Coopération entre la Suisse et la France: Interreg crée de la valeur ajoutée pour les deux pays
Le Musée international d’horlogerie de La Chaux-de-Fonds (NE) participe à un projet visant à préserver le savoir-faire horloger. (Image: Keystone)
Si la frontière séparant la Suisse de la France, qui s’étend sur près de 600 km, n’est que la deuxième plus longue du pays après celle avec l’Italie (plus de 700 km), la zone frontalière franco-helvétique est toutefois la plus peuplée, puisque deux des trois régions métropolitaines suisses, à savoir Genève et Bâle, jouxtent la France. En outre, la topographie favorise en de nombreux endroits l’entretien de cultures et d’espaces naturels communs ainsi que l’échange de marchandises, de services et de main-d’œuvre. Rappelons que plus de 230 000 frontaliers français travaillent en Suisse.
Sous l’angle de l’économie régionale, les zones frontalières sont très hétérogènes. On y trouve, d’une part, des centres névralgiques tels que Genève et Bâle, qui se caractérisent par une solide dynamique et une forte imbrication économique par-delà la frontière. D’autre part, des régions telles que l’Arc jurassien comportent des zones rurales et des zones structurellement plus faibles. Bien que ces dernières disposent d’un secteur industriel performant tourné vers l’exportation, elles sont confrontées à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, due notamment au pouvoir d’attraction des grands pôles urbains, ainsi qu’à la nécessité de s’adapter au changement climatique.
Interreg, facilitateur de la coopération
La coopération transfrontalière fait historiquement partie du quotidien des régions frontalières. Les programmes Interreg A France-Suisse et Rhin supérieur aident à relever les défis qui se posent, à explorer les synergies et à trouver des solutions concrètes dans le cadre de projets. Citons par exemple le dispositif de covoiturage destiné aux travailleurs (Covoiturage Arc Jurassien), la valorisation transfrontalière de la biomasse comme source d’énergie (Electrivert) ou le développement intégré d’un espace transfrontalier (S.T.A.R.T). Les programmes et les projets sont soutenus, côté suisse, par la nouvelle politique régionale (NPR), un instrument conjoint de la Confédération et des cantons pour le développement économique des régions (voir encadré). Côté français, les fonds proviennent de la politique de cohésion de l’UE.
L’éventail thématique des projets (qui durent en moyenne trois ans) est très vaste, car la politique régionale de l’UE s’inscrit dans une approche large qui met actuellement l’accent sur une Europe innovante et plus verte. Côté suisse, priorité est donnée au développement économique régional, en particulier dans l’industrie et le tourisme.
Entre 2014 et 2020, 187 projets Interreg A ont été mis en œuvre avec la France
Des projets du Rhin supérieur jusqu’au Léman
Les programmes Interreg menés avec la France reflètent à la fois la structure économique des régions frontalières et leurs défis. Dans la région de Bâle, de nombreux projets concernent non seulement les sciences de la vie, mais aussi d’autres domaines comme l’agriculture, le tourisme et la culture. Ainsi, la valorisation touristique transfrontalière des quelque 300 châteaux forts recensés dans le Rhin supérieur est actuellement au cœur d’un projet Interreg, pendant que, dans l’Arc jurassien, de nombreux projets portent sur l’industrie horlogère et microtechnique qui y est solidement implantée. Citons par exemple le projet Arc horloger, qui est axé sur la préservation des savoir-faire horlogers et leur transmission aux générations futures. Ce double objectif contribue par ailleurs à augmenter la valeur touristique de la tradition horlogère. Le projet fait suite à l’inscription de ces savoir-faire sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.
La région lémanique, pour sa part, voit éclore de nombreux projets ayant trait à la durabilité et à la mobilité, en plus de ceux qui touchent aux technologies médicales et aux sciences de la vie. L’un d’eux, le projet transfrontalier Vademe, promeut une approche de gestion durable axée sur l’économie circulaire pour la valorisation des déchets dans le secteur de la construction. Concrètement, les déchets de chantier sont revalorisés afin de diminuer les externalités négatives et les coûts de transport, qui peuvent être élevés si les déchets sont transportés jusqu’en France.
Étant donné que les cantons frontaliers suisses participent aux programmes Interreg conjointement, une étroite collaboration entre eux est nécessaire. Il va sans dire que les porteurs de projets et les chargés de programmes doivent également se concerter avec leurs partenaires de l’autre côté de la frontière. Cela a très bien fonctionné pour le programme France-Suisse lors de la dernière période de programmation Interreg V (2014-2020): 124 projets ont pu être réalisés (voir illustration). Pour la période actuelle Interreg VI (2021-2027), on enregistre à ce stade moins de projets qu’attendu. Les contraintes associées au dépôt d’une demande de projet européen et à la charge administrative qu’impose un projet Interreg dissuadent les porteurs de projets potentiels, notamment ceux de l’économie privée.
Le programme France-Suisse vient de développer un nouvel outil qui soutient l’élaboration de plans de développement transfrontaliers à une échelle régionale plus restreinte. Ces plans visent à favoriser une réflexion et une planification intégrées dans les régions frontalières, ce qui, par ricochet, devrait déboucher sur davantage de projets. Actuellement, cinq plans de ce type sont en cours d’élaboration dans l’Arc jurassien, comme dans l’Agglomération Urbaine du Doubs, qui comprend notamment La Chaux-de-Fonds et Le Locle.
Le rôle essentiel du soutien politique
Les institutions et les plateformes transfrontalières peuvent contribuer au succès d’un programme, comme en atteste le programme Interreg Rhin supérieur. La région de Bâle a tissé des liens, il y a des décennies déjà, avec les régions frontalières françaises et allemandes par le biais du Conseil rhénan, de la Conférence du Rhin supérieur ou encore de la Région métropolitaine trinationale du Rhin supérieur. Ces institutions donnent l’occasion à Interreg de gagner en poids politique, d’enrichir son contenu et d’expérimenter des formes de coopération autres et plus étroites. En effet, le succès des programmes Interreg repose aussi sur l’engagement des cantons. Les délégués cantonaux jouent un rôle essentiel dans la promotion de cet outil et son relais auprès des acteurs du terrain. Leur connaissance pointue de l’écosystème transfrontalier leur permet d’identifier des partenaires potentiels en France.
Les porteurs et partenaires de projets sont quant à eux soutenus dans le développement de leurs idées, côté suisse, par les deux organes de coordination régionaux, à savoir arcjurassien.ch (Interreg France-Suisse) et Regio Basiliensis (Interreg Rhin supérieur). Ces structures assurent le lien avec les autorités de gestion et les secrétariats Interreg des deux programmes situés à Besançon et à Strasbourg. Elles assurent également le flux d’informations en provenance et à destination de la Suisse.
Par rapport à beaucoup d’autres programmes Interreg déployés en Europe, les deux programmes mis en place avec la France présentent un avantage de taille: la plupart des acteurs concernés n’ont aucune barrière linguistique à surmonter. À cela s’ajoute une proximité culturelle, qui a contribué à ce que les échanges noués dans le cadre d’Interreg deviennent au fil des années le ferment d’une meilleure compréhension entre les deux pays. Mais le plus important est, à n’en pas douter, la valeur ajoutée que le programme génère pour la promotion d’une économie plus intégrée de part et d’autre de la frontière.
Proposition de citation: Filep, Béla; Kollbrunner, Sabine; Quadroni, Norman; Doppler, Andreas (2025). Coopération entre la Suisse et la France: Interreg crée de la valeur ajoutée pour les deux pays. La Vie économique, 13 mai.
Interreg est une composante de la politique régionale de l’UE. Doté de près de 400 milliards d’euros, cet instrument constitue, après la politique agricole, la deuxième plus importante politique de soutien financier de la Commission européenne. Pour la période de soutien actuelle Interreg VI (2021-2027), l’UE débloque dans toute l’Europe 10 milliards d’euros destinés à de nouveaux projets Interreg.
Les régions et les cantons frontaliers suisses participent à Interreg depuis son lancement, en 1990. La Confédération les a rejoints en 1994. Depuis 2008, l’encouragement au titre d’Interreg s’inscrit dans le cadre de la nouvelle politique régionale (NPR) de la Confédération et des cantons, qui soutient le développement économique régional. Au total, la Suisse participe à 10 programmes Interreg, dont 4 transfrontaliers avec des voisins directs, 2 transnationaux et 4 interrégionaux. À ce jour, les 5 périodes de programmation qui se sont succédé depuis 1990 ont permis de promouvoir près de 2500 projets.
La Confédération a progressivement augmenté son engagement financier, le faisant passer de 24 millions de francs (Interreg II) à 56 millions (Interreg VI; 2021-2027). Les cantons versent des contributions au moins équivalentes aux programmes transfrontaliers. Les aides financières de la Confédération et des cantons ont pour effet de déclencher des investissements supplémentaires considérables réalisés par des tiers, notamment des communes, des organisations, des hautes écoles et des entreprises.
