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Les banques et la crise de la zone euro

Les banques ont joué un rôle crucial dans l’émergence et la propagation de la crise de la dette au sein de la zone euro. De nombreux établissements d’importance systémique sont sous-capitalisés. De plus, d’importantes ramifications et interdépendances financières unissent les banques et les États, tout comme l’ensemble du système bancaire. Sans ces facteurs, l’ampleur qu’a prise la crise au sein de la zone euro serait incompréhensible. La réforme du secteur bancaire représente, dès lors, une étape importante pour en sortir.

Plus de deux ans après les premières informations sur le déficit aussi inattendu qu’exorbitant de la Grèce, le système financier européen reste affaibli. La stabilité du secteur bancaire suscite des interro-gations. De nombreuses banques sont exclues de facto du marché interbancaire et doivent compter sur le Système européen des ban-ques centrales (SEBC) pour se refinancer. Même des pays considérés naguère comme faisant partie du noyau dur de la zone euro sont désormais sous pression. La crise de la dette est partie d’États périphériques en situation de grave déséquilibre budgé- taire – la Grèce, puis l’Irlande et le Portugal – avant de se propager à toute la zone euro, conduisant à de profonds bouleversements des institutions et de la gouvernance. Des réformes ont été engagées sous la pression des marchés financiers. Le dé- ploiement du plan de stabilisation de l’union monétaire, le réaménagement du Pacte de stabilité et de croissance et l’intérêt porté au renforcement de la collaboration en matière de politique économique et financière n’en sont que quelques exemples.

Comment en est-on arrivé là?


L’opinion publique considère souvent que les États périphériques de la zone euro sont à l’origine de la crise. En réalité, son ampleur et ses retombées sont sans commune mesure avec la taille des économies concernées: au sein de la zone euro, la Grèce, l’Irlande et le Portugal font plutôt figure de nains économiques (voir tableau 1). Le produit intérieur brut (PIB) du Portugal ne représentait que 1,9% de celui de la zone euro en 2010; l’Irlande à peine 1,7%. La Grèce, le pays le plus fortement sous pression, est également une petite économie, puisqu’elle ne représente que 2,5% du PIB de la zone euro. Il faut se demander dès lors comment il se fait que le sort de tout l’espace économique européen, et même de l’économie mondiale, soit suspendu au destin de ces petites économies. La réponse est à chercher dans un écheveau complexe d’interdépendances financières étroites, au cœur desquelles on trouve les banques.

Les banques et les États sont fortement enchevêtrés

La dimension nationale


De nombreux États de la zone euro ont des liens financiers étroits avec les banques domiciliées sur leur territoire. Ces dernières détiennent souvent des stocks importants d’obligations de leur État de domicile. À titre d’exemple, il ressort des tests de résistance («stress tests») de l’Autorité bancaire européenne (EBA) que les créances des principales banques d’affaires grecques envers l’État se montaient à quelque 54 milliards d’euros fin 2010 (voir tableau 1). Les banques italiennes détiennent également des créances substantielles envers leur propre État. Selon l’EBA, ces créances se montaient à 165 milliards d’euros fin 2010. Or ces établissements financiers, en particulier les grandes banques internationales, bénéficient souvent d’une garantie implicite ou explicite de leur État d’origine. Cette imbrication entre les États et leurs banques est problématique. Elle risque d’enclencher un engrenage de plus en plus incontrôlable.Illustrons ce cercle vicieux potentiel à l’aide d’un exemple: lorsqu’une banque rencontre des difficultés financières, l’État se voit contraint de prendre des mesures coûteuses qui détériorent sa propre situation. Cela peut faire naître des doutes sur la solvabilité de cet État, notamment si sa cote de crédit vient à être abaissée. Les primes de risque sur les obligations de cet État s’accroissent alors, ce qui se traduit par une réduction de la valeur desdites obligations. Ainsi, la banque essuie des pertes sur les obligations d’État qu’elle détient
Sur le plan purement comptable, la perte aura surtout des incidences si la banque détient les obligations d’État en vue de les revendre. En revanche, si elle en-tend les conserver jusqu’à l’échéance, elle n’est tenue de procéder à une correction de valeur qu’à concurrence des pertes déjà réalisées selon les normes comptables usuelles. Cela dit, d’un point de vue économique, il y a perte de valeur dans un cas comme dans l’autre dès lors que la valeur vénale ou de marché a diminué. et sa situation financière se détériore. Une nouvelle intervention de l’État devient nécessaire et on se retrouve ainsi au point de départ. Le cercle vicieux peut se poursuivre jusqu’à la faillite de l’État et des banques. L’étincelle initiale peut provenir de celles-ci (prise de risque excessive par exemple) comme de l’État (déficits excessifs par exemple), ou des deux à la fois.Pendant des années, cette situation à risques a prévalu dans de nombreux États de la zone euro sans entraîner de problèmes notables. Les banques étaient considérées comme sûres, en raison des garanties d’État implicites notamment. De leur côté, les finances publiques étaient saines ou considérées comme telles en raison de mauvaises informations, d’appréciations erronées ou de la conviction que, dans le pire des cas, l’État concerné serait secouru par d’autres États de la zone euro. La crise financière a radicalement changé la donne. Des ressources pu-bliques ont dû être mobilisées pour préserver des banques d’un défaut de paiement. Dans de nombreux États, ces opérations de sauvetage ont dégradé les finances publiques, déjà mises à mal par la récession.Le cas de l’Irlande est particulièrement frappant. En 2007, la dette de l’État irlandais ne représentait que 25% du PIB selon Eurostat (alors que ce taux était de 43% en Suisse selon les critères de Maastricht). De plus, les banques étaient rentables. La crise financière a changé la donne et conduit à l’éclatement d’une gigantesque bulle immobilière. Les banques se sont retrouvées au bord de l’insolvabilité, forçant l’État à consentir d’importantes garanties en leur faveur. Cela a provoqué l’explosion de la dette publique qui, en 2010, avait déjà grimpé à 96% du PIB selon Eurostat. De plus, la solvabilité de l’État irlandais a été massivement révisée à la baisse. Ainsi, les banques n’avaient plus guère la possibilité de remettre en nantissement les obligations d’État qu’elles détenaient pour se financer sur le marché. Pour éviter l’effondrement du secteur bancaire et de l’État, des plans de sauvetage internationaux ont dû être lancés et il a fallu recourir au SEBC pour permettre aux banques de se refinancer.L’ important endettement des banques et le problème du «too big to fail» (TBTF) sont au cœur du cercle vicieux décrit ci-dessus. En se finançant abondamment par le biais de fonds étrangers, les banques ont la possibilité d’acquérir des actifs considérables qui ne sont que faiblement couverts par du capital propre. Ainsi, en cas de pertes importantes sur des actifs réputés sûrs tels que des obligations d’État, la base de capital propre est rapidement épuisée. Par ailleurs, certaines banques remplissent des fonctions si importantes que les économies nationales et les systèmes financiers des États concernés se retrouveraient au tapis si elles venaient à faire faillite. Ces banques sont qualifiées de trop grandes pour faire faillite, rien ni personne n’étant en mesure de prendre en charge dans un délai acceptable les fonctions d’importance systémique qu’elles assument. En l’absence de mécanisme garantissant la pérennité de ces fonctions, l’État se voit pratiquement contraint de sauver la banque concernée, et ce même si le sauvetage risque de nécessiter des ressources qui dépassent ses moyens.

La dimension transnationale


Le cercle vicieux décrit ci-dessus explique pourquoi les systèmes bancaires nationaux peuvent mettre en difficulté financière leur État d’origine et vice versa. Il n’explique, toutefois, pas pourquoi une crise bancaire en Irlande représente un danger pour d’autres États. Le risque de contagion à l’échelon international provient notamment de ce que les obligations d’un État sont le plus souvent détenues aussi par des banques étrangères. Ainsi, les pertes directes qui résultent de variations de la valeur des obligations d’État n’affectent pas uniquement les banques du pays concerné, mais aussi celles situées à l’étranger. En Europe, l’imbrication entre les États et les banques étrangères est très prononcée. Selon la Banque des règlements internationaux (BRI), les créances brutes au bilan des banques françaises et allemandes envers l’État grec se montaient respectivement à 10,5 et 12,5 milliards d’USD à la fin du 2er trimestre 2011. Certains établissements étaient massivement surexposés. La banque franco-belge Dexia
Le 10 octobre 2011, les gouvernements belge, français et luxembourgeois, parties prenantes de Dexia. ont décidé de démanteler le groupe en rendant à chacune des ses entités son caractère national et en les nationalisant partiellement. Certaines de ses activités ont, par ailleurs, été vendues. Les actifs financiers à risque, dont lensemble sélève à 90 milliards deuros, ont été regroupés dans une structure de défaisance («Bad Bank») et ont reçu la garantie des États pour dix ans., par exemple, avait quelque 3,5 milliards d’euros d’encours pour un capital propre de catégorie 1 (tier 1) d’environ 14,5 milliards d’euros (juin 2011).Les banques et les États ne sont pas seulement unis entre eux, les secteurs bancaires des différents pays le sont aussi. À titre d’exemple, les banques allemandes et celles du Royaume-Uni détenaient dans leurs bilans des créances brutes envers des banques irlandaises à hauteur de respectivement 21 et 17 milliards d’USD au 2er trimestre 2011 selon la BRI. Le graphique 1 illustre une partie des interdépendances financières internationales. Cela dit, les banques ne sont pas uniquement liées les unes aux autres par des cré- ances au bilan, mais aussi par des participations. Ainsi, la cinquième banque de Grèce, Emporiki, propriété à près de 100% du Crédit agricole (CA), a été très sévèrement ébranlée. Or, comme les prêts consentis se montent à 22 milliards d’euros et que le capital propre (catégorie 1) de la banque française avoisine 60 milliards d’euros (juin 2011), cette dernière est fortement exposée en Grèce bien qu’elle ne détienne que pour 650 millions d’euros d’obligations de l’État grec.La défaillance d’un État risque donc d’entraîner une réaction en chaîne dont l’issue est imprévisible. Le secteur bancaire du pays concerné serait le premier à en subir les conséquences, avec quelques banques étrangères. Les difficultés rencontrées par ces établissements déstabiliseraient les secteurs bancaires d’autres pays, et ainsi de suite. La dynamique est renforcée par le fait que les banques fragilisées ne peuvent généralement plus se refinancer sur le marché interbancaire ou alors à des prix prohibitifs, en raison des doutes concernant leur capacité de remboursement. C’est ce qui s’est produit en Grèce, en Irlande et au Portugal, où les banques ne se maintiennent en vie que grâce aux liquidités du SEBC. La même menace plane de plus en plus sur l’Espagne et l’Italie. Au final, les États se trouvent confrontés à un embrasement d’une ampleur telle qu’il n’est pas certain que leurs ressources suffisent à en venir à bout.Les risques de pertes et les interdépendances financières sont encore renforcés par l’existence des produits financiers dérivés tels que des couvertures de défaillance («credit default swaps», CDS) utilisés pour les États ou les banques (voir encadré 2

Les couvertures de défaillance


Les couvertures de défaillance («credit default swaps», CDS) sont des dérivés sur crédit. Elles permettent de se prémunir contre les pertes qui résulteraient du défaut de paiement d’un État ou d’une banque par exemple. Les CDS fonctionnent un peu comme des contrats d’assurance. Le preneur de protection s’acquitte de primes périodiques et, souvent, de droits d’entrée («upfront»). Il acquiert ainsi le droit à un paiement compensatoire en cas de survenance d’un événement de crédit prédéfini, comme le non versement d’intérêts échus par exemple. De son côté, le donneur de protection perçoit les primes ainsi que les droits d’entrée et procède au paiement compensatoire en cas de survenance de l’événement de crédit.Dans le contexte de la crise de la dette qui frappe actuellement la zone euro, les instru-ments de couverture des risques, en principe utiles, jouent un rôle important à deux titres:1. D’une part, les CDS sont susceptibles d’augmenter les pertes qui résulteraient de la faillite d’un État par exemple. Au contraire de ce qui se passe avec un contrat d’assurance classique, la somme assurée à l’aide des CDS n’est pas limitée à la valeur des avoirs sous-jacents. Formulé de façon un peu familière, cela revient à dire que les CDS permettent de se surassurer. Par conséquent, il n’est pas exclu que, suite à la faillite d’un État par exemple, l’ensemble des sommes dues s’avère nettement supérieur au montant des dettes de l’État en situation d’insolvabilité. Les paiements effectués en lien avec des CDS ne compensent donc pas nécessairement des pertes subies par des créanciers obligataires. Ils peuvent aussi échoir à des tiers, pour lesquels ils représentent un revenu. Cela tient au fait que, contrairement là encore à ce qui passerait dans le cadre d’un contrat d’assurance classique, le preneur de protection ne doit pas avoir subi de dommage pour pouvoir se prévaloir de ses droits. Ainsi, les preneurs de protection n’ont pas nécessairement des encours envers l’État auquel le CDS se rapporte. 2. D’autre part, les CDS contribuent à étendre encore les ramifications et les interdépendances sur les marchés financiers. En effet, les établissements les plus divers (banques, assu-rances, etc.) sont actifs sur le marché en qualité de donneurs de protection. Ainsi, la faillite d’un État n’occasionnerait pas seulement des pertes aux créanciers obligataires immédiats, mais à eux aussi.

). Comme il n’existe pas de données consolidées sur les transactions avec des CDS, il n’est guère possible de déterminer l’étendue des risques auxquels une banque précise est exposée en cas de défaut de paiement d’un État ou d’une autre banque. Cela tient notamment au fait que de nombreux CDS changent de main de gré à gré et hors bourse («over the counter», OTC). Dans ces conditions, les participants au marché et les autorités de surveillance ne sont guère en mesure d’évaluer les conséquences d’une défaillance. L’incertitude qui entoure les positions à risque des banques peut faire naître des doutes sur la capacité de remboursement de certains établissements et contribuer ainsi au resserrement du crédit sur le marché interbancaire.

Pour sortir de la crise


En résumé, la crise de la dette – qu’il s’agisse de son origine comme de son extension – provient d’une combinaison de facteurs, parmi lesquels on trouve essentiellement la sous-capitalisation des banques, le problème du TBTF et de fortes interdépendances financières à l’échelon national et international. Les réformes engagées pour sortir de la crise et en prévenir de nouvelles mettent l’accent non seulement sur l’assainissement durable des finances publiques (un élément indispensable que nous ne développerons pas dans le présent article), mais aussi sur les points suivants:1. Les prescriptions en matière de capital et de liquidités sont renforcées notamment dans le cadre des initiatives du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire («Bâle III») et du Conseil de stabilité financière (CSF). Le but consiste à consolider les bilans des banques, en particulier celles d’impor-tance systémique, et donc à améliorer la résistance aux chocs du système financier.2. Des tests de résistance sont effectués dans de nombreux pays pour mettre au jour les volants de capital trop faibles et remédier aux insuffisances par des mesures appropriées. Les nombreuses données recueillies grâce à ces tests améliorent la transparence sur les engagements financiers des banques et réduisent les incertitudes. Dans les situations d’interdépendance financière, l’augmentation de la transparence prime sur les mesures d’interdiction: leur application serait difficile et éliminerait les avantages découlant de la diversification.3. En ce qui concerne le TBTF, les projets de réforme prévoient de relever les exigences en matière de capital et de liquidités (comme cela a déjà été évoqué) et de prendre des mesures dordre organisationnel. Le but est de pouvoir, en cas de nécessité, assurer les services d’importance systémique fournis par les banques en les isolant de leurs autres activités, lesquelles pourront faire l’objet d’une faillite ordinaire. Par ailleurs, plusieurs efforts sont consentis pour réviser la législation relative à l’insolvabilité bancaire.Les réformes évoquées vont fondamentalement dans le bon sens. Pour que les efforts engagés déploient les effets souhaités dans la réalité, il s’agit désormais de formuler des mesures concrètes et réfléchies, et surtout de les mettre en œuvre rapidement. Car comme le disait déjà Erich Kästner: le bien n’arrive pas tout seul. Il faut le faire.

Graphique 1: «Créances des banques envers des pays tiers (État et banques), 1er trimestre 2011»

Tableau 1: «Survol statistique des pays périphériques de la zone euro et de la zone euro dans son ensemble, 2010»

Encadré 1: Quelle est la situation des banques suisses?

Quelle est la situation des banques suisses?


En Suisse, les banques détiennent des cré- ances brutes (donc y compris celles dont les risques sont couverts) à hauteur de 35 milliards d’USD environ envers les GIIPS, soit les États fragilisés de la zone euro qui se composent du Portugal, de l’Italie, de l’Irlande, de la Grèce et de l’Espagne (BRI, 2e trimestre 2011). Une grande partie de ces créances sont détenues par les grands établissements ainsi que par les succur-sales helvétiques de leurs concurrents étrangers. Les banques suisses petites et moyennes ne sont guère exposées directement aux GIIPS. Les encours envers l’Italie et l’Espagne se taillent la part du lion (respectivement 15 et 12,5 milliards d’USD), alors que les créances envers les trois pays périphériques sont relativement modestes: 4,5 milliards d’USD envers l’Irlande, 1,5 milliard envers le Portugal et 1,5 milliard envers la Grèce. À côté de ces créances au bilan, les banques suisses détiennent pour un total d’environ 31 milliards d’USD des créances potentielles envers les GIIPS qui découlent de dérivés, de garanties et de promesses de crédit. En haut de la liste des débiteurs, on trouve une nouvelle fois l’Italie (16 milliards d’USD), suivie de l’Espagne (7 milliards), de l’Irlande (5 milliards), de la Grèce (1,5 milliard) et du Portugal (1 milliard). Ces montants n’incluent pas uniquement les avoirs potentiels envers des États ou des banques, mais envers tous les secteurs économiques des États concernés, la BRI ne ventilant pas cette catégorie de créances par secteurs.Dans les bilans des banques suisses, les encours envers les GIIPS ne représentent que 4,1% des créances totales envers des États tiers membres de la BRI ou le secteur bancaire de ces États tiers. Les créances potentielles hors bilan représentent une quote-part quasiment équivalente (3,7%). Les chiffres de la BRI reflètent une optique comptable: ils ne tiennent pas compte de certaines possibilités de compenser les créances bancaires. Si on les intègre, les encours des banques suisses diminuent. Les avoirs potentiellement menacés se réduisent encore si l’on inclut également certains instruments utilisés par les banques pour couvrir leurs risques. Dans l’en-semble, l’exposition directe des banques suisses aux GIIPS peut donc être qualifiée de modérée.Ces positions à risque ne représentent, certes, qu’une petite partie des créances envers l’étranger. Toutefois, rapportée aux fonds propres de ces établissements, l’exposition est considérable. Les fonds propres de catégorie 1 tant du Credit Suisse que de l’UBS se montent à 37 milliards de francs environ (juin 2011) et 38 milliards (septembre 2011). Par ailleurs, les positions à risque mentionnées ne se rapportent qu’aux pertes potentielles directes. Les pertes indirectes qui résulteraient de défauts de paiement en cas de propagation de la crise à d’autres États ne sont pas prises en compte. Or, de tels effets domino constituent un risque sérieux en raison des interdépendances, déjà évoquées, qui caractérisent le secteur bancaire. De plus, il existe d’autres risques dont les incidences sur les bilans des banques sont difficiles à évaluer (par exemple risque de change consécutif à une forte dépréciation de l’euro). Enfin, on ignore si les instruments de réduction des risques fonctionneraient sans faille en cas de crise systémique.

Encadré 2: Les couvertures de défaillance

Les couvertures de défaillance


Les couvertures de défaillance («credit default swaps», CDS) sont des dérivés sur crédit. Elles permettent de se prémunir contre les pertes qui résulteraient du défaut de paiement d’un État ou d’une banque par exemple. Les CDS fonctionnent un peu comme des contrats d’assurance. Le preneur de protection s’acquitte de primes périodiques et, souvent, de droits d’entrée («upfront»). Il acquiert ainsi le droit à un paiement compensatoire en cas de survenance d’un événement de crédit prédéfini, comme le non versement d’intérêts échus par exemple. De son côté, le donneur de protection perçoit les primes ainsi que les droits d’entrée et procède au paiement compensatoire en cas de survenance de l’événement de crédit.Dans le contexte de la crise de la dette qui frappe actuellement la zone euro, les instru-ments de couverture des risques, en principe utiles, jouent un rôle important à deux titres:1. D’une part, les CDS sont susceptibles d’augmenter les pertes qui résulteraient de la faillite d’un État par exemple. Au contraire de ce qui se passe avec un contrat d’assurance classique, la somme assurée à l’aide des CDS n’est pas limitée à la valeur des avoirs sous-jacents. Formulé de façon un peu familière, cela revient à dire que les CDS permettent de se surassurer. Par conséquent, il n’est pas exclu que, suite à la faillite d’un État par exemple, l’ensemble des sommes dues s’avère nettement supérieur au montant des dettes de l’État en situation d’insolvabilité. Les paiements effectués en lien avec des CDS ne compensent donc pas nécessairement des pertes subies par des créanciers obligataires. Ils peuvent aussi échoir à des tiers, pour lesquels ils représentent un revenu. Cela tient au fait que, contrairement là encore à ce qui passerait dans le cadre d’un contrat d’assurance classique, le preneur de protection ne doit pas avoir subi de dommage pour pouvoir se prévaloir de ses droits. Ainsi, les preneurs de protection n’ont pas nécessairement des encours envers l’État auquel le CDS se rapporte. 2. D’autre part, les CDS contribuent à étendre encore les ramifications et les interdépendances sur les marchés financiers. En effet, les établissements les plus divers (banques, assu-rances, etc.) sont actifs sur le marché en qualité de donneurs de protection. Ainsi, la faillite d’un État n’occasionnerait pas seulement des pertes aux créanciers obligataires immédiats, mais à eux aussi.

Proposition de citation: Juerg Adamek ; Ulf Lewrick ; (2011). Les banques et la crise de la zone euro. La Vie économique, 01 novembre.