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Plus d’argent pour le football féminin

Le football féminin a longtemps fait sourire. Pourtant, des clubs de haut niveau, en Allemagne notamment, ont connu un développement tel qu’ils sont en voie de professionnalisation. La Suisse en est encore loin.
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Record d'affluence dans le football féminin allemand: la joueuse du Werder Brême Sophie Weidauer (au centre de l’image) exulte devant 57 000 personnes lors de la demi-finale de la Coupe d’Allemagne entre le Hamburger SV et le Werder Brême. (Image: Keystone)

Quand on parle du football féminin, on établit souvent des comparaisons avec son pendant masculin. Pourtant, on ne peut pas mettre les deux disciplines sur le même plan. Il est clair qu’il existe entre elles une énorme différence, mais qui s’observe aussi au sein même du football masculin: n’importe quel grand club suisse n’est au fond qu’un petit acteur par rapport au Real Madrid. Or, il n’en a pas moins le droit d’exister. Par ailleurs, cette mise en comparaison omet de prendre en compte l’évolution réellement significative du football féminin, qui accède progressivement à l’autonomie financière.

On peut donc dire que les clubs de football féminin se professionnalisent. Sortant de la sphère du sport amateur, ils se transforment en entreprises à part entière, qui peuvent payer des dizaines de personnes à plein temps, les joueuses faisant alors du football leur (seul) métier.

Toutefois, ce développement a un coût: au bas mot, ce sont 20 footballeuses et autant de personnes qu’il faut rémunérer en dehors du terrain. En prévoyant un salaire de 100 000 francs par employé à temps complet (cotisations sociales et autres charges comprises), le club aura besoin d’environ quatre millions de francs pour couvrir les seuls coûts du personnel. Comme ceux-ci représentent en général près de la moitié des dépenses totales (voir illustration 2), un club professionnel suisse devra réaliser chaque année un chiffre d’affaires atteignant au moins les huit millions de francs.

Ces chiffres soulèvent trois questions: où en est aujourd’hui le football féminin en matière de financement, quels sont les obstacles susceptibles de freiner son évolution et comment l’Euro féminin 2025 peut-il insuffler un élan à ce sport?

Longtemps marginalisé avant d’avoir le vent en poupe

Le football féminin a connu un parcours semé d’embûches. Avant 1970, année de sa reconnaissance institutionnelle en Suisse et en Allemagne, aucun soutien ne lui était apporté et il n’existait pas de ligue officielle. Même par la suite, il est le plus souvent resté un sport de niche et a dû essuyer bien des revers. Ainsi, en 2012 encore, le Hambourg SV (HSV) décidait de fermer sa section féminine, son président de l’époque Carl-Edgar Jarchow, déclarant: «Le football féminin reste une activité déficitaire, dont le budget annuel total de 750 000 euros doit être financé par les recettes de la Bundesliga [masculine (ajout de la rédaction)]»[1].

Mais le vent a tourné. En mai 2025, 57 000 personnes ont assisté à la demi-finale de la Coupe d’Allemagne de football opposant le HSV et le Werder Brême – du jamais vu dans l’histoire des clubs de football féminin allemands. On est loin d’avoir atteint ce record en Suisse, puisqu’on compte un maximum de 11 000 spectateurs pour les rencontres entre clubs et de quelque 17 000 pour les matches de l’équipe nationale.

Néanmoins, de tels succès publics ne font que souligner la triste réalité quotidienne du football féminin. Durant la saison 2024/2025, les matches de la Bundesliga allemande, l’une des meilleures ligues féminines, n’ont attiré en moyenne que 2678 personnes. S’il est vrai que le football féminin allemand s’est bien développé, même les clubs de la troisième ligue masculine, comme le FC Erzgebirge Aue, font autant recette que les clubs féminins les plus performants. Est-ce un problème? Non, car ces derniers en sont arrivés au stade où la professionnalisation commence, comme chez les hommes du reste.

Prenons l’exemple de l’équipe masculine du SSV Ulm, de la 3e ligue allemande. Lors de la saison 2022/2023, ses charges de personnel se sont élevées à 3,5 millions d’euros, soit à peu près le montant minimum dont un club a besoin pour pouvoir évoluer au niveau professionnel en Allemagne. Les revenus d’un club typique de la Bundesliga féminine n’en sont pas encore tout à fait là. Certes, un club moyen engrange actuellement des recettes plafonnant aux alentours des 2,65 millions d’euros[2], mais le seuil à atteindre pour passer au sport professionnel est de plus en plus proche (voir illustration 1). Comme dans le football masculin, près de la moitié des recettes provient de la publicité, environ un quart de la valorisation médiatique et tout juste 15% des revenus des matches, notamment les ventes de billets.

Ill 1: Forte hausse des recettes moyennes par club de la 1re ligue de football féminin allemand (Frauen-Bundesliga)

GRAPHIQUE INTERACTIF
Source: DFB (2025), p. 10 / La Vie économique

Environ la moitié du chiffre d’affaires des clubs féminins est affectée à la rétribution des joueuses (voir illustration 2), comme cela est le cas chez les hommes. L’augmentation des charges de personnel dans le football féminin témoigne de la professionnalisation de ce dernier, et ce à double titre. Tout d’abord, le montant des salaires y progresse nettement: la rémunération mensuelle (hors primes) d’une sportive évoluant en Bundesliga se situe aux alentours de 4000 euros. Les meilleures joueuses peuvent gagner jusqu’à 300 000 euros par an et perçoivent souvent des revenus additionnels issus de la commercialisation de leur image.

Ensuite, selon une directive de la Fédération allemande de football (DFB) applicable dès la saison 2025/2026, tous les clubs de la Bundesliga féminine doivent employer à plein temps, et au titre d’une activité principale, non seulement l’entraîneuse mais aussi son adjoint, l’entraîneuse des gardiennes et le préparateur physique[3].

Ill. 2: Les salaires des joueuses représentent la moitié des dépenses des clubs de football féminin allemands

GRAPHIQUE INTERACTIF
Source: DFB (2025), p. 12 / La Vie économique

En versant des salaires plus élevés, les clubs peuvent se professionnaliser et s’assurer ainsi une bien meilleure qualité de jeu. Le marketing peut aussi leur rapporter beaucoup plus d’argent si les joueuses et le reste du personnel se consacrent à plein temps au football. C’est alors une tout autre dynamique qui s’installe.

Un développement semé d’obstacles

Cependant, la montée en puissance sportive et financière du football féminin ne va pas de soi. Sur ce plan-là aussi, on peut se référer à son pendant masculin pour trouver nombre d’exemples de clubs qui n’ont pas pu se permettre une telle ascension. Car pour accéder à des ligues de plus haut niveau, il faut disposer d’une meilleure infrastructure (stade, caméras de télévision, etc.), ce qui nécessite des investissements qui ne sont pas à la portée de tous.

Le problème se pose aussi dans le football féminin, où les clubs jouent souvent dans de petits stades annexes des équipes masculines, une situation qui n’évolue que lentement. Or, l’utilisation commune d’un même stade est problématique, surtout quand celui-ci doit aussi servir à l’équipe 2 des hommes. Ce sont donc surtout des stades de taille intermédiaire qui font défaut en de nombreux endroits. Mais quid de leur financement?

Historiquement, les stades ont souvent été financés ou subventionnés par l’État, en Suisse comme en Allemagne, généralement à l’occasion d’un grand événement sportif, tel que l’Euro 2008 en Autriche et en Suisse[4]. Le football féminin a donc besoin lui aussi de partenaires solides, qu’il s’agisse des clubs professionnels masculins, des pouvoirs publics ou de sponsors. Il importe de trouver des solutions qui profitent à toutes les parties, mais aussi d’éviter de mettre en concurrence les footballs féminin et masculin, même si une rivalité ne peut être exclue: cet été déjà, la Coupe du monde des clubs masculins de la Fifa fait de l’ombre à l’Euro féminin.

L’Euro 2025, une opportunité

Il est évident que l’Allemagne a un marché nettement plus important que celui de la Suisse, ce qui explique pourquoi le chiffre d’affaires réalisé par les sections féminines des clubs helvétiques est comparativement bien inférieur. Seules quelques footballeuses de l’AXA Women’s Super League peuvent vivre exclusivement de la pratique de leur sport. Par conséquent, le football féminin suisse a encore un long chemin à parcourir. Toutefois, l’Euro 2025 qui se déroule actuellement dans le pays pourrait lui servir de locomotive, car les manifestations de cette envergure permettent d’accroître la notoriété des joueuses et, partant, de stimuler la demande durablement.

Le football féminin a bien besoin d’un tel élan, car il est arrivé à ce moment charnière de son évolution où il se trouve aux portes de la professionnalisation. Pour qu’il puisse franchir les étapes suivantes, des investissements substantiels seront nécessaires. En conclusion, on peut dire que le football féminin a surtout besoin de davantage d’argent.

  1. Voir Bruch (2025). []
  2. Voir DFB (2025), p. 10. []
  3. Voir DFB (2025), p. 15. []
  4. Voir Legge et Löhr (2022). []

Bibliographie

Bibliographie

Proposition de citation: Legge, Stefan; Löhr, Steffen (2025). Plus d’argent pour le football féminin. La Vie économique, 11 juillet.