«La retraite sportive est souvent vécue comme une perte de statut et de reconnaissance»
L’ancien footballeur Beni Huggel revient sur sa brève carrière d’entraîneur: «J’étais tellement pris par le football que je pensais que ma vie d’après aurait un lien avec ce sport.» (Image: Keystone / Ennio Leanza)
On peut dire que je suis un entrepreneur. Je suis cofondateur et copropriétaire de la société Athletes Network et dirige ma propre entreprise, la Beni Huggel bewegt. Je suis également consultant footballistique pour la télévision alémanique.
La célébrité m’est pour ainsi dire tombée dessus. La SRF m’a contacté dès la fin de ma carrière de footballeur; c’est aussi à ce moment-là que j’ai commencé à recevoir des demandes pour intervenir à des conférences. Au début, je les refusais toutes. Mais comme elles devenaient de plus en plus nombreuses, je me suis fait coacher et j’ai pris les choses en main.
J’y aborde notamment les questions de management, comme les différentes façons dont un entraîneur dirige une équipe. Je m’appuie pour cela sur mon expérience de sportif professionnel. Comme le changement déclenche souvent des résistances au sein des entreprises, la capacité à l’aborder de manière positive est un autre des thèmes que je traite. Tout au long de ma vie, j’ai connu de nombreux changements, dont certains m’ont été imposés et d’autres étaient des choix personnels. C’est donc un sujet que je connais bien.
J’en ai parlé à 12 ans, mais sans y croire. Je n’ai jamais suivi de plan de carrière. Tout est arrivé un peu par surprise.
Non, ce n’était pas pour cette raison, et je n’ai jamais jamais non plus intégré une section chargée de former les jeunes talents. D’une certaine manière, je suis passé entre les mailles du filet. J’ai eu une enfance et une adolescence tout à fait normales. J’ai terminé mon apprentissage et obtenu une maturité professionnelle et ne suis devenu footballeur professionnel que sur le tard, à 21 ans.
Effectivement. Mais à l’époque, je jouais dans des clubs régionaux, je n’étais pas encore au FC Bâle.
Non. J’ai fait un apprentissage sans savoir qu’un jour je deviendrais footballeur professionnel.
En principe, tous les contrats sont à durée limitée et les joueurs doivent sans cesse faire leurs preuves.
Les clubs ne m’ont jamais vraiment poussé. J’ai eu deux fois l’occasion d’intégrer de meilleures équipes de catégories supérieures, mais cela ne m’intéressait pas. À l’époque, je préférais jouer au football avec mes amis.
Oui. À ce moment-là, j’ai eu l’opportunité de participer à deux matchs de démonstration qui étaient des sortes de castings. C’est comme cela que le FC Bâle m’a proposé un premier contrat.
(Réfléchit longuement) Le point positif a été de pouvoir faire de ma passion mon métier. L’aspect négatif, ce sont les à-côtés du métier: le fait d’être soudainement jugé par des gens qui ne vous connaissent pas et qui projettent des choses sur vous. Je devais par exemple être un modèle, alors que j’étais moi-même très jeune à mes débuts.
J’ai eu la chance de croiser le chemin de Christian Gross. Il a été mon entraîneur pendant huit ans et m’a fait comprendre que l’objectif est toujours de gagner, pas seulement de participer. Cet esprit de compétition, je l’ai sûrement toujours eu en moi, mais cette façon de voir les choses m’a beaucoup marqué.
Mon premier contrat était bien maigre, mais comme je vivais encore chez mes parents, c’était suffisant. Au bout d’un an et demi seulement, j’ai pu signer un contrat beaucoup plus intéressant. J’ai eu le privilège de pratiquer un sport qui me permettait non seulement d’en vivre, mais aussi de mettre un peu d’argent de côté.
En principe, tous les contrats sont à durée limitée et les joueurs doivent sans cesse faire leurs preuves. Aucun poste n’est acquis pour toujours. J’ai toujours été conscient du fait que je devais être à la hauteur car une équipe de football compte non pas 11 mais 25 joueurs, et chacun veut jouer. Mais cela n’a pas été source de stress pour moi.
L’analyse des données a permis de mettre en évidence certaines faiblesses qui n’étaient pas détectables auparavant. Cela dit, l’impression subjective que l’on avait autrefois n’était pas forcément fausse. Cette évolution peut mettre davantage de pression sur les joueurs, mais elle leur donne aussi la chance de s’améliorer.
Beni Huggel, dans l’ancienne tour de contrôle de l’aéroport de Zurich: «De nombreux sportifs manquent de confiance en eux et ont le sentiment que le sport est leur seul talent. C’était aussi mon cas au début.» (Photo: Keystone / Ennio Leanza)
J’étais tellement pris par le football que je pensais que ma vie d’après aurait un lien avec ce sport. Sans même y réfléchir, j’ai suivi une formation d’entraîneur. Mais je me suis rendu compte que ce n’était pas le métier que je voulais faire jusqu’à la retraite.
Je m’en préoccuperais davantage et me renseignerais mieux sur ce qu’il est possible de faire. À l’époque, je n’avais aucune idée de qui m’attendait après ma carrière de footballeur: je ne savais même pas quelles étaient les qualifications nécessaires pour exercer certains métiers. Sur le plan de la formation aussi, je me préparerais mieux. J’avais envisagé de suivre des études à distance, mais ce n’était pas possible car les examens avaient toujours lieu le samedi, en même temps que les matchs. À l’époque, ce n’était pas conciable, mais aujourd’hui, ça l’est.
D’une certaine façon, oui. C’est difficile de retrouver les même émotions que lorsqu’on marque un but ou que l’on remporte un titre de champion devant son public.
Oui et non. Le métier d’entraîneur permet peut-être de revivre des émotions similaires. Mais beaucoup de joueurs choisissent de rester dans le milieu du football parce qu’il leur est familier. La transition vers le monde du travail leur paraît alors moins brutale.
Rien que physiquement, cela aurait été impossible. Ma longue carrière de footballeur professionnel a laissé des traces. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne joue plus au football.
Bien qu’ils aient souvent beaucoup à offrir, les anciens sportifs n’en ont pas conscience.
On ne peut pas généraliser: cela dépend du sport pratiqué, de la possibilité d’en vivre et de la notoriété acquise. Tous les sportifs ont cependant en commun qu’ils doivent renoncer à une activité qu’ils ont pratiquée intensément, avec succès et avec plaisir pendant le premier tiers de leur vie. Un sportif professionnel doit faire une croix relativement tôt sur une passion qui l’a animé depuis son plus jeune âge. rare sont les enfants qui disent vouloir devenir de brillants avocats, alors qu’ils sont nombreux à souhaiter être un jour footballeurs, skieurs ou joueurs de tennis.
Le sport de haut niveau permet d’acquérir de précieuses qualités, comme la capacité à se concentrer sur une tâche, car l’entraînement implique de la discipline. Les sportifs professionnels ont aussi une certaine capacité de résistance: ils apprennent à perdre, à surmonter les déceptions et à aller de l’avant malgré tout.
Effectivement, certains sportifs connaissent ce type de problèmes. La retraite sportive est souvent vécue comme une perte de statut et de reconnaissance; elle peut entraîner des problèmes financiers, mais aussi des difficultés d’ordre privé si, soudain, le ou la partenaire trouve votre nouvelle vie professionnelle moins attrayante.
C’est très variable. La plupart du temps, les personnes que nous plaçons ont entre 25 et 40 ans et elles débutent à des postes nécessitant peu d’expérience professionnelle.
Nous comptons plus de 4600 inscriptions. Pour pouvoir s’inscrire, il faut avoir pratiqué un sport collectif dans l’une des deux ligues supérieures ou un sport individuel au niveau national. Nous plaçons principalement des sportifs en activité, mais aussi d’anciens athlètes. Le portail de l’emploi est financé par nos entreprises partenaires qui peuvent ainsi recruter des sportifs de haut niveau, qu’ils soient encore en activité ou déjà à la retraite.
Les athlètes s’inscrivent et sont placés gratuitement; ils ne payent que les prestations de coaching individuelles.
Certains sportifs ont commencé par effectuer un stage avant de décrocher un emploi fixe et de gravir les échelons. C’est le cas par exemple de l’ancien footballeur professionnel Joel Geissmann, qui a trouvé un emploi chez l’assureur Swica, et de la skieuse de fond Laurien van der Graaff, qui travaille chez Zurich Assurance. Mais de nombreux sportifs manquent de confiance en eux et ont le sentiment que le sport est leur seul talent. C’était aussi mon cas au début. Nous les aidons à gagner en assurance. Bien qu’ils aient souvent beaucoup à offrir, les anciens sportifs n’en ont pas conscience.
Oui et non. J’ai un jardin dont je m’occupe la plupart du temps avec mon épouse. Il y a bien d’autres activités que je préfère, mais le jardinage est une occupation très reposante et gratifiante car on voit toujours le fruit de son travail.
Proposition de citation: Entretien avec Beni Huggel, consultant footballistique pour la SRF et cofondateur d'Athletes Network (2025). «La retraite sportive est souvent vécue comme une perte de statut et de reconnaissance». La Vie économique, 10 juillet.
Benjamin Huggel (48 ans) est devenu footballeur professionnel tardivement, après avoir effectué un apprentissage de jardinier-paysagiste. Sous les couleurs du FC Bâle, il a remporté sept fois le Championnat Suisse et cinq fois la Coupe Suisse. Il a également disputé 41 matchs en équipe nationale. Après un passage à l’Eintracht Frankfurt (Allemagne), il a pris sa retraite sportive à 35 ans. Désormais consultant footballistique à la télévision alémanique, il donne des conférences et a également cofondé Athletes Network, une société qui aide les sportifs professionnels dans leur reconversion.
