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Bâle II a-t-il failli?

L ' accord Bâle II - en tant que modèle de régulation de la gestion moderne du risque bancaire -, avec ses trois piliers et ses approches différenciées, ne fonctionne-t-il déjà plus? Peut-on le comparer au Vasa, navire de guerre suédois tout neuf qui avait chaviré et coulé dès son lancement dans le port de Stockholm en 1628, car déséquilibré et surchargé? Le présent article montre au contraire que Bâle II ne souffre pas de funestes imperfections, mais qu'il a seulement besoin de quelques retouches pour affronter la prochaine tempête.

Bâle II a-t-il failli?



Début juillet 2006, le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire adoptait l’accord révisé sur le capital propre, connu généralement sous le nom de « Bâle II » . Cette nouvelle réglementation est apparue nécessaire du fait que les normes existantes en matière de fonds propres, celles du modèle «Bâle I» de 1988, ont été manifestement vidées de leur substance – principalement par les grandes banques internationales qui en ont exploité les lacunes et l’imprécision des normes d’évaluation des risques. Ces exigences minimales uniformes valables pour toutes les banques et d’application relativement facile ont certes harmonisé la réglementation des risques de crédit au plan international. Cependant, en raison de «l’arbitrage réglementaire» des prescriptions par les banques, Bâle I ne parvenait plus à remplir son objectif initial, qui était de consolider la stabilité du système financier. Le Comité de Bâle a donc décidé en 1998 de rapprocher une nouvelle fois la réglementation de la pratique actuelle des affaires bancaires (internationales) et d’améliorer tout particulièrement l’ajustement aux risques des exigences en matière de fonds propres. Le réexamen du dispositif normatif devait s’étendre sur une durée de huit ans et absorber d’énormes ressources tant du côté des autorités de surveillance que parmi les banques.

Les trois piliers de Bâle II


Les exigences minimales en matière de couverture, par des fonds propres, des risques de crédit, de marché et opérationnels constituent le premier pilier de Bâle II. Ces trois risques font l’objet d’approches différentes pour le calcul des exigences spécifiques en fonds propres. On distingue les approches «standard» et «internes» (ces dernières étant déterminées par la banque elle-même). Les approches standard sont d’application relativement simple, mais entraînent du fait de leur schématisme, c’est-à-dire de leur manque de précision, des exigences plus élevées en matière de fonds propres que les approches internes soumises à autorisation Approche «valeur à risque» (VAR) pour les risques du marché, approche par notations internes («internal-ratings-based», IRB) pour les risques de crédit et approche par mesure avancée («advanced measurement», AMA) pour les risques opérationnels. Cette dernière catégorie était implicitement prise en consi-dération en conjonction avec les risques de crédit dans Bâle I. Le désenchevêtrement – autrement dit le traitement séparé des risques de crédit et opérationnels – n’est intervenu qu’avec Bâle II. . Bâle II a par ailleurs repris quasi intégralement la régulation des risques de marché publiée en 1996 par le Comité de Bâle pour compléter l’Accord sur les fonds propres, régulation qui a jusqu’ici fait ses preuves.   Venant en complément du premier, le deuxième pilier se rapporte à la procédure juridique de surveillance, qui vise à soumettre le profil de risque de chaque banque à l’examen des autorités nationales compétentes. À ce titre, chaque banque est tenue de s’assurer qu’elle dispose de fonds propres suffisants par rapport à ses positions, ses activités ou sa stratégie d’affaires, sa structure et ses procédures, afin de pouvoir satisfaire aux exigences minimales même en cas d’évolution défavorable Il s’agit du processus ICAAP («internal capital adequacy assessment process»). . Si l’autorité de surveillance, sur la base de vérifications, de scénarios de crise («stress tests») ou d’autres analyses encore, parvient à des conclusions fondées différentes de celles de la banque, elle doit intervenir rapidement auprès de celle-ci en vue de rétablir la situation Obligation nommée «intervention précoce et action coercitive précoce». .   Les obligations renforcées en matière de publication de fonds propres constituent le troisième pilier. Une meilleure transparence du marché doit permettre de discipliner les établissements bancaires en concurrence Voir Sigrist D., «Les lignes fondatrices de Bâle II», La Vie économique, 1-2004, p. 5ss. .   La mise en oeuvre des approches standard de Bâle II a commencé le 1 er janvier 2007 dans les pays membres du Comité de Bâle et de l’UE Voir Sigrist D., «Mise en oeuvre de Bâle II: la nouvelle ordonnance sur les fonds propres», La Vie économique, 11-2006, p. 11ss. . Les approches internes spécifiques aux banques n’ont pu démarrer au plus tôt que le 1 er janvier 2008. Un régime de niveau plancher s’applique, cependant, jusqu’en 2010. Il empêche les exigences en matière de fonds propres de tomber sous un certain pourcentage de celles de Bâle I. En Suisse, seul un petit nombre de banques – parmi lesquelles les deux grandes – ont obtenu des autorisations pour des approches internes. Aux États-Unis, l’application a été différée d’une année en raison de problèmes de calibrage Délai dit de l’année sabbatique («gap year»). . Les analyses d’impact quantitatives portant sur les nouvelles règles ont non seulement mis au jour d’énormes différences entre les établissements – présentant des positions en partie comparables -, mais révélé également une baisse générale systématique des exigences en matière de fonds propres.

La crise financière a entraîné de profonds changements


Initialement appelés par euphémisme «turbulences des marchés financiers» – probablement dans l’espoir d’une amélioration prochaine de la situation -, les problèmes rencontrés par certaines banques durant l’été 2007 se sont transformés en une crise financière de très grande ampleur. Celle-ci a notamment entraîné une perte de confiance entre les établissements bancaires, qui a obligé les banques centrales du monde entier à injecter des liquidités pour combler les pénuries d’offre sur un marché interbancaire pratiquement asséché. Certains États ont tenté de stabiliser le système financier national en accordant une garantie illimitée pour les dépôts bancaires ou en prenant une participation majoritaire dans des établissements financiers jugés essentiels pour le fonctionnement du système – après avoir apporté les capitaux correspondants. Aujourd’hui, il n’existe plus une seule banque d’investissement pure active au niveau international Bear Stearns a été rachetée par J. P. Morgan Chase et Meryll Lynch par Bank of America. Lehman Brothers et ses quelque 28 000 collaborateurs ont disparu du marché du jour au lendemain après 150 ans d’existence. Aussi bien Goldman Sachs que Morgan Stanley sont devenues des holdings bancaires. . On peut parler d’un «bouleversement tectonique» du paysage bancaire mondial. Reste à savoir dans quelle direction celui-ci évoluera et sous quel jour le système financier international se présentera dans quelques années Roy C. Smith et Ingo Walter se sont exprimés à ce sujet dans la Sonntagszeitung du 9 novembre 2008, p. 65: «Kein Ende des aggressiven Banking» (la fin des pratiques bancaires agressives n’est pas en vue).. Les dommages économiques de la crise ne sont pas encore quantifiables. Celle-ci s’est dans l’intervalle propagée à l’économie réelle et entraînera une récession planétaire ou, dans le meilleur des cas, un ralentissement abrupt de la croissance.

Origines de la crise


Bien des choses ont été écrites à ce jour sur les causes de la crise. Quelques-uns de ses facteurs les plus importants sont récapitulés dans la liste ci-dessous, qui ne prétend pas être exhaustive ni offrir une pondération rigoureusement correcte:   – argent bon marché en quête de rendement, refinancé par les banques centrales;   – relâchement des conditions d’octroi de crédit Appréciation de la solvabilité d’un débiteur, compte tenu de ses fonds propres et de sa capacité à supporter la dette, ainsi que de la pérennité de la valeur du gage foncier. à des débiteurs peu ou pas solvables sur le marché hypothécaire américain;   – conviction que la titrisation permettait d’annuler la relation fondamentale entre le risque et le rendement attendu (alchimie financière);   – rémunérations et structures d’incitation axées sur le profit à court terme et non pas sur la réalisation de bénéfices solides à long terme (cupidité des dirigeants);   – rendements élevés des fonds propres attendus par les investisseurs, annoncés par les analystes et promis par les directeurs des banques; en raison des programmes ambitieux de rachat d’actions, d’une politique de distribution trop généreuse et de l’exploitation des lacunes ou des faiblesses de la réglementation en matière de fonds propres, ces attentes ont conduit à une érosion continuelle de la base de fonds propres et à un énorme effet de levier obtenu grâce au financement par des capitaux étrangers de la progression des bilans (cupidité des investisseurs);   – conflits d’intérêts au sein des agences de notation qui offrent des conseils pour la structuration de transactions de titrisation et attribuent en même temps une note à ces tranches;   – confiance aveugle dans les marchés liquides et dans les modèles fondés sur ce principe;   – emprise réglementaire Nous devons cette notion de la théorie de la régulation à Richard Posner. Il affirme que la réglementation n’est pas dans l’intérêt public, mais permet au contraire à des groupes d’intérêts d’imposer leurs intérêts privés. Tôt ou tard, l’autorité de réglementation se retrouve sous l’emprise de la branche qu’elle est censée réglementer et surveiller. des autorités de surveillance bancaire.     De nombreuses enquêtes ont été réalisées pour tenter de savoir pourquoi certaines banques plutôt que d’autres ont subi des pertes, mais aussi pour déterminer les comportements qui ont fait leurs preuves en ces temps difficiles. Divers établissements et institutions en ont tiré des conclusions: certains ont publié des analyses et des recommandations à ce sujet ou mis en oe uvre des mesures correctives (voir

encadré 1
– Observations du Senior Supervisors Group (SSG) du 6 mars 2008: Observations on Risk Management Practices during the Recent Market Turbulence.- Rapport du Forum sur la stabilité financière (FSF) du 7 avril 2008: Report of the FSF on Enhancing Market and Institutional Resilience.- Analyse de l’UBS sur les amortissements, du 18 avril 2008: Shareholder report on UBS’s writedowns.- Recommandations de l’Institute of International Finance (IIF) du 17 juillet 2008: Comprehensive Proposals to Strengthen the Financial Industry and Financial Markets.- Plan de mesures de l’UBS du 12 août 2008: Summary of the Remediation Plan in Response to Issues Outlined in the Shareholder Report.- Recommandations du Counterparty Risk Management Policy Group (CRMPG) du 6 août 2008: Containing Systemic Risk: The Road to Reform. ).

La crise des hypothèques en Suisse et les «subprimes»


La dernière grande crise bancaire en Suisse s’est produite dans les années nonante. De nombreux établissements ont dû procéder alors à d’importants amortissements sur le marché hypothécaire suisse. Comme dans la récente débâcle des hypothèques «subprime» aux États-Unis, les conditions de souscription étaient déficientes, voire inexistantes, et l’on pensait alors que les prix de l’immobilier allaient monter à coup sûr. Ces erreurs ont considérablement porté atteinte aux actifs des banques. Comme au début de 2007, un «stress test» relativement facile à mettre en place aurait indiqué les risques de concentration et protégé les instituts d’énormes pertes financières. Contrairement à ce qui s’est passé avec les «subprimes», les banques suisses ont gardé leurs hypothèques dans leurs comptes ( «buy and hold» ). Aux États-Unis, en revanche, celles-ci ont été revendues. Les banques en ont fait des paquets et les ont titrisées par tranches, ce qui leur a permis de les revendre assez rapidement ( «originate to distribute» ) Les tranches de titres divers, mais avec une notation comparable, peuvent être à nouveau regroupées dans des «pools», titrisées une nouvelle fois et revendues par tranches, etc. . Le prix de ces tranches était fonction de la notation, de l’offre et de la demande. Aussi longtemps qu’il se trouve quelqu’un pour les acheter sur le marché, il est possible d’en fixer le prix. Avec la montée des doutes sur la qualité des débiteurs hypothécaires ou des preneurs d’hypothèques, la demande (donc le processus de formation des prix) s’est effondrée et ces marchés sont devenus illiquides. Les banques ont dû intégrer ces positions dans leurs comptes et les évaluer à l’aide de modèles complexes élaborés à partir de nombreuses hypothèses. Avec le passage du modèle «buy and hold» au schéma «originate to distribute», les risques de crédit ont été transférés des comptes des banques proprement dits vers leurs opérations commerciales. C’était ignorer que la liquidité ne va pas de soi, qu’elle dépend de la confiance réciproque des acteurs sur un marché. Malheureusement, les principaux modèles de risque sur lesquels est fondé Bâle II dépendent aussi, précisément, de cette liquidité du marché (voir

encadré 2
Les modèles mathématiques peuvent fournir des données relativement précises sur l’évolution des courbes pendant une assez longue période si ses particularités restent identiques pendant la durée d’observation. Au milieu de l’année 2007, les marchés hypothécaires «subprime» ont perdu leur liquidité. Cela s’est traduit par une plus grande volatilité, c’est-à-dire par des fluctuations des courbes. Aucun modèle fondé sur des données antérieures à cette date n’était en mesure de prévoir ne serait-ce qu’approximativement l’augmentation massive de la volatilité dès le milieu de l’année 2007. À partir de là, la gestion des risques s’est faite «à l’aveugle», du moins aussi longtemps que le modèle n’a pas pu s’adapter à la nouvelle situation. Les développements qui s’appliquent dans certaines conditions ne sont plus valables lorsque le cadre général est fondamentalement modifié. Un modèle fondé sur des données historiques appliquées à des situations actuelles n’est plus à même de fournir des prévisions fiables dans un environnement qui a changé. Dans un marché illiquide, tout modèle construit sur des données du passé était voué à l’échec. et graphique 1 ).

Le rôle des autorités de surveillance


Il est reproché tant aux banques qu’aux autorités de surveillance de ne pas avoir pris au sérieux les alertes précoces concernant les problèmes du marché immobilier américain (voir

encadré 3
Dès mars 2002, le magazine britannique The Economist avait tiré la sonnette d’alarme alors qu’une bulle commençait à se former dans le secteur immobilier américain (voir graphique 2). Si à l’époque, on avait contraint une banque à renoncer à ce type d’affaires, elle aurait perdu trois années fastes. Le bon moment pour sortir d’une bulle n’est pas facile à déterminer. À cet égard, une autorité de surveillance n’a pas une longueur d’avance sur les banques en matière d’information. Elle peut seulement exiger qu’une banque soit à même d’absorber les effets négatifs de l’éclatement d’une bulle. et graphique 2 ). Cette réaction est toutefois un peu courte, car les scénarios qui conduisent à l’abîme sont nombreux. Les autorités de surveillance se doivent d’être sceptiques vis-à-vis des banques et créatives lorsque le pessimisme s’installe. C’est souvent après coup que le scénario qui s’est réalisé apparaît clairement. Il faut admettre que dans le cas particulier, toutes les autorités de surveillance qui comptent dans le monde, quels que soient leur taille, leur mode de travail et leur forme d’organisation, ont été surprises par l’origine, l’ampleur et l’intensité de la crise. Si le marché hypothécaire étasunien avait été soumis à des règles plus rigoureuses, la crise des fonds spéculatifs, par exemple, ou celle des ventes de dérivés de crédit auraient pu être résolues. Les déséquilibres macroéconomiques ne peuvent subsister dans la durée. La restauration de l’équilibre peut nécessiter le recours à différents moyens, ce qui est susceptible de prendre beaucoup de temps.   La régulation et la surveillance bancaires ne sont pas en mesure de prévenir des crises résultant, par exemple, des faiblesses structurelles d’une économie, d’une politique monétaire généreuse de la banque centrale Dans la théorie monétaire et conjoncturelle développée par Friedrich August von Hayek, par exemple, une évolution caractérisée par une demande accrue de crédit, accompagnée d’une politique monétaire expansive pour soutenir l’essor conjoncturel, débouche sur la surchauffe. ou de particularités de politique budgétaire. Les autorités peuvent seulement tenter de faire en sorte que la crise ne se répercute pas sur le système bancaire. Elles doivent donc s’assurer que les instituts surveillés et le système financier soient préparés à une crise et aussi aptes que possible à y résister.   Afin de prévenir l’insolvabilité d’une banque et les dommages susceptibles d’en résulter pour les créanciers ou pour le système financier, la surveillance des banques doit:   – identifier les principaux risques des activités d’une banque, ce qui implique un niveau d’information régulier et suffisant;   – se renseigner sur la stratégie commerciale d’une banque et la soumettre à une expertise critique, bien que la décision stratégique soit de la responsabilité de la banque;   – aménager les conditions et les temps de réaction adéquats pour obtenir des résultats optimaux;   – augmenter le «prix» des stratégies risquées;   – identifier les principaux problèmes à temps au sein de l’autorité de surveillance, pour éviter tout dérapage.     En matière de surveillance des banques, un important problème réside dans le manque d’informations sur certains établissements, dans la mesure où l’autorité de surveillance elle-même ne dispose pas de toutes les données. Ce problème s’accentue avec l’accroissement du volume ou la complexité des affaires.   La régulation doit être aussi dynamique que les affaires bancaires elles-mêmes et «pondérer» correctement les risques dont elles s’accompagnent. C’est le seul moyen de prévenir de mauvaises incitations ou des dysfonctionnements dans la répartition des risques sur la durée: c’est valable pour certaines banques, mais aussi pour le système financier en général. Une réglementation bancaire mal adaptée aux réalités économiques provoque des distorsions sur le marché bien plus qu’elle ne règle les problèmes.   Les règles affinées de Bâle II, avec leur pondération beaucoup plus précise des risques que l’Accord de 1988 sur les fonds propres, ainsi que les progrès réalisés dans les normes de gestion des risques, constituent un indéniable progrès. La crise a cependant montré les limites et les points faibles de Bâle II. Il s’agit à présent de remédier à ces imperfections.   Abandonner radicalement une norme sur les fonds propres pondérée des risques – ce qui serait revenir à la situation d ‘ avant Bâle I et II – ne serait toutefois pas une réponse aux lacunes mises en évidence. La transformation du risque constitue l ‘ une des principales fonctions économiques des banques. Si seuls le pilotage, le contrôle et la limitation étaient soumis à mesure, cela ne toucherait pas ou très peu lesdits risques, mais porterait considérablement atteinte à l ‘ efficience lors de leur transformation. L ‘ allocation optimale du capital s ‘ en trouverait dès lors perturbée.

Capital ET liquidité


La réforme de Bâle I était, entre autres, particulièrement axée sur une dotation en fonds propres conforme aux risques que font courir les crises de crédit. Le fort accent mis sur le capital dans Bâle II a fait quelque peu passer à l’arrière-plan le traitement tout aussi important des liquidités. Avec le passage au modèle «originate to distribute» et le transfert des risques de crédit qui lui est associé des comptes des banques proprement dits vers leurs opérations commerciales, la liquidité du marché est devenue un facteur essentiel de succès, aussi bien en ce qui concerne le refinancement que pour l’appréciation des risques correspondants. Le Comité de Bâle était conscient de ce problème. C’est pourquoi, avant même l’éclatement de la crise, il avait chargé un groupe de travail de traiter la gestion des risques de liquidité En Suisse, un groupe de travail conjoint de la CFB et de la BNS avait entrepris de définir en mars 2007 le scénario d’un régime de protection des liquidités pour les deux grande banques. . Un autre groupe a élaboré des propositions allant dans le sens d’une dotation plus importante en fonds propres pour couvrir les risques du marché. Ces mesures, appelées «incremental risk charge», seront introduites en 2010. Nous le savons, ces initiatives sont malheureusement trop tardives. Les scénarios de crise dont le Comité de Bâle voulait débattre en collaboration avec la branche financière apparaissent a posteriori comme le film de la crise actuelle des marchés financiers. Avant même qu’on ait pu prendre des dispositions pour endiguer les risques de liquidité et augmenter le «prix» du risque sur le marché, la réalité a dépassé la fiction dans l’analyse des menaces.

Améliorations apportées à Bâle II


Bâle II n’a pas besoin d’un remaniement en profondeur. Une mise en oeuvre rigoureuse de ses directives par les banques et les autorités de surveillance devrait déjà beaucoup contribuer à renforcer la capacité de résistance des banques et donc du système financier dans son ensemble face à des troubles futurs. La crise financière a néanmoins mis en évidence certaines faiblesses des règles existantes Voir le «Message concernant un train de mesures destinées à renforcer le système financier suisse» du Conseil fédéral, chapitre 3.2 «Durcissement des exigences de fonds propres pour les grandes banques», pp. 35-37. Internet: www.efd.admin.ch , rubriques «Documentation», «Législation», «Messages». .   Comme cela a déjà été évoqué pour l’introduction du premier pilier, les crises n’étant pas prévisibles, les banques, et en particulier celles d’importance systémique, doivent disposer d’une réserve en capital nettement supérieure aux exigences minimales, afin d’être en mesure d’absorber sans dommage même les pertes les plus importantes Nout Wellink, président de la banque centrale néerlandaise ainsi que du Comité de Bâle, a présenté dans son discours de programme «The Importance of Banking Supervision in Financial Stability», le 17 novembre 2008, comment ce même comité traitera les principales questions d’intérêt immédiat. . Cette exigence ne remet pas fondamentalement en question les pondérations de risques ou les approches internes de Bâle II, mais elle tient plutôt compte du fait que la gestion du risque et ses modèles ne constituent pas une science exacte. C’est justement parce que la définition des pondérations de risques comporte un certain potentiel d’erreur qu’il est nécessaire, de l’avis de la CFB, d’instaurer à titre complémentaire une limitation nominale des positions de risques. Le taux de levier («leverage ratio»), destiné à plafonner la part du bilan financée par des capitaux extérieurs, assume cette fonction. Un matelas de fonds propres plus épais a un effet anticyclique sur l’évolution conjoncturelle. Ce coussin amortisseur est alimenté pendant les périodes fastes et peut être utilisé en partie lors des phases de récession. Pour ce qui est de la qualité des capitaux propres détenus, leur aptitude à absorber des pertes éventuelles revêt une importance capitale. Dans le cas des banques d’importance systémique, qui ne doivent pas faire faillite, les prêts de rang subalterne, qui restreignent les exigences des créanciers vis-à-vis de la banque uniquement en cas de faillite, ne remplissent pas ce critère. À l’inverse, les bénéfices thésaurisés présentent toutes les qualités requises.   S’agissant du deuxième pilier, deux questions figurent en tête de l’ordre du jour du Comité de Bâle: comment faire, premièrement, pour améliorer la résistance des banques aux crises de liquidités – comme celle qu’on observe en ce moment – et, deuxièmement, pour adopter des approches plus fermes et mondialement plus homogènes en matière de surveillance des risques de liquidité?   Les thèmes liés au troisième pilier concernent plus particulièrement le renforcement ultérieur des normes de transparence pour les banques et les questions relatives aux normes comptables internationales. Par exemple, faut-il instaurer pour les banques un système de provisionnement dynamique dans le temps ou renforcer le filtre prudentiel, c’est-à-dire éliminer certaines possibilités offertes par la pratique comptable dans l’imputation du capital?   L’actuelle crise financière met aussi très clairement en évidence la grande importance d’une infrastructure financière stable, le rôle important joué par le «stress testing» dans la surveillance, ainsi que la nécessité d’une collaboration internationale des autorités de surveillance. Comme on l’a une fois de plus constaté, des systèmes d’indemnisation mal conçus se traduisent par de fausses incitations qui peuvent aggraver l’exposition au risque de l’entreprise toute entière. Sur ce point, une réglementation internationale harmonieuse s’impose également.

Se souvenir du naufrage du Vasa


Il n’est pas nécessaire de procéder à un remaniement en profondeur de Bâle II pour permettre au dispositif juridique de «tenir la mer», c’est-à-dire de rendre les banques et le système financier en général plus résistants aux crises futures. Des réglementations édictées en toute hâte peuvent se révéler nocives à long terme. Les garanties étatiques et les systèmes de protection de dépôts ont pour effets secondaires de favoriser l ‘ «aléa moral» et de battre en brèche le principe de concurrence; ils contiennent ainsi les germes qui alimenteront la crise suivante.   À ce propos, revenons brièvement sur la catastrophe du Vasa. En apprenant par ses services secrets qu’un nouveau vaisseau de guerre danois possédait deux ponts, le roi de Suède avait exigé de son constructeur qu’il ajoute un pont (armé) au Vasa. Cette opération s’était réalisée sous d’énormes contraintes de temps, qui avaient empêché ses protagonistes d’examiner sérieusement les conséquences des modifications ordonnées après coup.

Graphique 1 «AAA Home Equity Subprime Index: rendement de l’écart sur dix jours, 2003 – sept. 2008»

Graphique 2 «Évolution du prix des maisons aux États-Unis, 1988-2008 S+P Case-Shiller Home Price Index (Composite CSXR)»

Encadré 1: Sélection des rapports publiés sur la crise des «subprimes»
– Observations du Senior Supervisors Group (SSG) du 6 mars 2008: Observations on Risk Management Practices during the Recent Market Turbulence.- Rapport du Forum sur la stabilité financière (FSF) du 7 avril 2008: Report of the FSF on Enhancing Market and Institutional Resilience.- Analyse de l’UBS sur les amortissements, du 18 avril 2008: Shareholder report on UBS’s writedowns.- Recommandations de l’Institute of International Finance (IIF) du 17 juillet 2008: Comprehensive Proposals to Strengthen the Financial Industry and Financial Markets.- Plan de mesures de l’UBS du 12 août 2008: Summary of the Remediation Plan in Response to Issues Outlined in the Shareholder Report.- Recommandations du Counterparty Risk Management Policy Group (CRMPG) du 6 août 2008: Containing Systemic Risk: The Road to Reform.

Encadré 2: Prévision de qualité d’un modèle de risque fondé sur l’exemple AAA Home Equity Subprime Index
Les modèles mathématiques peuvent fournir des données relativement précises sur l’évolution des courbes pendant une assez longue période si ses particularités restent identiques pendant la durée d’observation. Au milieu de l’année 2007, les marchés hypothécaires «subprime» ont perdu leur liquidité. Cela s’est traduit par une plus grande volatilité, c’est-à-dire par des fluctuations des courbes. Aucun modèle fondé sur des données antérieures à cette date n’était en mesure de prévoir ne serait-ce qu’approximativement l’augmentation massive de la volatilité dès le milieu de l’année 2007. À partir de là, la gestion des risques s’est faite «à l’aveugle», du moins aussi longtemps que le modèle n’a pas pu s’adapter à la nouvelle situation. Les développements qui s’appliquent dans certaines conditions ne sont plus valables lorsque le cadre général est fondamentalement modifié. Un modèle fondé sur des données historiques appliquées à des situations actuelles n’est plus à même de fournir des prévisions fiables dans un environnement qui a changé. Dans un marché illiquide, tout modèle construit sur des données du passé était voué à l’échec.

Encadré 3: The Economist avait mis en garde
Dès mars 2002, le magazine britannique The Economist avait tiré la sonnette d’alarme alors qu’une bulle commençait à se former dans le secteur immobilier américain (voir graphique 2). Si à l’époque, on avait contraint une banque à renoncer à ce type d’affaires, elle aurait perdu trois années fastes. Le bon moment pour sortir d’une bulle n’est pas facile à déterminer. À cet égard, une autorité de surveillance n’a pas une longueur d’avance sur les banques en matière d’information. Elle peut seulement exiger qu’une banque soit à même d’absorber les effets négatifs de l’éclatement d’une bulle.

Proposition de citation: Daniel Sigrist (2008). Bâle II a-t-il failli. La Vie économique, 01 décembre.