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Genève: un plan d’intégration cantonal ambitieux et volontariste

Genève: un plan d’intégration cantonal ambitieux et volontariste

L’immigration est un phénomène ancien à Genève, mais elle a pris, depuis quelques années, une ­ampleur inégalée et a engendré des défis inédits. Le canton a adopté un programme d’intégration qui ne comprend pas moins de 70 ­mesures. Il doit lui permettre de resserrer les liens entre État et migrants, ce qui renforcera la ­cohésion sociale et le respect ­mutuel.

Carrefour de l’Europe des idées, du commerce et de la finance, mais également terre d’accueil des persécutés, Genève a connu tout au long de son histoire un foisonnement sans commune mesure avec sa taille de «ville de province».Les vagues migratoires successives, liées à cette hyperactivité et aux événements européens du moment, ont exigé des autorités qu’elles soient constamment innovantes.La population genevoise de ce début de XXIe siècle est de 470 000 habitants; la moitié sont des étrangers (40%) ou des Suisses naturalisés (environ 10%). Cette réalité n’est pas nouvelle, puisque, depuis plus de 300 ans, Genève compte plus de 30% d’étrangers. Il convient, toutefois, de la replacer dans le contexte actuel marqué par des tensions politiques et socioéconomiques. Les autorités chargées des questions migratoires, que celles-ci aient trait à l’asile, aux naturalisations ou à l’intégration, se trouvent devant des défis inédits, notamment en termes de sécurité, de logement, d’emploi, de formation ou de lutte contre les discriminations.

Trouver un équilibre


L’Arc lémanique est à l’heure actuelle l’une des régions les plus prospères et dynamiques d’Europe. Cette réussite a notamment pour conséquence d’attirer un grand nombre de personnes provenant du sud du continent, où les taux de chômage ont atteint des niveaux records. Les accords de libre circulation facilitent l’entrée de ces citoyens sur le territoire suisse et, de fait, créent une vive concurrence sur le marché du travail. Malgré une conjoncture économique favorable, la question migratoire engendre toujours de fortes tensions dans le canton de Genève. Ces citoyens européens venant, en très grand nombre, chercher un emploi pèsent sur les structures d’accueil et peuvent favoriser la sous-enchère salariale.Ainsi, le rôle des institutions est de gérer au plus juste ces différents enjeux, tant du point de vue des flux migratoires que de l’intégration des étrangers séjournant légalement sur le territoire. Cette recherche d’équilibre est d’autant plus importante que le dynamisme économique et la paix sociale dépendent grandement de ces deux variables. Les conditions-cadres du canton de Genève sont reconnues pour leur excellente qualité, exception faite du taux de logements disponibles, qui demeure très faible.Depuis 2001, le canton s’est doté d’une structure chargée de concevoir et de mettre en œuvre une politique d’intégration. Des fonds lui sont dévolus et l’ensemble des structures ordinaires genevoises (enseignement, formation, santé, etc.) y participent, en raison de la proportion très élevée d’étrangers résidant sur notre territoire.

Une juste évaluation des problèmes


Si la migration n’est pas nouvelle, certains problèmes qui en découlent sont, eux, inédits et complexes. Avant d’agir, il convient de les connaître et de les comprendre. Leur bonne connaissance et leur juste évaluation permettra ensuite de mieux les aborder, de façon proportionnée et pragmatique. La réussite des mesures décidées et entreprises par les organes d’exécution des politiques d’intégration dépendra de la connaissance des publics concernés, de leurs parcours migratoires, de leur niveau de socialisation et de formation, ainsi que de leur statut socioéconomique. Quoi de plus inefficient et inutilement coûteux, par exemple, que de soumettre aveuglément des personnes allophones et non scolarisées à des programmes inadaptés ou de réaliser des projets professionnels inaccessibles à des migrants ne disposant pas du moindre prérequis nécessaire à l’apprentissage de telle ou telle profession? Trop souvent, de bonnes mesures ont été dispensées à des publics qui n’étaient pas prêts à les assimiler.

Responsabiliser et encourager


Toute politique que l’on veut conduire au succès doit avoir un cadre légal clair. L’intégration n’échappe pas à cette règle. La nouvelle Constitution genevoise, entrée en vigueur le 1er juin 2012, complète les textes légaux cantonaux
Loi sur l’intégration. et fédéraux existants
Loi sur les étrangers (LEtr) et ordonnance sur l’intégration des étrangers (OIE).. Le nouveau cadre constitutionnel genevois est précisément posé pour ce qui concerne l’accueil, la participation et la naturalisation des personnes étrangères, autant de démarches que l’Assemblée constituante a voulues pragmatiques, simples et faciles d’accès.Intimement liée à la diversité culturelle et religieuse, la question de la laïcité est traitée pour la première fois dans la Constitution genevoise. L’article 3, qui devra vraisemblablement être précisé, délimite enfin la position de l’État et celle des communautés religieuses dans la cité. La cohésion sociale tant recherchée profitera de cette avancée historique qui garantit à chaque citoyen la possibilité d’avoir des convictions religieuses et de pratiquer sa foi.

Du discours à la réalisation


L’intégration est un processus dynamique qui se mène à deux, entre société d’accueil et population nouvellement installée. Le chemin est long, semé d’embûches, jamais totalement abouti et, disons-le, parfois voué à l’échec.Face aux réalités pressantes du moment, il convient de passer de l’incantation à la réalisation. Trop longtemps, on s’est contenté de parler d’intégration, d’organiser des forums et des colloques. Tout cela est bien, mais reste insuffisant. Pour les mêmes raisons, les différentes recherches et études sur des questions de migration et d’intégration ne sont utiles que si elles déclenchent l’action ou du moins permettent d’avancer vers la résolution des problèmes sur le terrain. La politique genevoise, telle qu’elle a été récemment définie, va résolument dans ce sens.

Cohérence et simultanéité de l’action


Une politique publique cantonale en matière de migration et d’intégration se doit d’être volontariste, lisible et audible de tous les acteurs institutionnels et privés à qui elle s’adresse, ainsi que des migrants eux-mêmes naturellement. Un cap doit être donné à l’ensemble des acteurs concernés, quel que soient leur taille et leur rôle, ainsi que des objectifs et des moyens: c’est à cette condition qu’ils pourront se sentir concernés et apporter leur indispensable contribution.C’est dans ce sens que seront lancés cette automne les premiers contrats d’intégration destinés aux «primo-arrivants» qui résident légalement dans le canton de Genève. Ces documents, signés, attesteront de l’engagement des personnes concernées à respecter les valeurs et les principes qui régissent Genève et la Suisse. Ils constitueront un préalable à toute demande d’autorisation de séjour.Par ailleurs, l’action doit être concertée et coordonnée afin que ceux qui y prennent part comprennent ce que l’on attend d’eux. L’intégration, comme toute autre politique publique, doit être imprégnée d’humanisme et de bienveillance, certes, mais il convient d’y associer une bonne dose de réalisme et une volonté d’obtenir des résultats mesurables et proportionnels aux moyens engagés.Finalement, ce ne sont pas tant les ressources et les moyens qui ont manqué jusqu’à aujourd’hui, mais bien la cohérence et la simultanéité de l’action.

Les programmes d’intégration: 
des outils au service des cantons


Plusieurs motions aux Chambres fédérales (groupe socialiste, Schiesser, etc.), ainsi que de larges consultations, ont abouti au Rapport du Conseil fédéral sur l’évolution de la politique d’intégration de la Confédération (mars 2010). L’objectif était d’unifier les exigences en matière d’intégration dans le pays. Les cantons conservent, toutefois, une grande liberté de manœuvre et d’action en fonction de leurs spécificités locales ou du profil de leur population migrante.Ainsi, dès 2014, à l’instar des autres cantons suisses, Genève mettra en œuvre son programme d’intégration cantonal (PIC) 2014–2017. Celui-ci est le résultat d’un travail collectif mené de conserve avec les partenaires associatifs et institutionnels du Bureau de l’intégration. Ce programme se veut ambitieux et novateur; les 70 mesures proposées se répartissent en huit thématiques principales, dont certaines apparaissent pour la première fois à l’ordre du jour de l’intégration. Toutes permettront d’atteindre les 30 objectifs cantonaux visés. Clairement, il s’agit:

  • d’agir là où se trouvent les gens, au cœur de l’action (quartiers, communes, associations), afin de répondre de façon pragmatique aux nécessités et aux attentes des autorités et des habitants en matière d’intégration et de discrimination;
  • de renforcer la cohésion sociale et les liens entre les nouveaux arrivants d’origine étrangère et la population d’accueil;
  • de développer la prévention et la lutte contre le repli de certaines communautés ethniques, nationales ou religieuses;
  • de favoriser la citoyenneté et donc le sentiment d’appartenance au groupe (participation et accès à la nationalité notamment).


Concrètement, grâce à celles et ceux qui y contribueront, la politique cantonale genevoise en matière d’intégration vivra des changements qui marqueront les décennies à venir. Le chemin s’annonce long et sinueux, mais la détermination est au rendez-vous.

Proposition de citation: Pierre Maudet (2013). Genève: un plan d’intégration cantonal ambitieux et volontariste. La Vie économique, 01 juillet.