME qui ont répondu, les micro-entreprises – réalisant moins de 1 million de francs de chiffre d’affaires et comptant de 1 à 9 employés à plein temps – apparaissent sur-représentée. Un quart environ de l’échantillon est formé d’entreprises occupant de 10 à 49 personnes, alors que celles de plus de 50 travailleurs n’en constituent que 7%. Ces résultats traduisent d’abord la domination des entreprises de l’industrie et de l’artisanat de transformation dans ce canton (d’après le recensement des entreprises de 2001, 85% de celles actives dans les Grisons ont moins de 10 employés). Il se pourrait également que les petites et micro-entreprises se sentent davantage concernées par l’enquête, étant donné que les travaux administratifs que demandent les prescriptions officielles pèsent nettement plus sur ce groupe que sur les autres du fait de la plus grande faiblesse de leurs ressources disponibles. Les réponses, ventilés par branches, composent également un tableau inégal. Alors que sur les 19 branches recensées, un certain nombre sont – du point de vue structurel – nettement sur-représentées (hôtellerie et construction, commerce de gros et de détail, industrie et artisanat), d’autres, parfois fortement créatrices de valeur ajoutée, sont au contraire sous-représentés (p. ex. l’industrie, la construction de machines et de véhicules, le secteur TED-logiciels, l’électrotechnique, la mécanique fine et l’optique, les banques et les assurances, les communications). Cette relative distorsion pourrait s’expliquer par les différences de sensibilité subjective des PME selon la branche.

Les enseignements de l’enquête


La majorité des entreprises perçoivent leurs charges administratives comme un fardeau: les trois quarts environ des PME qui ont répondu, estiment que les règles et prescriptions des autorités leur occasionnent des dépenses excessives. Quelque 43% admettent, cependant, que ce n’est vrai que partiellement. Pour 21% d’entre elles, ce n’est «généralement pas le cas», ou «pas du tout le cas». La charge effective ne semble donc pas aussi pénible que ne le croient nombre de personnes au sein du public et des milieux politiques. Un peu plus d’un tiers de l’ensemble des PME ayant répondu précisent que la quantité de temps que leur prend les prescriptions administratives dépasse en moyenne 20 heures par mois; seules 5% d’entre elles indiquent y passer 60 heures. En revanche, quelque 60% y consacrent moins de 20 heures par mois. Voici un autre résultat qui peut surprendre: contrairement aux suppositions évoquées plus haut, le volume effectif des charges administratives tend à progresser avec la taille des entreprises. En effet, le groupe des micro-entreprises ne juge pas, dans l’ensemble, sa charge administrative si importante que cela, puisque 70% de ses membres y consacrent moins de 20 heures par mois. En revanche, les entreprises de taille supérieure sont seulement 10% et 45% à faire la même réponse. En conclusion, la majorité des PME ayant répondu récriminent contre le fardeau des tâches administratives, mais le temps qu’elles y consacrent effectivement apparaît plutôt modeste. Reste que les carences constatées doivent être prises au sérieux, car elles occasionnent aux entreprises des dépenses qui pourraient leur être évitées. La comparaison par branches montre aussi que les PME ressentent différemment le poids de leurs diverses charges administratives. La proportion d’entreprises qui estiment que les obligations imposées par l’État constituent une source de dépenses pour le moins partiellement excessives fluctue entre 85% dans les branches de l’hôtellerie, du tourisme, des transports et de l’industrie, et 65% dans les services privés et l’approvisionnement de base. Les charges liées au décompte de la TVA, à l’imposition des sociétés, aux tâches de protection de l’environnement et à la comptabilité représentent des fardeaux d’égale importance pour toutes les branches. Les autres types de contraintes, en revanche, ne sont ressenties comme particulièrement désagréables que par certaines d’entre elles. Les différentes pondérations permettent de définir – suivant l’opinion des entreprises concernées – des domaines d’intervention prioritaires pour des allégements administratifs au plan cantonal: – premièrement, l’imposition des sociétés et la comptabilité: pour toutes les PME; – deuxièmement, le régime des autorisations pour les entreprises de la construction et de l’hôtellerie, du tourisme et des transports, de l’industrie et de l’approvisionnement de base; – troisièmement, le cahier des charges pour les entreprises de la construction, de l’hôtellerie, de l’industrie et artisanat, du tourisme et des transports.  Il serait également possible d’intervenir dans les domaines suivants: travailleurs étrangers, autres impôts et redevances, formation des apprentis, importation et exportation de marchandises, assurances sociales.

La marge de manoeuvre des autorités est déterminante


Face aux problèmes de surcharge des PME, l’administration publique doit déterminer les domaines où elle dispose d’une marge de manoeuvre pour procéder à des allégements. Comme elle ne peut pas adapter les lois, elle devra se concentrer sur l’application et privilégier les options fondamentales déjà définies par le Conseil fédéral, à savoir: accélération, simplification et coordination des processus, examen et introduction de procédures de substitution, approche clientèle.3 Au surplus, l’administration cantonale n’est guère en mesure d’influer sur des réglementations relevant de la législation fédérale ou de la compétence des communes ou d’autres tiers (p. ex. de la Suva pour l’assurance-accidents). Le graphique 1 répartit les différents domaines d’intervention possibles résultant de ces considérations. Il s’agit d’un premier état des priorités consécutives aux contraintes auxquelles les cantons sont soumis. Ceux-ci sont incapables – ou quasiment – d’exercer une influence sur les prescriptions administratives qui touchent à la TVA, aux renseignements statistiques destinés aux offices fédéraux, à la comptabilité, à la formation des apprentis et à la sécurité au travail, bien qu’il s’agisse de causes de surcharge administrative fréquemment citées. Même remarque, dans une moindre mesure, à l’égard des assurances de rentes, de l’assurance-chômage et de la circulation des marchandises avec l’étranger. En revanche, ils peuvent directement intervenir sur des tâches comme l’impôt à la source et autres taxes et prélèvements, les renseignements statistiques à fournir aux cantons, la détention de véhicules à moteur et les décomptes d’alcool, autant de chapitres relevant très largement de réglementations cantonales. Les principaux domaines d’intervention sont présentés dans le quart supérieur droit du graphique. Il s’agit notamment des procédures administratives relatives à l’imposition des sociétés, qui doivent être étudiées de plus près, en les intégrant au débat sur la charge fiscale frappant les entreprises de la place économique grisonne. Un autre groupe de mesures se rapporte aux procédures d’autorisation (protection de l’environnement, projets de construction), dont l’aménagement administratif appelle également une analyse plus approfondie. Enfin, les prescriptions concernant la production ainsi que l’administration des travailleurs étrangers sont des objectifs prioritaires de l’administration cantonale. L’enquête a aussi montré que les PME sont prêtes à collaborer à l’élaboration des mesures d’allégement pour permettre leur application dans les domaines définis ci-dessus. C’est en tout cas ce qui ressort d’un grand nombre de propositions concrètes de leur part visant à rendre les procédures officielles plus efficaces. L’administration a défini trois orientations stratégiques à mettre en oeuvre en fonction des situations: – préparation, par des groupes de discussion réunissant des représentants de branches et de l’administration, de domaines d’intervention considérés comme très importants pour telle ou telle branche ou pour plusieurs d’entre elles; – définition, par des groupes de travail internes de l’administration, de procédures administratives concernant plusieurs services à la fois; – examen plus approfondi de certains domaines en vue de déterminer les causes matérielles et/ou administratives de surcharge, puis mobilisation de groupes de discussion ou de groupes de travail internes à l’administration.

Conclusion


Les mesures d’allégement administratif en faveur des PME sont une tâche politique qu’il convient de mener à bien avec une très grande persévérance et le souci du détail. Les améliorations obtenues en ce domaine profitent à tous puisqu’elles réduisent l’ampleur des tâches auxquelles les entreprises sont astreintes tout en améliorant l’efficacité des procédures. L’enquête menée permet de définir avec certitude le bon ordonnancement des priorités lors de la mise en oeuvre de ce programme d’allégement. Enfin, son taux de participation important montre que les PME sont disposées à prêter leur concours pour la recherche de solutions adéquates.

Graphique 1 «Marge de manoeuvre des cantons pour des mesures d’allégement»

Encadré 1: Indications bibliographiques – Müller Christoph, Administrative Belastung von KMU im internationalen und kantonalen Vergleich, Strukturberichterstattung, éd. par l’Office fédéral du développement économique et de l’emploi (aujourd’hui seco), Saint-Gall, 1998.- Conseil fédéral, Rapport du Conseil fédéral relatif à des mesures de déréglementation et d’allégement administratif, 3 novembre 1999.- Conseil fédéral, Mesures d’allégement administratif de la Confédération pour les entreprises. Rapport du Conseil fédéral, 16 juin 2003.

Proposition de citation: Lutz E. Schlange (2006). L’allégement des charges administratives des PME grisonnes. La Vie économique, 01 février.