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Les banques multilatérales de développement et leur évolution

Depuis leur création, les banques multilatérales de développement (BMD) n’ont pas seulement joué leur rôle: elles sont devenues, sous bien des aspects, des acteurs de poids en matière de développement, de financement et de politique étrangère. Fondées à l’origine dans le but d’octroyer des crédits avantageux pour financer des projets d’infrastructure de grande ampleur, les BMD financent aujourd’hui des projets dans divers secteurs. En outre, elles élaborent, avec d’autres institutions d’envergure mondiale, des normes et des règles internationales. Enfin, elles interviennent lors des crises, en mettant en œuvre des mesures de soutien en faveur de la communauté internationale. L’importance grandissante des BMD tient à leur capacité de ne pas se laisser gagner par l’immobilisme, afin de continuer à élargir leurs domaines d’activité et à étoffer leurs instruments.

Des moteurs du changement


Les BMD (voir encadré 1

La Suisse participe


La Suisse est membre du Groupe de la Banque mondiale et des quatre banques régionales de développement. Le groupe réunit la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (Bird), l’Association internationale de développement (IDA), la Société financière internationale (SFI), l’Agence multilatérale de garantie des investissements (Amci) et le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi). Les banques régionales de développement sont la Banque africaine de développement, la Banque asiatique de développement et la Banque interaméricaine de développement. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), qui se concentre sur les pays en transition, entre également dans cette catégorie.

) sont des instituts financiers qui soutiennent par des crédits et des versements complémentaires les pays en développement qui les consultent. Elles sont mandatées pour réduire la pauvreté et pour accompagner la transition vers la démocratie et léconomie de marché. Les BMD sont, en outre, des centres de connaissances importants auxquels pays en développement et donateurs peuvent sadresser.Les BMD ont évolué ces dernières dé- cennies et sont aujourdhui actives dans de nombreux domaines qui dépassent leur rôle traditionnel de financement des infrastructures. Elles soutiennent, par exemple, l’agriculture, les projets en matière d’égalité hommes-femmes et la mise en place de structures et d’institutions fiables dans les pays en développement et les États fragiles.Des changements apparaissent aussi au plan institutionnel: de nouveaux États membres contribuent aux BMD et ces dernières cherchent à intégrer tous les acteurs société civile, secteur privé et science –, à l’inverse des pratiques du passéLe changement peut également user de différents ressorts. Les BMD tirent continuellement profit des expériences réussies. Par ailleurs, les nouveaux courants sociaux, les innovations en économie du développement et les accords politiques sont dûment pris en compte: les BMD adaptent leur organisation et leurs instruments en fonction de ces éléments. Pour conserver leur pertinence, elles doivent pouvoir s’adapter aux réalités du marché et répondre aux souhaits de leur clientèle.Les États membres, les groupes de pays, les organisations non gouvernementales et la direction des BMD se réunissent régulièrement pour débattre de nouvelles exigences, de nouveaux objectifs et de nouvelles tâches. Le dialogue n’est pas toujours facile: tous ne partagent pas le même point de vue sur les nouveaux enjeux et ne leur accordent pas les mêmes priorités. Or, comme le consensus est un principe fondamental pour la prise de décision au sein des BMD, il est primordial que toutes les parties prenantes se montrent ouvertes au dialogue. Ces discussions exigent en particulier des idées porteuses, une bonne gestion des procédures, un sens aigu des réalités et des arguments solides. Si toutes ces conditions sont réunies, un pays pourra être influent.Ce qui suit illustre de manière succincte quelques-unes des grandes décisions stratégiques, d’hier et d’aujourd’hui. Elles montrent comment les BMD ont évolué en procédant à des adaptations ciblées, comment elles sont restées innovantes et comment elles ont su justifier leur existence (voir tableau 1).

De la quantité à la qualité


Dans les débats que suscite actuellement la politique de développement, la grande efficacité des projets et l’obtention de résultats convaincants (rapport coût-bénéfice) revêtent une importance capitale: les pays donateurs veulent des résultats qui leur permettent de justifier, vis-à-vis de leur population, les moyens financiers alloués à la coopération au développement, et les pays bénéficiaires exigent une preuve que les services acquis et les crédits sollicités contribuent effectivement à leur développement.Le débat sur les résultats et l’impact des mesures engagées a été ravivé au début des années nonante par le rapport Wapenhans de la Banque mondiale. Ce rapport indépendant, rédigé à la demande de Lewis Preston, alors président de la Banque mondiale, faisait état, en 1992, d’une détérioration de la qualité du portefeuille de projets de la Banque mondiale. Il préconisait que celle-ci mesure dorénavant la réussite de ses projets à leur incidence sur le développement durable. Dans cette optique, il s’agissait notamment d’associer davantage les partenaires locaux à l’élaboration et à la réalisation des projets (coparticipation et coresponsabilité), et de mieux prendre en compte la situation dans le pays.Ce rapport a connu un vif retentissement au-delà de la Banque mondiale. Ses conclusions ont conduit toutes les BMD à accorder d’avantage d’importance à la qualité des projets. Ces deux dernières décennies, les modalités de cette nouvelle orientation ont été précisées et définies formellement. Ses grands principes – par exemple l’appropriation ou la gestion axée sur les résultats et la responsabilité mutuelle – sont décrits dans la Décla-ration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement (2005). De nouvelles étapes devraient être franchies lors de la conférence qui se tiendra à Busan, en République de Corée, à la fin de cette année.

Corruption: la fin d’un tabou


Dans son discours d’ouverture à l’assemblée annuelle des institutions de Bretton Woods en 1996, James Wolfensohn, président de la Banque mondiale, a comparé la corruption à un «cancer» ravageant les pays en développement. Elle entraîne, selon lui, des coûts supplémentaires pour les entreprises, ce qui rebute les investisseurs étrangers et empêche les investissements. Luis Alberto Moreno, président en exercice de la Banque interaméricaine de développement, a évoqué sans ambages les effets de la corruption sur les plus pauvres: elle fragilise les institutions démocratiques, décourage les investisseurs et compromet la création d’emplois. Pour lui, elle est encore plus lourde de conséquences pour les pauvres et les personnes dépourvues de recours judiciaires appropriés. Jusque-là, la corruption était presque un sujet tabou au sein des institutions internationales. J. Wolfensohn a enjoint les organisations internationales de ne pas fermer les yeux plus longtemps et de soutenir les gouvernements qui interviendraient contre la corruption ambiante.La lutte contre la corruption et le soutien à la bonne gouvernance comptent aujourd’hui parmi les thèmes centraux de toutes les BMD. Dans la coopération avec les pays en développement, les BMD incitent à aborder la problématique que constitue ce fléau. Dans l’octroi de fonds aux pays partenaires, elles appliquent le principe d’efficacité, qui attribue, dans l’évaluation d’un pays, un poids important à la preuve d’une bonne gouvernance. Dans ce domaine, il est possible et souhaitable de faire et d’exiger encore davantage, comme le montrent les récents événements en Afrique du Nord.Pour préserver leurs propres projets de la corruption, les BMD mènent aujourd’hui des programmes de prévention ciblés et possèdent des organes de médiation indépendants, auxquels peuvent s’adresser les collaborateurs qui soupçonnent des irrégularités. En avril 2011, les BMD ont signé un accord de «sanctions croisées» visant à harmoniser leur méthodes de lutte contre la corruption.

Promouvoir le secteur privé


Robert Garner, premier vice-président exécutif de la Société financière internationale (SFI), était fermement convaincu que l’avenir le plus prometteur pour les pays les moins développés passe par une bonne industrie privée. Cette idée, formulée en 1950, résume l’essentiel de la vision des BMD concernant le développement du secteur privé: compétitif, il crée des emplois, attire les investissements, suscite l’innovation et le transfert de technologie et contribue à la croissance durable du pays; un secteur privé florissant génère en outre des recettes fiscales, qui permettent aux institutions étatiques de financer des projets d’infrastructure et d’investir dans la santé et l’instruction publiques.La promotion du secteur privé gagnera encore en importance ces prochaines années. La croissance économique est nécessaire pour réduire de moitié la pauvreté dans le monde (premier des objectifs du Millénaire pour le développement), d’autant que les fonds publics consacrés au développement ne suffisent pas à couvrir les besoins en la matière. Pour stimuler la croissance, il faut améliorer le climat des affaires dans les pays en développement et mobiliser davantage de capitaux privés (par effet d’attraction).Suite aux augmentations de capital décidées pour enrayer la récente crise financière et économique, toutes les BMD étofferont leur portefeuille consacré au secteur privé dans les années à venir. Le développement de ce secteur est le domaine d’activité principal de la SFI et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd). Il inclut la réalisation d’investissements ciblés dans les entreprises, la fourniture de conseils et l’amélioration des conditions-cadres structurelles et institutionnelles des pays en développement. Conformément à leur mandat, les BMD ne doivent pas se substituer au secteur privé, mais au contraire stimuler et soutenir ses activités. En conséquence, elles accordent leur priorité aux pays, régions, secteurs et projets qui présentent à la fois un potentiel économique considérable et de grosses lacunes en matière de financement et de savoir-faire, et de bonnes chances de produire des effets de démonstration.

Le désendettement, condition préalable à la croissance et au développement


Ces 30 dernières années, les pays en développement ont été de plus en plus nombreux à atteindre, voire dépasser, les limites d’une gestion soutenable de la dette. La communauté internationale a décidé d’aider ceux qui se trouvent dans ce cas et lancé, en 1996, l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). La Suisse a joué un rôle décisif dans l’élaboration et le financement de cette initiative
Voir l’article de M. Feldmann à la p. 13 de ce numéro.. En 2006, le G8 a décidé de réduire davantage la dette d’une sélection de pays parmi les plus pauvres, par le biais de l’initiative d’allégement de la dette multilatérale (IADM). La réduction de la dette, par la communauté internationale, à un niveau supportable vise à restituer leur marge de manœuvre aux pays endettés. Cela doit leur permettre deffectuer les investissements nécessaires pour lutter contre la pauvreté et développer les infrastructures, donc améliorer le bien-être de la population.Les coûts du désendettement liés à l’initiative PPTE et à l’IADM sont supportés par les pays donateurs, en sus de leurs contributions aux BMD. Des collectes de fonds solidaires, des démarches coordonnées et la fixation de principes et critères qualitatifs ont permis de gérer les risques inhérents aux mesures de désendettement (comme l’aléa moral) et d’éviter l’exclusion de certains pays pour cause d’insolvabilité. Il a ainsi été pos-sible de mener un dialogue structuré avec les pays en développement les plus pauvres et les plus désavantagés, et de leur apporter une aide concrète.

La capacité de réforme, une nécessité pour relever les défis de demain


Pour relever les défis de demain, les BMD doivent rester aptes au changement et ouvertes à la critique. Parmi ces défis figurent des questions nationales bien connues, comme l’insuffisance des systèmes éducatifs ou l’approvisionnement en électricité. Par ailleurs, une attention croissante sera accordée aux questions globales, comme le changement climatique. La Suisse – par l’intermédiaire du Secrétariat d’État à l’économie (Seco), en étroite collaboration avec la Direction du développement et de la coopération (DDC) – s’attachera à défendre les quatre positions suivantes, pour lesquelles elle exigera des résultats.1. Les augmentations de capital décidées en 2010 pour lutter contre la récente crise financière et économique et prévenir d’autres crises similaires soulèvent la question de l’allocation des ressources supplémentaires pour financer des mesures concrètes en matière de réduction de la pauvreté et de développement économique
Le capital-actions des BMD connaîtra une augmentation substantielle (allant de 45% pour la Banque mondiale à 200% pour la BAfD et la BAsD).. Les projets soutenus par les BMD devront continuer de produire l’effet recherché, et le développement de l’activité de prêt ne doit en aucun cas entraîner une détérioration de la qualité des projets.2. Les réformes institutionnelles, stratégiques et opérationnelles qui ont été décidées en même temps que les augmentations de capital doivent se révéler judicieuses. Elles doivent permettre d’améliorer la durabilité et l’efficacité des projets et d’accroître l’efficience des institutions. Une première évaluation du programme de réformes en cours aura lieu dans deux ou trois ans. Elle permettra de savoir si les réformes décidées en 2009 et en 2010 vont suffisamment loin ou s’il faut revoir la question.3. Les BMD doivent décider de la position à adopter face à la redistribution des cartes sur la scène politique et économique mondiale. Elles doivent, en particulier, régler leurs relations avec le G20. La collaboration avec les instances dirigeantes formelles, notamment le conseil d’administration des BMD, doit être transparente.4. Les BMD sont appelées à promouvoir une croissance durable dans les pays en développement et à favoriser la création d’emplois en quantité suffisante compte tenu de l’augmentation de la population. Le «printemps arabe» a révélé à quel point cette priorité est essentielle
Voir l’article de M. Shenton, à la p. 26 de ce numéro.. Ce ne sera pas chose aisée: les BMD suscitent des attentes élevées, puisqu’on leur demande d’élaborer et d’appliquer des solutions bénéficiant à de larges couches de la population.

Signification pour la Suisse


Les quelques faits évoqués plus haut montrent que les BMD sont capables d’évoluer et d’apprendre. Malgré leur taille et la complexité de leur organisation, les BMD sont en mesure de faire face à l’évolution de la situation et aux nouveaux défis. Leur capacité d’apprendre sont démontrées par le fait qu’elles passent en revue les approches adoptées, lancent de nouvelles initiatives et adaptent leurs structures internes en fonction des circonstances. Les BMD se fondent actuellement sur les exigences formulées dans les objectifs du Millénaire pour le développement (ONU) et la Déclaration de Paris pour orienter leur action et définir leurs buts. Ces changements ne se font pas automatiquement. Il est important, dans le cadre d’un dialogue constant, de maintenir la pression, d’exercer son influence et de formuler des critiques constructives sur ces institutions. Ce dialogue a lieu au sein des instances dirigeantes des BMD, dans le cadre des opérations courantes et à l’occasion de procédures de consultation ou de règlement des différends réunissant toutes les parties prenantes.Pour la Suisse, les BMD sont des outils stratégiques importants pour la coordination et la résolution des problèmes urgents qui se posent à l’échelle planétaire. L’avantage des BMD réside dans le fait qu’elles disposent de grandes capacités d’analyse et d’une riche expérience dans leurs compétences clés, qu’elles sont dotées de ressources financières importantes et qu’elles jouissent d’un accès privilégié aux gouvernements. Forts de ce constat, le Conseil fédéral et le Parlement ont approuvé la participation de la Suisse à la reconstitution des ressources des BMD en début d’année. La Suisse continuera de veiller à ce que les exigences qui leur sont posées demeurent réalistes, afin de maintenir durablement leur intérêt pour l’ensemble de la communauté des États.

Tableau 1: «Repères chronologiques»

Encadré 1: La Suisse participe

La Suisse participe


La Suisse est membre du Groupe de la Banque mondiale et des quatre banques régionales de développement. Le groupe réunit la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (Bird), l’Association internationale de développement (IDA), la Société financière internationale (SFI), l’Agence multilatérale de garantie des investissements (Amci) et le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi). Les banques régionales de développement sont la Banque africaine de développement, la Banque asiatique de développement et la Banque interaméricaine de développement. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), qui se concentre sur les pays en transition, entre également dans cette catégorie.

Proposition de citation: Raymund Furrer ; Nicholas Meyer ; (2011). Les banques multilatérales de développement et leur évolution. La Vie économique, 01 juillet.