
Nicole Cornu, Secrétaire centrale, politique de la formation et politique de la jeunesse, Union syndicale suisse (USS), Berne
En Suisse, environ 25% des contrats d’apprentissage conclus dans le cadre de la formation professionnelle initiale sont résiliés. Selon une étude récente de Workmed, une entreprise co-fondée par la Psychiatrie Bâle-Campagne et l’assureur maladie Swica, 22% des personnes en apprentissage envisagent par ailleurs d’interrompre leur formation, en raison notamment d’un sentiment d’être débordé, d’une forte pression en termes de performance, d’attentes trop élevées, d’un manque de reconnaissance, d’un soutien insuffisant au sein de l’entreprise formatrice, de conflits ou d’une mauvaise ambiance de travail.
Si la résiliation d’un contrat ne signifie pas toujours la fin de la formation, de nombreux jeunes se lançant par la suite dans un nouvel apprentissage, une part considérable d’entre eux quittent néanmoins le système éducatif sans diplôme. Actuellement, environ 90% des jeunes obtiennent un diplôme, ce qui signifie que, vingt ans après sa définition, l’objectif commun de la Confédération et des cantons, à savoir que 95% des jeunes possèdent un diplôme du degré secondaire II (maturité gymnasiale, spécialisée ou professionnelle ou diplôme de fin d’apprentissage), n’est toujours pas atteint.
Le stress, le surmenage et les problèmes de santé des jeunes sont souvent minimisés.
Des causes structurelles peuvent expliquer cette situation, notamment l’âge précoce, en comparaison internationale, auquel les jeunes choisissent un métier, soit 14 ou 15 ans. En outre, le passage de l’école au monde professionnel s’avère difficile car les apprenties et apprentis ont moins de temps libre en raison de vacances plus courtes et d’horaires de travail plus long. Bien souvent, les conflits avec les formateurs professionnels ou au sein de l’équipe sont déterminants dans la décision de résilier un contrat d’apprentissage.
Vient s’ajouter à cela une forte pression en termes de rendement, le stress, le surmenage et les problèmes de santé des jeunes étant souvent minimisés. Du reste, les apprenties et apprentis sont plus souvent exposés aux risques d’accidents. Les métiers dans lesquels les femmes sont fortement représentées, comme les soins ou la coiffure, combinent des charges physiques et psychiques élevées. Sans compter le harcèlement sexuel, auquel les apprenties et apprentis sont plus vulnérables en raison de leur jeune âge. La majorité des victimes garde pourtant le silence ou interrompt son apprentissage.
Une récente étude de la Haute école fédérale en formation professionnelle (HEFP) montre que les personnes en charge de la formation en entreprise sont également sous pression: 76% d’entre elles ne disposent pas du temps nécessaire pour assurer leur mission, un véritable paradoxe dans un pays fier de son système dual.
Cette situation a des conséquences gravissimes car les personnes qui n’obtiennent pas leur diplôme professionnel sont plus souvent confrontées au chômage, à de bas salaires et à la pauvreté. Les ruptures d’apprentissage ne sont donc pas des échecs individuels, mais le reflet de conditions de travail et de formation inadaptées.
C’est la raison pour laquelle l’Union syndicale suisse (USS) réclame une amélioration de la qualité de la formation en entreprise et des moyens suffisants pour l’accompagnement des apprenties et apprentis. Il est en outre nécessaire de renforcer le rôle des formatrices et formateurs en leur accordant davantage de temps et de reconnaissance et en leur proposant des formations continues. Il est en outre indispensable d’améliorer la protection des jeunes au travail en mettant en place un suivi efficace de l’apprentissage: celui-ci doit inclure des visites régulières en entreprise, un accompagnement des entreprises formatrices, un travail social professionnel en milieu scolaire (y compris dans les écoles professionnelles) ainsi qu’un minimum de huit semaines de vacances pour les apprenties et apprentis, les jeunes âgés de moins de 20 ans ne disposant actuellement que de cinq semaines de congés.
Seul un apprentissage adapté aux jeunes, attractif et équitable permettra de réduire efficacement le taux de résiliation de contrats d’apprentissage et d’assurer ainsi une relève dont la Suisse a un besoin urgent.
Proposition de citation: Cornu, Nicole (2025). Améliorer la formation pour endiguer les interruptions d’apprentissage. La Vie économique, 07 octobre.