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«Nous luttons contre les coûts inutiles»

La conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider est d’avis que les ménages ressentent directement l’augmentation des dépenses de santé. Dans notre entretien, elle explique comment réduire les coûts inutiles et pour quelles raisons la population demeure satisfaite du système de santé.
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La conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider, dans son bureau à Berne: «La population ressent immédiatement l’augmentation des coûts, qui grève fortement le budget mensuel.» (Image: Keystone / Peter Schneider)
Madame la Conseillère fédérale, vous avez participé cette année à la course féminine «Frauenlauf» de Berne. Est-ce un signe politique en faveur d’un mode de vie sain?

Cette course, qui réunit plusieurs milliers de femmes et de filles de tous âges, est particulière car on peut y participer avec plaisir, sans esprit de compétition. Cette année, j’ai tout particulièrement apprécié ce moment d’échange en marchant avec plusieurs dizaines de collaboratrices de mon département.

Vous avez été assistante sociale, puis rectrice d’une Haute école spécialisée en travail social et santé. Est-ce un parcours typique pour une ministre de la Santé?

Il n’existe pas de «carrière type» pour assumer un mandat de conseillère fédérale. Je retrouve au Département de l’intérieur de nombreux thèmes qui m’ont motivée tout au long de mon parcours professionnel et politique, également pendant mes treize années au gouvernement jurassien. La santé, les assurances sociales, la culture sont des thématiques de société dans lesquelles je peux investir à la fois mon expérience et ma passion.

Comme chaque année à la fin de l’été, les primes d’assurance-maladie dominent l’actualité. Pourquoi les dépenses de santé augmentent-elles sans cesse?

Plusieurs raisons sont à prendre en considération. On peut se réjouir de l’allongement de notre espérance de vie. De même, l’accès à de nouveaux traitements et médicaments est prometteur. Mais ces nouvelles perspectives ont un coût, parfois très élevé. Il nous appartient de maîtriser cette augmentation des coûts de la santé, en privilégiant la sécurité des patients tout en veillant à éviter les prestations inutiles.

On dit souvent que la santé est notre bien le plus précieux. Alors, pourquoi nous indignons-nous quand les primes doublent en vingt ans?

Parce que les coûts de la santé sont principalement financés par les primes d’assurance-maladie. La population ressent immédiatement l’augmentation des coûts, qui grève fortement le budget mensuel. Raison pour laquelle je considère les mesures visant à freiner la hausse des coûts de la santé comme une responsabilité prioritaire et permanente.

En Suisse, les dépenses annuelles de santé s’élèvent à 10 500 francs par habitant. Comment nous situons-nous à l’international?

La Suisse, avec un système de santé de qualité, se place au septième rang des 38 pays de l’OCDE en termes de dépenses par habitant. Ces dépenses sont nettement plus élevées aux États-Unis mais aussi, dans une moindre mesure, en Allemagne, en France et en Autriche. Nous sommes comparables à nos pays voisins en ce qui concerne les coûts. C’est surtout le mode de financement qui nous distingue. Dans de nombreux pays, il est lié au revenu, ce qui n’est pas le cas des primes d’assurance en Suisse.

Alors qu’à l’étranger, les dépenses de santé sont souvent financées par l’impôt, en Suisse, les primes, les franchises et les quotes-parts nous rappellent tous les mois que la santé a un coût. Ce système nourrit-il le mécontentement politique?

C’est exact qu’en Suisse, la part financée par les assurés est plus importante que dans d’autres pays. Mais cela ne modifie en rien notre responsabilité politique. La charge financière pour les personnes qui ont un faible revenu, voire un revenu moyen, nécessite l’intervention des pouvoirs publics. Le système de réduction des primes apporte un certain soulagement. Mais il faut aussi souligner qu’en Suisse, tout le monde a accès à une médecine de très haut niveau, indépendamment de son revenu.

Un quart de la population bénéficie d’une réduction de primes. Pourtant, selon l’Observatoire suisse de la santé, les personnes les plus modestes renoncent plus souvent à des traitements et vivent en moyenne moins longtemps. Qu’en est-il de l’égalité des chances en Suisse?

La pauvreté est un facteur de risque significatif pour la santé. Il faut rappeler le principe de solidarité de notre assurance-maladie, qui garantit à tout le monde un accès au système de santé; certes ce n’est pas parfait et nous devons nous assurer que les franchises et les quotes-parts n’augmentent pas trop. Il n’est pas acceptable que des personnes renoncent à des soins pour des raisons financières. La lutte contre la pauvreté fait partie de mes priorités au sein du département. Il faut notamment s’engager pour des rentes et des prestations complémentaires qui permettent de mener une existence digne, entre autres grâce à l’accès aux soins de santé. La santé et l’espérance de vie sont aussi influencées par d’autres facteurs sur lesquels il y a lieu d’agir, comme l’accès à la formation, les conditions de travail, l’environnement dans lequel on vit ou la qualité des informations.

Que retire la population de ces dépenses de santé élevées?

Nous pouvons compter sur d’excellentes prestations de santé. J’apprécie à sa juste valeur le fait que la population suisse est celle qui donne les meilleures notes à son système de santé, selon plusieurs études de l’OCDE. Une grande majorité se dit satisfaite de la qualité et de l’accès aux soins.

Le Conseil fédéral a déjà adopté deux paquets de mesures visant à freiner les coûts de la santé. Pourtant, les dépenses continuent d’augmenter. Quelles mesures s’avèrent-elles efficaces?

Les coûts de la santé ne vont pas diminuer, pour les raisons dont nous venons de parler. Nous luttons contre les coûts inutiles, dus par exemple à des doublons, à des incitations négatives ou à de l’inefficacité. J’ai mis en place une table ronde pour associer les principaux acteurs du domaine de la santé aux efforts d’économie. La table ronde s’est donné pour objectif de réaliser des économies de 300 millions de francs par an dès 2026.

Les cantons sont compétents pour la planification des 270 hôpitaux que compte la Suisse. Mais le manque de coordination intercantonale entraîne des surcapacités coûteuses. En outre, la qualité des soins peut être compromise quand un établissement ne pratique que rarement certaines interventions complexes. Que peut faire le Conseil fédéral?

La répartition des compétences prévue dans notre système fédéraliste est claire. Ce sont les cantons qui sont responsables en matière d’offre médicale sur leur territoire, et donc aussi de planification hospitalière. La tâche n’est pas simple, la fermeture d’un hôpital étant un sujet hautement émotionnel. La Confédération a également un certain rôle à jouer, dans la mesure où elle a établi des critères pour la planification hospitalière. Un nombre minimal de cas par hôpital et la collaboration intercantonale en font partie. J’encourage vivement les cantons à continuer à regarder au-delà des limites régionales ou cantonales pour élaborer une planification hospitalière agile.

À l’automne 2024, le peuple a accepté la modification de la loi fédérale sur l’assurance-maladie qui vise le financement uniforme des soins ambulatoires et stationnaires (Efas). Qu’apporte cette réforme?

En uniformisant le financement des prestations de santé, nous simplifions le système et favorisons les traitements ambulatoires, aujourd’hui pénalisés par des incitations négatives. Ainsi, à l’avenir, les médecins pourront décider sur la base de critères médicaux s’il vaut mieux traiter un patient en ambulatoire ou l’hospitaliser pour un traitement stationnaire. Ça fait aussi partie des efforts pour une meilleure maîtrise des coûts de la santé.

 

La conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider: «La surcharge administrative dans le domaine de la santé doit être prise au sérieux.» (Image: Keystone / Peter Schneider)

 

Dès l’an prochain, le nouveau tarif ambulatoire Tardoc remplacera Tarmed. Concrètement, qu’est-ce que cela changera pour les assurés et les médecins?

Je ne pense pas que les assurés remarqueront une grande différence. Le passage du système actuel à Tardoc et aux forfaits doit être neutre du point de vue des coûts totaux. Pour les fournisseurs de prestations – médecins, hôpitaux – ce nouveau système tarifaire, qui évoluera année après année, est un jalon important. Tardoc va remplacer Tarmed, qui est totalement dépassé. Et l’introduction de forfaits est une première dans le domaine ambulatoire. L’objectif est de refléter de manière plus précise les prestations fournies, en corrigeant les distorsions et les inégalités de traitement qui s’étaient établies dans le système actuel.

Les médecins se plaignent de passer plus de temps à remplir des formulaires qu’à s’occuper de leurs patients. Partagez-vous ce constat?

La surcharge administrative dans le domaine de la santé doit être prise au sérieux. J’ai donné un mandat à l’Office fédéral de la santé publique pour apporter une contribution à une amélioration de la situation. Le projet en cours prévoit un sondage auprès d’un grand nombre de praticiennes et praticiens cet automne. Nous voulons établir les causes de la charge administrative, sur lesquelles il n’existe pas d’informations documentées jusqu’ici. Sur cette base, l’OFSP proposera des mesures pour alléger la charge qui concerneront certainement différents acteurs.

 

Les primes d’assurance ne sont plus différenciées entre les hommes et les femmes, entre les jeunes et les aînés ou entre les malades et les bien portants.

 

En 2025, 12% des assurés ont changé de caisse-maladie, tandis que les assureurs ont dépensé près de 200 millions de francs en publicité pour les inciter à le faire. L’instauration d’une caisse unique permettrait-elle d’économiser de l’argent?

La population et le Parlement ont refusé à plusieurs reprises l’introduction d’une caisse-maladie unique. Le Conseil fédéral est d’avis que la concurrence entre les assureurs les incite à maîtriser les coûts et qu’il est utile que les assurés aient un choix.

Bien qu’ils génèrent près d’un quart des dépenses de santé, les seniors paient les mêmes primes que les trentenaires. Faut-il instaurer une catégorie de prime spécifique pour les personnes âgées de plus de 65 ans?

Notre assurance-maladie de base repose sur un principe de solidarité. Grâce au système introduit par la conseillère fédérale Ruth Dreifuss dans les années 1990, les primes d’assurance ne sont plus différenciées entre les «bons» et les «mauvais risques», c’est-à-dire entre les hommes et les femmes, entre les jeunes et les aînés ou entre les malades et les bien portants. C’est un énorme acquis. Dans une société vieillissante, il est bien sûr important de réfléchir aux moyens d’assurer le financement du système de santé à long terme. La question mérite d’être posée, mais elle est extrêmement complexe.

Imaginez que vous puissiez refondre entièrement le système de santé suisse. Que changeriez-vous?

Mon intérêt et ma priorité concernent le présent et le futur. Il est indispensable de maintenir la confiance dans notre capacité à faire évoluer notre système de santé pour que la qualité, la sécurité et l’accessibilité soient au cœur de nos décisions, tout en offrant des conditions de travail adaptées pour les personnels de santé.

Après Efas, quelle sera la prochaine grande réforme?

Nous nous concentrons actuellement sur la mise en œuvre des réformes importantes adoptées ces dernières années, notamment l’entrée en vigueur du nouveau système tarifaire ambulatoire au 1er janvier prochain. Nous souhaitons aussi améliorer la couverture en soins de base et faire progresser la digitalisation. Avec le programme DigiSanté, nous voulons notamment assurer que les différents systèmes numériques utilisés par les acteurs de la santé puissent communiquer entre eux, pour simplifier les échanges de données et gagner en efficacité.

 

L’entretien a été réalisé par écrit.

 

 

Proposition de citation: Entretien avec Elisabeth Baume-Schneider, conseillère fédérale (2025). «Nous luttons contre les coûts inutiles». La Vie économique, 08 septembre.

Elisabeth Baume-Schneider

Originaire du canton du Jura, Elisabeth Baume-Schneider (61 ans) dirige depuis 2024 le Département fédéral de l’intérieur (DFI). Auparavant, elle était à la tête du Département fédéral de justice et police. Elle a étudié les sciences économiques et sociales à l’Université de Neuchâtel et a débuté sa carrière comme assistante sociale. Elle est ensuite devenue conseillère d’État jurassienne (PS), conseillère aux États et rectrice de la Haute école de travail social et de la santé à Lausanne. Elle a été élue au Conseil fédéral en 2022.

Le DFI est principalement responsable de la prévoyance vieillesse et du système de santé. Il comprend notamment l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), l’Office fédéral des assurances sociales (Ofas), l’Office fédéral de la culture (OFC), l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (Osav), l’Office fédéral de la statistique (OFS) ainsi que le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes (BFEG). Le département emploie quelque 2800 collaboratrices et collaborateurs.