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De meilleures perspectives pour les rentes des jeunes

Le système de la prévoyance professionnelle semble être en déséquilibre car les assurés actifs participent au financement des rentes des retraités. Toutefois, les perspectives pour les jeunes sont étonnamment bonnes en ce moment.

De meilleures perspectives pour les rentes des jeunes

Les jeunes qui cotisent tôt à la prévoyance profitent plus de leur retraite. (Image: Keystone)

La prévoyance professionnelle repose sur un principe simple: chaque assuré épargne pour sa propre retraite. L’avoir de vieillesse personnel augmente continuellement; il est alimenté par les prélèvements mensuels sur les salaires et les cotisations versées par l’employeur auxquels viennent s’ajouter les intérêts annuels. En principe, plus le salaire est élevé et plus les interruptions dans le parcours professionnel sont rares, plus le capital de vieillesse est important.

Le montant de l’avoir de vieillesse au moment du départ à la retraite dépend aussi des caisses de pension auxquelles la personne assurée a été affiliée durant sa vie professionnelle: celles-ci se sont-elles limitées à l’assurance obligatoire[1] ou proposaient-elles des prestations du régime surobligatoire, c’est-à-dire allant au-delà de l’assurance obligatoire ? Évidemment, le montant des intérêts est, lui aussi, déterminant : un assuré qui bénéficie durant toute sa vie professionnelle d’un taux d’intérêt supérieur d’un point de pourcentage en moyenne verra son capital vieillesse et, partant, sa rente de vieillesse, augmenter de 20%.

Au moment du départ à la retraite, l’avoir de vieillesse est transformé en rente, à moins que l’assuré n’en demande le versement sous forme de capital. C’est là qu’intervient le taux de conversion, qui détermine le montant de la rente annuelle en pourcentage de l’avoir de vieillesse. En Suisse, le taux de conversion minimal de l’assurance obligatoire se situe à 6,8%. Si l’on prend également en compte le domaine surobligatoire, lequel représentait presque 60% de l’ensemble des avoirs de vieillesse à la fin de l’année 2020, le taux de conversion moyen atteint 5,5% (ce qui est possible étant donné que le taux minimal de 6,8% ne s’applique pas au domaine surobligatoire).

Solidarité des assurés

Dans une caisse de pension, chacun économise pour soi; toutefois l’ensemble des assurés forme une communauté au sein de laquelle les risques d’invalidité, de décès ou de longévité par exemple sont supportés solidairement. Ce mécanisme de solidarité est généralement bien accepté, à condition que le financement fonctionne comme prévu et que les assurés se transforment en bénéficiaires à la suite d’un événement fortuit. En revanche, il l’est beaucoup moins quand cette solidarité cesse d’être aléatoire et prend un caractère systématique, comme on a pu l’observer notamment lors des débats menés dans les médias et le milieu politique au sujet de la redistribution opérée ces dernières années des assurés actifs vers les bénéficiaires de rentes.

Un taux de conversion LPP trop élevé

La redistribution entre assurés actifs et rentiers découle de la garantie des rentes de vieillesse prévue par la loi. Celle-ci rend certes plus fiable le système de prévoyance, mais elle oblige les caisses de pension à promettre implicitement un intérêt fixe aux bénéficiaires de rentes. Or, l’espérance de vie moyenne joue un rôle important dans ce mécanisme: plus une rente doit être versée longtemps, plus une institution de prévoyance doit obtenir un intérêt élevé sur l’avoir de vieillesse.

Afin de maintenir un taux de conversion de 6,8% dans le domaine obligatoire, une caisse de pension doit promettre implicitement un intérêt de 4% par an à ses assurés. Or, actuellement, seule une stratégie d’investissement très risquée permet d’obtenir un tel intérêt. En comparaison, le rendement d’un investissement sûr tel que les obligations à dix ans de la Confédération n’atteignait que 0,2% en février 2022.

Cela fait plus d’une décennie que le Parlement aurait dû adapter le taux de conversion obligatoire figurant dans la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP) à l’évolution des taux d’intérêt (voir illustration 1). Par ailleurs, le taux de conversion du régime obligatoire ne prend pas non plus suffisamment en compte l’augmentation de l’espérance de vie: depuis 1990, ce taux se fonde chaque année sur une espérance de vie inférieure de 0,3 à 2,8 ans aux données de l’Office fédéral de la statistique (OFS).

Ill. 1: Promesses d’intérêts dans le taux de conversion du régime obligatoire et rendements des obligations à dix ans de la Confédération (1988-2021)

Source: BNS et CHS PP

Redistribution aux dépens des personnes actives

Lorsque les capitaux de prévoyance des rentiers ne suffisent pas à financer les rentes, c’est avant tout aux assurés actifs qu’il revient de combler le déficit de financement. Cette situation n’a rien de grave tant qu’elle ne dure que quelques années. Mais, si elle se prolonge, le mécanisme de solidarité garantissant les rentes devient un mécanisme de redistribution aux dépens des assurés actifs.

Le rapport sur la situation financière des institutions de prévoyance publié depuis 2017 par la Commission de haute surveillance de la prévoyance professionnelle (CHS PP) estime chaque année la redistribution entre assurés actifs et bénéficiaires de rentes, dans le but d’informer le public de l’ampleur de ce phénomène et de son évolution.

Le rapport de l’an passé indique que les caisses de pension suisses ont attribué en 2020 25 milliards de francs aux assurés actifs et aux rentiers (sans compter les rentes versées). Les assurés actifs détenaient alors 59% du capital de prévoyance, contre 41% pour les bénéficiaires de rentes. Si l’on avait distribué ce montant en respectant cette répartition, les assurés actifs auraient dû se voir créditer 14,7 milliards de francs d’intérêts. Or, on estime qu’ils ont reçu 4,4 milliards de moins, qui ont été dépensés au profit des bénéficiaires de rentes sous la forme d’intérêts, de financement ultérieur ou de pertes sur les retraites. Ces 4,4 milliards de francs représentent donc la redistribution estimée des personnes actives vers les rentiers pour l’année 2020.

Le financement ultérieur, un facteur de poids

Pour la période allant de 2014 à 2020, la redistribution annuelle est estimée à un montant compris entre 4,4 et 8,4 milliards de francs, soit une fourchette considérable (entre 0,5 et 1,0%) du capital de prévoyance des assurés actifs et des bénéficiaires de rentes (voir illustration 2).

Le principal moteur de cette redistribution est ce qu’on appelle le « financement ultérieur » des rentes en cours, c’est-à-dire les montants supplémentaires dont les caisses de pension ont besoin pour assurer le financement des rentes à long terme malgré la baisse des taux d’intérêt. Ces prochaines années, les financements ultérieurs devraient toutefois nettement diminuer, voire disparaître, car les rentes en cours sont actuellement bien mieux financées dans la plupart des caisses de pension.

Ill. 2 Redistribution des fonds des caisses de pension (estimation pour les années 2014 à 2020)

Remarque: on parle de redistribution des assurés actifs vers les bénéficiaires de rentes lorsque les dépenses comptables annuelles en faveur des rentiers dépassent la part qui leur revient selon la répartition des capitaux de prévoyance. Source: CHS PP

 

Compte tenu de la réduction actuelle des taux de conversion effectifs à 5,5% en moyenne, on peut s’attendre à une baisse marquée de la redistribution ces cinq prochaines années, voire à une redistribution en faveur des assurés actifs. Les rendements des placements des caisses de pension ces prochaines années seront déterminants en la matière.

En dépit de ces perspectives favorables, rappelons que, contrairement à ce qui se passe dans le surobligatoire, le taux de conversion applicable au régime obligatoire n’a toujours pas été adapté aux évolutions observées et que, par conséquent, certains effets de redistribution continueront de peser sur les caisses de pension actives principalement dans le domaine obligatoire

Envisager l’avenir avec optimisme

Qu’est-ce que cela signifie pour les jeunes assurés ? Il y a deux bonnes nouvelles pour eux: d’une part, ils peuvent s’attendre à ce que la redistribution à leur dépens prenne fin, car les taux d’intérêt ne devraient plus chuter et auront même plutôt tendance à augmenter à l’avenir.

D’autre part, comme les 10 voire 15 années de faibles intérêts sont intervenues au début de leur période d’épargne, elles les affecteront bien moins que les personnes proches de la retraite. Une variation des intérêts d’un point de pourcentage pendant dix ans au début du processus d’épargne n’occasionne qu’une variation de 5% de l’avoir de vieillesse, tandis qu’à l’approche de la retraite, elle peut le faire varier de près de 15% à la hausse comme à la baisse.

Les jeunes assurés ont par conséquent de bonnes chances de compenser les faibles intérêts qui leur ont été versés durant une partie de leur parcours professionnel. Et ils ont tout intérêt à se pencher dès aujourd’hui sur leur prévoyance vieillesse.

 

  1. Applicable à la part du revenu ne dépassant pas 86 040 francs. []

Proposition de citation: Vera Kupper Staub (2022). De meilleures perspectives pour les rentes des jeunes. La Vie économique, 29 mars.