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La spécialité de la Suisse: produire en masse dans les domaines intensifs en recherche

La Suisse est étroitement intégrée aux chaînes de valeur mondiales (CVM). Une étude a cherché à savoir jusqu’à quel point cela était synonyme de spécialisation dans les technologies et les produits industriels demandant une recherche particulièrement intensive. On constate que, depuis 1995, la Suisse se spécialise de plus en plus dans ce type de domaine. Les activités les plus exigeantes en la matière réussissent particulièrement bien à satisfaire une production de masse standardisée.
L’ascension économique des pays émergents a nettement renforcé la concurrence internationale depuis les années nonante, remettant en question la domination des économies développées. Jusqu’ici, le rattrapage se remarque principalement dans la participation croissante de ces régions à la production et au commerce mondial. La montée en puissance des pays émergents dans la recherche est très dynamique depuis plusieurs années, mais les dépenses consenties représentent peu à l’échelle du monde.

L’intensité de recherche dans l’industrie suisse

Les économies faiblement développés se spécialisent souvent, dans une première étape, dans la fabrication de biens à forte intensité de main-d’œuvre, dont la production est relativement simple. La Suisse, en tant que petite économie ouverte sur le monde, est fortement intégrée aux CVM. Les salaires élevés qui y sont versés l’obligeraient donc à se spécialiser dans les produits exigeants. En d’autres termes, elle se confinerait de plus en plus dans les domaines qui demandent beaucoup de recherche et de connaissances.

Pour vérifier cette thèse, Prognos s’est d’abord penché sur les échanges en valeur ajoutée (ÉVA). Ces données, publiées par l’OCDE, répertorient la valeur ajoutée brute des biens exportés de chaque pays suivant la branche à laquelle ils appartiennent1 . Nous les avons recoupées avec des informations sur les dépenses de recherche – autrement dit son intensité – dans chacune des branches (pour l’estimation des dépenses suisses de recherche, voir encadré 1). Les ÉVA effectués dans les branches intensives en recherche montrent que la Suisse est fortement représentée en ce domaine. Son taux de croissance y est même légèrement supérieur à la moyenne.

Une analyse approfondie de l’intensité de recherche qui se baserait sur les données fortement agrégées des ÉVA ne serait, en outre, guère possible. Les activités économiques considérées regroupent souvent plusieurs branches au sein desquelles l’intensité de recherche diffère fortement. L’étude se base, dès lors, sur le modèle du commerce mondial fortement désagrégé de Prognos AG (voir encadré 1).

La Suisse a vu son industrie pharmaceutique ainsi que les équipements médicaux, de mesure et de contrôle se développer de façon particulièrement dynamique à partir de 1995. Près de la moitié des exportations et plus du tiers de la production industrielle reviennent à ces deux branches, alors qu’en 1995, les chiffres n’étaient que de 23 et 17%. La Suisse participait également à hauteur de 12 et 7% aux échanges mondiaux pour l’une et l’autre branche: ces taux dépassent largement leur valeur moyenne qui atteint à peine 2% (voir graphique 1). La Suisse est encore mieux placée en ce qui concerne sa place dans la recherche mondiale. Néanmoins, ce sont là aussi surtout les branches fortement exportatrices qui détiennent des quotes-parts élevées.

Les branches les plus importantes mènent les recherches les plus intensives

Deux branches fortement intensives en recherche ont ainsi pris une importance nettement grandissante en Suisse. L’industrie pharmaceutique ainsi que les équipements médicaux, de mesure et de contrôle sont même celles qui déploient le plus d’activités en la matière (pourcentage mondial des dépenses de recherche comparé à celui de la valeur de production). La spécialisation sur des domaines intensifs en recherche apparaît également dans la moyenne des branches. Celles qui présentaient un tel caractère ont plus que quadruplé leurs exportations entre 1995 et 2012, alors que les autres ont seulement accru les leurs de 90%.2

Les branches vivant de la recherche peuvent fabriquer en masse

La Suisse s’est ainsi spécialisée dans les branches intensives en recherche. Leurs structures de production diffèrent, toutefois, fortement. On peut, par analyse, déterminer les groupes de produits qui ont généré un nombre important de brevets dans le monde entre 1995 et 2012. Il est, dès lors, possible de classer les activités économiques en fonction de leur intensité de recherche. Il en ressort que, dans l’industrie pharmaceutique, les produits qui ont pris une réelle importance sont ceux qui ont demandé peu ou pas de recherche (voir graphique 2). Dans les équipements médicaux, de mesure et de contrôle, la part des biens faiblement intensifs en recherche, rapportée à la production de toutes les branches en Suisse, est même plus élevée que la moyenne mondiale. La Suisse est donc, dans ces deux branches, également très compétitive pour les produits à faible intensité de recherche. On peut dire qu’elle dispose d’une capacité de fabrication de masse dans les branches vivant de la recherche.

Pour que son étude soit complète, Prognos a examiné onze branches où la recherche joue un grand rôle dans les processus de production. On voit de nouveau que la Suisse est surreprésentée en ce qui concerne la production de biens intensifs en recherche dans quasiment chacune d’entre elles, outre les deux branches traitées plus haut3 . Ce résultat indique que l’industrie pharmaceutique ainsi que les équipements médicaux, de mesure et de contrôle se sont développés de manière particulièrement dynamique, car ils ont mieux réussi que la plupart des autres branches à tenir compte de la production de masse standardisée.

Les technologies intensives en recherche stimulent les exportations

Il est également essentiel pour l’enquête d’analyser l’importance de chaque technologie pour le site de production suisse, Alors que le pays s’est fortement spécialisé au niveau des branches, il présente un visage plus large au niveau technologique. On voit d’abord que la Suisse connaît, en ce domaine, une forte dynamique en accord avec le marché, qui sert de support technologique aux branches les plus importantes de son économie.

Un simple coup d’œil sur notre commerce extérieur suffit pour comprendre que ce pays est plus particulièrement compétitif dans les technologies intensives en recherche. C’est, en effet, le plus souvent dans celles qui demandent peu de recherche que le solde est équilibré ou négatif. Les technologies les plus intensives en recherche s’accompagnent généralement d’un net excédent d’exportation (voir graphique 2). Par conséquent, ce sont les technologies intensives en recherche qui présentent, parmi les 32 retenues, la plus grande dynamique de croissance. Alors que les seize domaines technologiques les moins présents dans la recherche doublaient leurs exportations, les autres les quadruplaient entre 1995 et 2012. Le processus de spécialisation n’a donc pas touché seulement les branches, mais aussi les technologies qui se sont de plus en plus orientées sur les domaines à forte intensité de recherche.

En résumé, l’étude montre que, depuis 1995, la Suisse s’est de plus en plus spécialisée sur les branches et les domaines technologiques intensifs en recherche. L’analyse des structures de production spécifiques aux branches montre, par ailleurs, que notre pays peut également être compétitif dans la production standardisée de masse effectuée dans les branches les plus intensives en recherche. Les résultats indiquent que les entreprises industrielles des économies avancées sont obligées de progresser à de hauts niveaux dans la recherche en raison de la montée des pays émergents devenus les «ateliers du monde». Cependant, elles peuvent aussi avoir du succès en dehors de la production de biens fortement intensifs en recherche.

Proposition de citation: Michael Böhmer ; Johann Weiss ; (2014). La spécialité de la Suisse: produire en masse dans les domaines intensifs en recherche. La Vie économique, 01 décembre.